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Compagnons !

Compagnons, debout, le soleil paraît ... Tout s'éveille dans la forêt ...

En ai-je éveillé des compagnons de chasse ! ... Par les aubes tièdes d'août, aux matins blancs de novembre et parmi les nuits glacées d'hiver : « Debout, c'est l'heure » a retenti bien des fois.

Les uns, se tournant vers le mur, feignaient ne pas entendre ; d'autres exigeaient la tasse de café brûlant ou des précisions météorologiques avant de mettre un pied sur le plancher. Quelques-uns cependant, au déclic du réveil, bondissaient hors du lit et s'habillaient en vitesse. Je ne peux passer sous silence le truc du plaisantin qui, vers deux heures du matin, vous secouait brusquement en disant : « Dépêche-toi de dormir, il va être jour. Mets-toi en prise, tu iras plus vite et ça fera moins de bruit ... »

Il y a aussi tous ceux qu'on a attendus parfois vainement à la croisée des chemins, au coude de la rivière ou sur le quai de la gare ...

Compagnons d'une sortie, de toute une saison ou de nombreuses années, où êtes-vous ? Beaucoup ne répondent plus à mon appel. Rassurez-vous, je ne les ai pas envoyés dans l'autre monde par un coup de travers. Les ans, les affaires, la destinée les ont écartés. Des fervents de la plume sont devenus de tièdes amateurs du poil. D'autres, qui ont arrondi portefeuille et bedon, se contentent des tableaux offerts par les heureux dimanches de lotos. Je ne suis jaloux ni de leur situation, ni de leur ventre de propriétaire ; leur veine de ... gagnant me laisse indifférent. Je les plains. Ils n'ont jamais été de vrais mordus.

À côté de ceux qui désertent et déposent les armes, nous trouvons parfois quelque revenant. Albert est du nombre. Il vient de m'annoncer sa décision de sortir l'arme du fourreau, de dresser un toutou et de m'accompagner dans mes randonnées toutes les fois qu'il le pourrait.

Vous ne connaissez pas Albert ? Quel dommage ! Certainement au bout d'un quart d'heure de causette vous trouveriez que c'est le compagnon rêvé pour nager dans un océan d'optimisme. Tous les terrains de la conversation lui sont familiers. Si vous arrivez de Dinan ou de Gao, vous serez surpris de vous découvrir des amis communs. Il connaît tant de monde, le bougre ! … Vous alliez voir le docteur et parliez de vos malaises, il les a reconnus, il a décelé votre mal, conseillé un remède ... Essayez-le si le cœur vous en dit ; ceux qui ont eu confiance en lui ne sont pas tous morts ! ... Peut-être cherchez-vous un logis, une propriété, une affaire ? Albert est là ...

Pour votre sortie dominicale, vous aimeriez savoir s'il fera beau. L'ami fidèle examinera le ciel, notera le vent, fera risette aux nuages, puis, très sûr de lui : « Partez sans crainte. Le vent tournera au nord-ouest à minuit cinquante et dissipera les cirro-cumulus. Vous aurez une journée splendide ... » Un petit conseil : mettez imperméable et fortes chaussures car ...

Car moi aussi, je me suis fié aux prévisions de l'enchanteur — ayant servi dans la météo, il y croyait lui-même — et je ne compte plus les douches qui ont récompensé ma confiance inébranlable ...

Certain matin d'octobre, nous partions vers une réserve de Crau. Albert avait commandé mistral, soleil et cent cartouches. Démarrage nocturne sous une pluie fine baptisée aussitôt « condensation passagère des brouillards matinaux ». Vingt kilomètres plus loin, l'averse cinglait les glaces ... Vers Salon, de l'eau jusqu'aux essieux ! ... Toute la matinée, déluge ... Après un bon déjeuner, notre hôte, pris de pitié, nous emmena, entre deux ondées, dans la réserve. Le « gari » fut lâché, et des lapins culbutaient dans l'herbe mouillée tels de vrais rats d'eau. Quelle magnifique journée ! ...

Ceci est un exemple entre cent. Heureusement, sa gaîté renaissante le sauve de terribles représailles. J'aurais pu faire expier au Nostradamus d'occasion toutes ses fausses prédictions, tous les insuccès cynégétiques — dont il n'était pas forcément coupable, — tous les déboires de la route. Fin février, en Camargue, nous avons lutté contre les éléments coalisés. Vent et pluie faisaient la joie des palmés ; concert discordant partout. Le poste le mieux placé fut pour Albert. Aux premières lueurs blafardes de l'aurore, le défilé des boiteux commença. Je les voyais glisser, cou tendu, au-dessus du tamaris-affût. Pas un coup de feu. Que se passait-il ? L'ami dormait-il ? Non, Albert ne dormait pas ... Il avait fui en entendant le souffle puissant des hérons-butors. Ce mugissement sourd rappelle si bien celui des taureaux que notre chasseur avait vite cherché un abri contre les cornes aiguës. Canards et sarcelles regagnèrent le Vaccarès sans mal.

Tout en suivant les bords de l'étang, je me vengeai en abattant deux de ces fameux « bœufs volants ». Bécassines ratées, colverts perdus, courlis insaisissables agrémentaient la promenade à travers les salicornes noyées. Vers midi, nous nous trouvions devant une « queue » de marais assez profonde. Passer avec des cuissardes était un jeu d'enfant, et la traversée à ce point évitait un détour de plusieurs kilomètres. Albert n'avait que des bottillons. Alors je hissai ses 160 livres — sans compter fusil, cartouches et sac — sur mes épaules. Avec une telle charge, certains glissements détruisent vite l'équilibre ... J'aurais pu, à cet instant, lui dire : « Albert, tu vas payer les averses dont tu m'as gratifié par un bain salé ... Un, deux ... Plouf ! ... »

Il était si confiant sur sa monture que je ne répondis pas par une ruade à la flatteuse appréciation de « bonne bête ». Je le déposai sec et sauf en terre ferme ...

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Bientôt nous allons ensemble reprendre nos randonnées. Avec plaisir j'écouterai tes histoires et si, à ton coup de fusil, le perdreau apeuré lâche quelque chose, je dirai que c'est ... une plume. Je t'emmènerai dans des coins où les becs rouges abondent encore ; tu en tueras, j'en suis sûr. Seulement, ô mon ami, n'essaie plus jamais de percer les secrets du ciel. Tu es si persuasif que je m'y laisserais prendre une fois de plus, tout comme toi ...

A. ROCHE.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 135