En voyant ce titre, les connaisseurs et les ornithologistes
vont sourire. Rassurez-vous ! Je sais très bien que la dinde n'existe pas
à l'état sauvage en Europe, mais seulement dans l'Est de l'Amérique du Nord.
Mais, comme j'entends souvent dire dans mon entourage : « Un tel a
tué un dinde sauvage », ou encore : « J'ai vu passer un
vol de dindes sauvages », j'ai voulu, par ces quelques lignes, permettre à
mes frères en saint Hubert d'identifier leurs captures, si toutefois ils ont la
chance d'inscrire ce beau gibier à leur carnet de chasse.
L'oiseau que, dans le Sud-Ouest, on désigne le plus souvent
sous l'appellation erronée de dinde sauvage est la grue cendrée (Grus cinerea),
un des plus grands oiseaux d'Europe. Les grues passent au printemps et à
l'automne en magnifiques formations en V, groupant parfois plus de
quatre-vingts et cent individus. L'oiseau de tête, celui qui fend la nue de son
poitrail, doit se fatiguer vite, car il est souvent remplacé par un de ses
compagnons de route. Les grues poussent en volant un cri qui ressemble au
grincement d'une brouette mal graissée ou, parfois, à des coups de trompette.
Ce cri bizarre fait lever la tête au chasseur, qui suivra jusqu'à perte de vue
la longue théorie des migrateurs, volant hors de portée des armes les plus
perfectionnées. Si un jour le sort le favorise, il aura la chance de surprendre
une bande arrêtée par la brume ou la tempête. Parfois, un oiseau fatigué ne
peut plus suivre ses congénères et se pose là où son instinct lui dicte qu'il
trouvera quelque nourriture. Le spécimen que j'ai sous les yeux en ce moment a
été tué de cette façon par un cultivateur qui gardait ses vaches et l'avait vu
s'abattre au milieu d'un semis. Il eut le temps d'aller chercher son fusil et,
d'un coup de deux, abattit le grand oiseau.
La grue cendrée est un magnifique volatile qui dépasse 2
mètres d'envergure et 1m,30 de long. Le plumage est entièrement d'un
gris cendré, avec les rémiges noires. La gorge et la moitié du devant du cou
sont noir-gris foncé, bordées d'une bande blanche sur les côtés. Le dessus de
la tête est dénudé, rougeâtre, avec quelques rares soies noires. Deux houppes
de plumes frisées remontent de chaque côté de la queue et forment une jolie
garniture. Le bec, long et fort, est rougeâtre, nuancé de verdâtre à la base.
Les pattes sont noires et l'iris jaune.
La grue ne doit pas être considérée comme un gibier
vulgaire, et le chasseur digne de ce nom ne massacrera pas inconsciemment un
des plus beaux spécimens de notre avifaune. S'il lui arrive d'abattre une grue,
qu'il ne l'envoie pas finir misérablement dans le four de la cuisinière comme
le font certains rustres, mais qu'il lui fasse les honneurs de la
naturalisation. Son estomac lui en sera reconnaissant et il conservera vivant
le souvenir d'une de ses plus belles émotions de chasse.
En même temps que les grues, mais beaucoup plus rares,
passent les cigognes blanches. Elles ont droit à une protection absolue en tout
temps, ce qui n'empêche pas quelques tireurs d'envoyer leurs coups dans les bandes,
quand elles ne passent pas trop haut. Souvent, et heureusement, les plombs
n'atteignent pas les oiseaux. Mais, l'an dernier, on m'a apporté une magnifique
cigogne mâle, capturée dans la commune de Verdon (Dordogne) et qui n'avait pu
suivre plus loin ses compagnes à la migration de printemps. Cette pauvre bête
avait eu la patte droite complètement brisée à moitié tarse par un plomb. Seul
le tendon tenait encore rattaché à la partie saine un morceau de membre
noirâtre qui commençait à se décomposer. La moelle coulait du tibia, et on
s'imagine les souffrances que cet oiseau devait endurer depuis sa blessure,
antérieure d'au moins quinze jours à sa capture. Dans ce cas, sa mort fut une
délivrance. Le chasseur ne s'apitoie pas sur le sort de ses victimes, mais il
me répugne de voir souffrir les bêtes inutilement.
La cigogne est aussi un bel oiseau, presque aussi grand que
la grue. Le plumage est entièrement blanc, avec la moitié inférieure des ailes
noire. Le bec, très long et pointu, est rouge vermillon, ainsi que les pattes.
L'iris est brun. La cigogne n'a pas de cri et se contente de faire claquer son
bec, avec un curieux bruit de castagnettes.
Enfin, pour terminer, je dirai un mot sur la « pintade
sauvage », qui n'est autre que l'outarde canepetière, ou petite outarde,
de passage dans nos plaines au printemps et à l'automne. La canepetière est
souvent confondue dans nos régions avec l'œdicnème criard (qui pourtant se
différencie nettement, ne serait-ce que par ses gros yeux d'oiseau
crépusculaire et sa tête carrée).
Le fait de rapprocher l'outarde de la pintade est assez
plausible, car ces oiseaux, bien qu'échassier et gallinacé, ont certains
caractères communs. Mais les analogies que peuvent avoir les grues et les
cigognes avec les dindes me laissent rêveur. Bah ! tout le monde n'est pas
ornithologiste, après tout !
En tout cas, l'outarde mise à part, nos grands échassiers ne
peuvent constituer un manger acceptable et font meilleure figure dans une
collection que sur la table. Mais, là aussi, des goûts et des couleurs ...
Pierre ARNOUIL.
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