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Saint-Gilles

Il suffit souvent de traverser simplement un pays, sa campagne et son agglomération, pour voir tout de suite de quels éléments son caractère est formé. Lorsque la chasse y joue un grand rôle, elle lui donne une physionomie à la fois particulière et différente selon les régions, mais certainement facile à reconnaître.

Qu'un touriste traverse Saint-Gilles-du-Gard, il ne lui sera pas nécessaire d'avoir un esprit particulièrement pénétrant pour voir dans cette petite ville les deux passions qui l'animent : les taureaux et la chasse.

On traverse Nîmes et on aborde très vite un vaste plateau dénudé, orné seulement par les allées de pins qui conduisent aux maisons des domaines et par les bosquets qui entourent celles-ci. Le bruit de l'auto fait parfois lever quelque compagnie de perdreaux et, si l'on est attentif, on en voit toujours qui piètent dans les sillons.

Toutes les lignes du paysage suivent la même inclinaison pour aller se fondre dans la vaste étendue plate qui va elle-même se fondre dans la mer.

Du haut d'une dernière butte, on domine tout le pays. Sous les yeux s'étendent à perte de vue la Camargue et les étangs du Languedoc. On distingue les taches grises que font les grands étangs : ici le Scamandre et le Charnier ; là-bas, droit devant vous, plus lointain, le Vaccarès, cher à tous ceux qui aiment cette région. Voici à droite une autre tache sombre juste en bordure du marais, celle du bois d'Hespiran, où il se fait de magnifiques chasses aux sangliers, tandis qu'on vient de voir sur la gauche la longue bande de bois de Gonnet également connue pour ses beaux tableaux de bêtes noires.

La route descend la butte, et voici Saint-Gilles. On rencontre presque aussitôt des hommes coiffés de grands chapeaux, vêtus de vestes de velours et de pantalons étranglés aux genoux, hommes de la bouvine venus pour leurs affaires à la ville. Les murs sont couverts d'affiches aux vives couleurs où brillent les yeux noirs et les cornes des taureaux. Elles annoncent les corridas de Nîmes, d'Arles et de Béziers, les courses de cocardes depuis Arles jusqu'à Mauguio. Dans les cafés, il en est de même, et l'étranger non averti peut lire en grande lettres des noms tels que Vanneau, Gandar, Meccano, Pescaluno, Grasilho. Il s'agit de taureaux connus ici comme grandes vedettes et dont certains d'entre eux ont marqué leurs combats par les graves blessures infligées à des razéteurs célèbres comme eux.

Les nombreux chiens qui courent dans les rues ne sont pas tous des sujets d'expositions, mais ce sont presque tous des chiens de chasse. D'ailleurs, on reconnaît des chasseurs partout. Quand vient l'heure de la passée du soir, leur départ est animé. On en voit à pied, à bicyclette, en moto, en voiture qui vont prendre place avant que tombe le crépuscule. Car Saint-Gilles est une des portes de la Camargue. Les dernières collines finissent avec le village ; on traverse le canal, on passe sous un pont, on franchit un grand pont sur le Petit Rhône. On est dans l'île, l'île des naturalistes et des chasseurs, restée encore assez près de la nature malgré les vignes et les rizières, avec ses marais, ses enganes, ses saladelles, ses tamaris, sa bouvine, sa faune magnifique et ses terribles moustiques.

Lisez Camargue, mon tendre amour, d'Albert Ganeval, vous le relirez ensuite certainement et, si vous ne connaissez pas encore la Camargue, vous serez préparé à son charme merveilleux.

Du gibier d'abord. Si sa densité a subi les assauts des quatre dernières années, il en reste encore. Perdreaux rouges, lapins hôtes d'innombrables terriers, rapides bécassines et tout le gibier d'eau, depuis Gallician jusqu'à Fos, maintiennent l'intérêt de la chasse. Tous les alentours de Saint-Gilles sont des régions de chasse : chasses de terre en allant vers Nîmes, de terre et d'eau sur les autres faces. On y parle des battues aux foulques, qu'ici on nomme macreuses, et on peut entendre les formidables fusillades qui s'y déclenchent à chaque traque. Pensez donc, il y a souvent de 1.200 à 1.500 pièces au tableau, sans compter celles que d'innombrables chasseurs postés sur les bords libres des étangs ont pu tuer à la sauvette.

Beaucoup de territoires de chasses sont entourés par des barrières de fil de fer barbelés, à l'intérieur desquelles paissent les taureaux, souvent deux cents têtes. Comme les animaux sauvages, ils restent en groupe et leur masse noire, sur laquelle tranche la robe blanche des cavales, forme le fond du tableau. On chasse, on tire souvent très près d'eux. Si leurs yeux noirs, au regard insoutenable, fixent parfois, si leur tête porte haut d'un port majestueux leur armure acérée en forme de lyre, ils ont une superbe indifférence à l'égard des intrus. Ce n'est que par hasard qu'on risque un heurt un peu vif comme à cette battue aux perdreaux à la manade Bilhau, où je dus quitter mon poste précipitamment. Les taureaux mangeaient calmement dans le marais le long duquel s'allongeait la ligne de tir. Les coups de fusil, quelques plombs perdus, les cris des rabatteurs peut-être leur firent prendre le galop. Ils sortirent du marais, mais revinrent dans notre dos galopant toujours. Ils bondirent d'une montille et passèrent comme un ouragan, cependant qu'à toutes jambes je m'écartai pour les éviter. Naturellement mes compagnons firent de même.

Quand vient le soir, les mugissements de la bouvine, le galop et les cris des gardians ; les appels des oiseaux forment un concert de bruits que l'on n'entend nulle part ailleurs.

Vif lapin de Camargue, je veux lui rendre ici un hommage mérité. Il passe pour avoir mauvais goût, ce qui est faux. Il est rapide, difficile à tirer, crochetant à travers les touffes avec une incroyable agilité. Il surgit d'un terrier pour bondir dans un autre et il permet les coups de fusil les plus inopinés. Je ressens toujours du regret lorsqu'un d'entre eux, plus malheureux que les autres, s'enfonce sous terre avec les pattes ou les reins brisés. Il nous fait passer de si bons moments, autour des montilles et des lévadons percés du labyrinthe de ses galeries, lorsqu'il est poursuivi par les furets cruels ! Je n'en dirai pas autant des moustiques, qui, assaillants innombrables certains jours, donnent aux chasseurs l'allure de possédés de Saint-Guy.

Le soir venu, les morts traversent Saint-Gilles dans les caissons des voitures. On y fait une dernière halte pour boire le pastis rafraîchissant, le grog brûlant qui réchauffe après la passée du soir, selon la saison. De plusieurs routes, les chasseurs convergent vers cette ville ; il en vient du côté d'Hespiran, des Isoles, de la grande Camargue. Souvent, entre midi et une heure, beaucoup d'entre eux viennent déjeuner à ce restaurant aux volets verts où l'on est si aimablement reçu et où l'on mange d'incomparables canards sauvages.

L'animation de la rue principale est vive le soir. On se reconnaît, on s'annonce les résultats cependant que, dans un va-et-vient ininterrompu de véhicules que dominent d'énormes camions citernes transportant le vin, au milieu d'une population aimable et gaie où se coudoient propriétaires, gardians, gitans, ouvriers agricoles et filles magnifiques, on médite, alors qu'on n'en est pas encore parti, le prochain voyage à Saint-Gilles.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 139