Le problème des sens se simplifie avec les rapaces (1), car
un sens devient sans valeur pour le piégeur : le toucher. Dans l'ordre
d'importance des autres sens, nous avons : la vue, l'ouïe, l'odorat et le
goût.
La vue.
— C'est très certainement le sens le plus important et
le plus développé chez ces animaux, car un rapace privé de la vue est voué à
une mort rapide par inanition.
La vue des rapaces offre, comme celle de tous les oiseaux,
des particularités remarquables.
L'image des objets qui se forme sur leur rétine est très
grossie, ce qui leur permet une vision des détails très prononcée, d'où une
acuité visuelle supérieure. Un épervier voit très bien une alouette, même
immobile, à 200 mètres. Chez les rapaces nocturnes, les pupilles se dilatent au
maximum, l’iris et la cornée sont très grands, d'où une aisance particulière
dans leurs déplacements nocturnes. Par contre, un rapace diurne est incapable
de se diriger en pleine nuit noire.
Chez tous les oiseaux, chaque œil est indépendant de l'autre
et reçoit une image nette, un œil peut suivre une proie et l'autre surveiller
le chasseur tout en appréciant les distances. C'est ce qu'on appelle la vision
monoculaire. Mais cette vision monoculaire n'empêche nullement les deux yeux de
percevoir ensemble les images, d'où également vision binoculaire. Les études
remarquables du grand spécialiste, le Dr Rochon-Duvigneaud, sont des
plus intéressantes à ce sujet. Chaque œil surveille pour son compte de chaque
côté un champ visuel variant avec chaque espèce. Si les deux yeux regardent le
même point, la vision est rarement nette ; de là les mouvements fréquents
et latéraux de la tête pour fixer un objet d'un seul œil. Ces mouvements de
tête sont facilités au maximum par l'extrême mobilité du cou, due au grand
nombre de vertèbres qui permet à l'oiseau de tourner la tête complètement en
arrière. La crécerelle, par exemple, a pour chaque œil un champ de vision
latéral de 135°, et pour les deux yeux un champ de vision vers l'avant de 25°
seulement. L'effraie, rapace nocturne à tête ronde et aux yeux dirigés vers
l'avant, a un champ visuel de 80° pour chaque œil et de 30° pour les deux yeux.
La vision binoculaire sert pour le vol et la marche.
Les paupières inférieures sont les plus mobiles chez les
rapaces diurnes, ce qui est l'inverse pour les nocturnes. Enfin, une membrane
mobile, souvent confondue avec la paupière, s'interpose entre l'œil et les deux
paupières ; c'est la membrane nictitante (blanche chez les nocturnes,
transparente chez les diurnes).
Il est également utile de rappeler que les oiseaux
n'interprètent pas les couleurs comme nous le faisons : le blanc leur
paraît jaune orangé, le vert paraît couleur rouille. Ces interprétations
pouvant varier avec les espèces.
je rappellerai à ce sujet une expérience faite sur des
poules.
Celles-ci ayant été placées dans une chambre obscure, on
fait passer dans ce local un rayon de soleil réfracté par un prisme qui a la
propriété de le décomposer en sept couleurs (ce sont ces couleurs qu'on perçoit
dans un arc-en-ciel). On répand du blé sur la surface éclairée par ces
différentes couleurs. On constate alors que le blé placé dans les zones rouge,
orangé et jaune est mangé le premier. Quand ce blé est avalé, les poules
entament, sans grand enthousiasme, celui placé dans le vert, mais négligent
complètement celui placé dans les zones éclairées en bleu, violet ou indigo.
Avec une nourriture appropriée à l'espèce, l'expérience serait valable pour les
rapaces diurnes, mais non pour les nocturnes. En se basant sur cette
expérience, il serait intéressant de savoir si les oiseaux distingueraient un
filet ou un piège coloré en bleu ou en violet. Pareillement, il serait
intéressant de savoir si un appât coloré en rouge, jaune ou orangé serait pris
plus vite qu'un autre. Actuellement, et pratiquement, il est indiscutable que le
rouge attire les rapaces (emploi du chiffon rouge pour la buse piégée en
jardinet) ; le blanc (réunion des sept couleurs spectrales) également.
Puisque nous parlons impressions visuelles, signalons une
autre expérience à titre de curiosité : si on interpose entre l'œil et un
oiseau un grillage peint en noir mat, l'œil humain placé à environ 10 mètres de
l'oiseau perçoit difficilement ce grillage. Un exposant avisé, à une foire
internationale de Marseille, avait, il y a quelque quinze ans, mis à profit
cette particularité pour présenter des gangas et autres oiseaux, avec le plus
grand succès.
L'ouïe.
— Tous les rapaces ont l'ouïe très fine (diurnes ou
nocturnes). On s'en rend aisément compte quand on veut les approcher soit près
du nid, soit sous leurs branchera favoris. L'ouïe leur sert également dans la
recherche de leurs proies. L'emploi de la pipée en est la meilleure preuve ;
il n'est pas rare, au cours d'une séance de pipée, de voir un autour, une buse
ou un milan attiré par les cris discordants des pies, geais ou corneilles. Même
manœuvre quand il s'agit d'un geai en train de se faire plumer par un épervier.
L'appât d'un festin facile signalé par l'ouïe attire les rapaces.
L'odorat.
— Ce sens existe chez tous les rapaces et becs droits,
mais il ne paraît guère servir qu'aux becs droits et à certains vautours
charognards (à moins qu'il ne s'agisse d'un sixième sens). Ces oiseaux
apparaissent subitement, venant de très loin en brousse, dès qu'un festin
plantureux s'offre à eux. Il est rare qu'un animal tué en brousse reste plus de
vingt-quatre heures sans être entièrement dépecé par les charognards, si les
grands fauves leur en laissent l'occasion.
La vue étonnamment puissante de ces oiseaux leur permet
peut-être de voir de très loin un de leurs congénères en quête de ripaille qui
plane et s'abat sur le sol ; l'odorat seul est-il en cause, est-on en
présence de radiations spéciales ? La question n'est pas encore résolue
scientifiquement à ma connaissance.
Pour nos rapaces, l'odorat ne joue aucun rôle important ;
quant aux gallinacés (poules, faisans, perdrix, etc ...), l'odorat ne leur
sert à rien dans la recherche de la nourriture : une poule mise sur un tas
de blé dans un local entièrement obscur y crèvera de faim.
Cependant, parmi les vieilles recettes de jadis, on trouve
des formules de fumées odorantes destinées à attirer les faisans. On trouve
également d'avoir à parfumer le blé d'agrainage avec de l'essence d'anis. Reste
à savoir l'efficacité réelle de ce procédé. Dès qu'on rentre dans l'arsenal des
produits merveilleux de jadis destinés à attirer les animaux (carnivores,
herbivores, oiseaux et même poissons), il faut faire la part des liens de
parenté entre ces produits et l'état d'esprit des temps jadis qui admettait la
puissance de la sorcellerie ! Que certains corps produisent un effet
attractif, c'est indubitable, mais pour ceux-là il y a la manière de les
employer. Pratiquement, pour le piégeage des rapaces et même des becs droits,
l'odorat ne joue en aucun cas.
Goût.
— Ce sens se réduit simplement au choix des aliments
selon le régime de chaque espèce. Certains rapaces ne dévorent que des proies
palpitantes, qu'ils tuent eux-mêmes (autour, faucon, épervier) ; d'autres,
moins exigeants, donnent à toutes les charognes qu'ils trouvent (buses,
milans).
L'étude du régime particulier de chaque espèce est donc
indispensable au piégeur s'il veut réussir, mais le sens du goût n'influe pas à
proprement parler dans la capture des rapaces.
Le rappel de ces généralités expliquera certains insuccès
ou, au contraire, certains « triomphes » qui, aux yeux des non
avertis ou des naïfs, peuvent passer pour tenir du prodige.
A. CHAIGNEAU.
(1) Voir Le Chasseur Français, n° 636 : Les sens
et le piégeage des carnassiers.
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