Ce très beau poisson, de la famille des perches, est assez
rare en France, et c'est dommage, car c'est le poisson sans doute le plus
recherché d'Europe centrale, truite et saumon exceptés. C'est en effet un
poisson d'Europe centrale et orientale. On le trouve dans tous les pays
danubiens, en Allemagne, en Russie et jusqu'en Sibérie, aussi bien en rivières
lentes qu'en lacs ou étangs.
Il existe dans le Rhin avec assez d'abondance, et c'est de
là que, par les canaux, il s'est introduit dans le bassin du Rhône. On en
trouve depuis plusieurs années dans la Saône et dans le Doubs. Il tend à
descendre et est assez abondant dans le Rhône au-dessous de Lyon. Il n'y en a
pas ailleurs en France, si ce n'est aux Halles de Paris, où il arrive en grande
quantité, importé de Hollande.
C'est un excellent poisson à chair ferme, blanche et sans
arêtes, semblable à celle de la perche, mais plus fine, et qu'il y aurait grand
intérêt à répandre en France.
Il a la forme d'une grande perche avec les deux mêmes
nageoires dorsales, l'antérieure étant épineuse, mais plus mince, plus
allongée. La bouche est celle de la perche, mais comporte sur le maxillaire
antérieur huit grandes dents aiguës et saillantes. Sa coloration est, en gros,
celle de la perche : gris verdâtre, plus clair sur les flancs, comportant
quelques zébrures transversales.
Il peut dépasser un mètre de longueur et peser 7 à 8
kilogrammes, mais les sujets les plus courants sont ceux de 40 à 50 centimètres
de longueur et pesant 3 à 5 livres. C'est, comme la perche, un vorace, qui se
nourrit de blanchaille.
Il pond fin avril-courant mai sur des herbes aquatiques
drues et sur les chevelus de racines, mais toujours sur fond sablonneux ou de
pierres.
Il craint par-dessus tout les fonds vaseux. Les œufs tombés
dans la vase sont irrémédiablement perdus ; c'est là un point qu'il ne
faut pas perdre de vue si on veut l’élever en pisciculture, comme on le fait en
Europe centrale.
Sa croissance est très rapide. Il fait 15 centimètres dès la
première année et pèse alors 50 à 60 grammes. La deuxième année, il pèse une
livre en moyenne. Sa croissance est plutôt celle du brochet que celle de la
perche.
Il s'attaque fort bien aux larves artificielles, mais sa
défense, violente au début, s'amollit très vite, et on l'amène sans trop de
peine à l'épuisette.
Faut-il conseiller sa propagation ? À mon avis oui, à
condition de procéder à bon escient et aux conditions ci-dessous.
D'abord, il n'est pas méridional (sauf dans le Rhône, où il
descend, dans cette eau froide, bien en aval de Lyon). Réservons-le au Nord et
à l'Est, et remplaçons-le par le black-bass dans le Midi — c'est le
black-bass nordique.
Il ne doit être mis que dans de grands fleuves ou dans des
étangs à fond sableux et très pourvus de fretin.
Si on le met dans des étangs de pisciculture destinés à être
vidés, on le récupérera vivant très difficilement, si le fond de l'étang est
vaseux ; il a, en effet, les ouïes très sensibles.
Mais comment l'élever et se procurer les œufs des
reproducteurs ?
C'est là la difficulté. La femelle pond 200.000 œufs par
kilogramme de son poids, qui, nous l'avons dit, sont déposés sur des tapis
d'herbes sur fonds sableux dès que la température de l'eau atteint 15°. Les
œufs, mesurant 1mm,5 de diamètre (un peu plus petits que ceux du
brochet), sont déposés par paquets de plusieurs centaines et n'éclosent qu'au
bout de dix jours, surveillés par la mère contre les nombreux voraces.
Les petits alevins se déplacent en essaims au début de leur
existence et se réfugient, à la moindre alerte, dans les cachettes aquatiques.
Cette particularité a son application dans la pisciculture du sandre ;
soit par l'introduction des reproducteurs, soit que l'on répande les œufs
embryonnés, il importe de placer près des frayères ou des œufs des refuges tels
que briques creuses, vieux paniers, etc., où, si besoin est, les petits alevins
se réfugieront.
En Tchécoslovaquie, nous avons vu procéder à la pisciculture
artificielle du sandre ; les œufs sont obtenus par fraie naturelle de deux
ou trois couples dans des bassins de 10 à 20 mètres de côté, à fond sableux,
avec quelques frayères artificielles ; les œufs sont ensuite transportés
et mis à éclore dans de curieux petits paniers qui protègent contre les
prédateurs les œufs d'abord, les petits alevins ensuite.
Si l'on veut réempoissonner en sandres, il faut acquérir les
reproducteurs (les prendre entre une livre et un kilogramme) auprès des
pêcheurs professionnels du Rhin ou du Rhône ; leur transport est
d'ailleurs très difficile, car le sandre est très délicat, ou bien il faut
acheter les œufs embryonnés, qu'on ne peut se procurer actuellement qu'en
Tchécoslovaquie et qu'il faut transporter dans le plus court délai. À notre
connaissance, un essai, au moins, de transport d'œufs embryonnés en France a
été tenté et a partiellement réussi. Un inspecteur des Eaux et Forêts a ramené
en 1948, par avion, 10.000 œufs de sandres de Prague à Paris ; ils ont été
mis, après trois jours de transport, dans un grand étang malheureusement plein
de brochets et de perches, et à fond vaseux. Néanmoins, plusieurs sujets ont
été repêchés en automne 1948, et, en 1949, il fut pris un sujet de près d'un
kilogramme.
La propagation du sandre est donc difficile, mais doit être
tentée et a de fortes chances de succès dans le Nord et l'Est, dans les grandes
rivières et les étangs à sol sableux, où il remplacera très avantageusement la
perche tant au point de vue sportif que culinaire et même pécuniaire pour les
propriétaires d'étangs.
DELAPRADE.
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