La mouche « factotum » est une chenille ;
elle ne pouvait être qu'une chenille, parce que les chenilles sont des mouches
toutes saisons. Ce sont aussi des mouches « d'ensemble »,
c'est-à-dire qu'à elles seules elles représentent, ou, si l'on veut, imitent un
grand nombre d'insectes : éphémères, phryganes, hyménoptères, etc.,
surtout des coléoptères. En elles, jeunes et vieilles mains se rejoignent.
C'est, en effet, très souvent leur unique mouche, avec raison. Mais c'est une
chenille à allure un peu spéciale que nous lui donnerons à coups de ciseaux.
Je conseillerai cette mouche au débutant, au novice, au
timide que l'ignorance d'un sport, à première vue compliqué, difficile,
nécessitant un équipement onéreux, empêche de réaliser le désir secret de
pêcher à la mouche.
Elle permet de pêcher à la surprise, cette pêche du bord qui
consiste à placer la mouche en un point judicieusement choisi à côté du
poisson, quand on le voit, ou à la faire sautiller sur l'eau très près de la
rive, sous les branches ou ailleurs, si on ne le voit pas : aucune
difficulté. Mais on fait aussi, avec elle, de la vraie pêche à la mouche. Elle
donne d'aussi bons résultats tant en noyée qu'en sèche.
Pour les novices, je précise :
1° que mouche noyée (les Anglais disent humide, mouillée)
veut dire mouche qui navigue dans l'eau à toute profondeur, quelquefois très
près de la surface ; elle se pratique soit en lançant en amont (le pêcheur
remonte alors la rivière), soit en dérivant et en travers du courant (le
pêcheur, dans ce cas, descend la rivière) ;
2° que mouche sèche signifie mouche qui flotte à la surface.
On peut la pratiquer en lançant soit en amont, soit en aval.
En amont est bien préférable ; le pêcheur remonte alors également la
rivière, en marchant dans l'eau généralement. En aval, il la descend.
L'équipement peut être très sommaire pour le pêcheur
rustique ou à la bourse modeste : simple roseau ou bambou de cinq à six
mètres avec ligne en crin de cheval tressé en queue de rat, sans moulinet ou
avec moulinet ordinaire garni de soie avec bas de ligne en nylon ; soie et
bas de ligne en queue de rat de préférence. Notre mouche « factotum »
permet de pêcher en eau morte (pas fameux), en eau claire et lisse, parfois en
eau sale, en eau vive, chahutée, en chute, dans les courants ; elle ne se
mouille jamais complètement, et son graissage n'est pas indispensable. On peut
avec elle passer de la noyée en sèche très facilement. Il suffit de quelques
faux lancers ou d'un séchage rapide dans un mouchoir sec, du papier buvard, un
morceau d'amadou. Cependant, si on se propose de ne pêcher qu'en sèche, il sera
préférable de graisser à l'avance, du bout du doigt, avec un mélange de
paraffine solide (3 parties) et de paraffine liquide (1 partie) fait à chaud,
puis refroidi.
Si, au contraire, on ne veut pêcher qu'en noyée, glycériner
la mouche ne sera pas mauvais.
Sa visibilité sur l'eau est très grande, l'emploi de deux
mouches de couleurs différentes (noire et rousse) permet, en plus des avantages
qu'il y a à pêcher avec un train de deux mouches, de les voir sur tous les
fonds, clairs ou sombres.
Étant de toute saison, elle rend inutile le choix de la
mouche exacte, qui demande au pêcheur une expérience que l'observation, la
pratique et le temps peuvent seuls donner. Enfin elle est d'une confection
facile, ne nécessitant aucun instrument spécial. Elle se monte à l'aide des
doigts seuls et d'une paire de ciseaux. Les matériaux : hameçons, plumes,
fil, en sont très simples et très faciles à se procurer. La taille de cette
mouche peut même, si l'on veut simplifier à l'extrême, être unique. L'hameçon,
à œillet de préférence, sera alors un n°12 ou 13. Les plumes seront prélevées
sur des coqs d'un an et demi ou plus, noirs, roux, gris. Choisir des plumes de
camail de préférence, parce qu'étant longues il suffit d'une seule pour monter
la mouche. À défaut, les plumes de collerette serviront pour les hameçons 15,
14, 13. Une seule plume sera souvent suffisante, sinon il en faudra deux, ce
qui rend le montage plus délicat. Quant au fil, il sera de soie, de coton
mercerisé, de coton à repriser, etc., peu importe, noir ou bleu foncé, et rouge
ou marron gris si vous faites des mouches grises. Enfin, un peu de cire
d'abeille, pour cirer le fil entre les doigts légèrement, et c'est tout.
Confection de la mouche.
— Voir « habiller » une mouche apprend plus
vite que de lire. C'est pourquoi j'ai recours à « un petit dessin »,
faute de mieux.
Nous avons éliminé de notre plume la partie duveteuse ab,
tout en conservant la nervure.
1er temps.
— Portons-la sur la hampe de l'hameçon (fig. 2) en
faisant coïncider le début des barbes avec le point a.
2e temps.
— Enroulons notre fil en serrant la nervure sous cet
enroulement de a vers b et retour en a, situé sur la
courbe de l'hameçon à environ 2 millimètres avant le point de tangence T(fig. 3).
Coupons l'extrémité du fil si elle dépasse et laissons-la pendre suivant aF.
3e temps.
— Tout en empêchant le fil de se relâcher avec la main
gauche, entortillons la plume autour de l'hameçon par-dessus le fil suivant une
hélice assez serrée jusqu'en b, situé à 2 millimètres de l'oeillet (fig. 4).
Empêchons la plume de se défaire en suspendant à son extrémité une pince à
ressort ou en la fixant, provisoirement, avec un bout de fil.
4e temps.
— Reprenons le fil F, enroulons-le sur notre plume
jusqu'en b en hélice de façon à bien fixer la plume. Il suffit de serrer
un peu et, par de petits mouvements de droite et de gauche, écarter les barbes.
Arrivé en b, enroulons-le fil entre b et l'anneau de l'oeillet,
de façon à faire une tête ; faisons une demi-boucle pour arrêter le fil.
5e temps.
— Nœud final : prenons dans la main gauche, qui
tient l'hameçon, l'extrémité du fil, faisons une bouche ouverte abcd,
plaçons dc sur db, enroulons abc sur de en tournant
vers B quatre ou cinq fois, tirons dc suivant le sens cd :
le nœud se ferme. Coupons le fil au ras du nœud. Nous avons ainsi (fig. 6)
une mouche qui pourrait être utilisée à la pêche ; mais, à l'aide de nos
petits ciseaux, nous la ramenons à ce qui est à l'intérieur du pointillé pour
obtenir finalement le résultat de la figure 7.
Il est presque inutile d'ajouter que la même mouche peut se
faire en gris, en diverses teintes de roux : alezan, brun et même gris
avec collerette brune, etc., suivant le goût ou l'intuition de chacun, qui
varieront par la pratique et les résultats.
On pourrait aussi agrémenter cette mouche de tinsel (fil
plat ou rond d'or ou d'argent), mais je trouve ce luxe parfaitement inutile.
J'ai les mêmes succès et les mêmes déceptions avec ou sans tinsel, et j'ai
renoncé, depuis longtemps, à ce supplément de travail. Cependant, pour celui
qui veut éprouver un plaisir esthétique — ça se soutient, — je
reconnais que le tinsel rend la mouche plus belle, plus attirante aussi ...
pour l'acheteur. Mais le poisson y est-il vraiment sensible ? That is the
question ...
En tout cas, noire, rousse, grise, etc., c'est toujours la
même quant à la forme.
Noire et rousse accouplées feront un tandem très meurtrier,
surtout sur les chevesnes, les vandoises, les truites, en toute saison, à toute
heure du jour, par n'importe quel temps, au moins entre les doigts d'une « vieille
main ». Quant au jeune, qu'il ne se décourage pas à la suite d'un insuccès
toujours possible, et qu'il pense bien que « la façon de donner vaut mieux
que ce qu'on donne » et que ça ne vient pas en un jour.
Mais je veux cependant terminer en disant aux courageux, aux
patients, aux tenaces, à ceux qui ont le temps (la passion le fait trouver), de
ne pas oublier la mouche exacte. C'est elle qui leur donnera les plus belles
joies.
P. CARRÈRE.
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