« Chamonix se meurt, Chamonix est mort, nous ne
sommes plus qu'un des hauts lieux de l'alpinisme. Et encore, les Anglais nous
désertent. Nous n'avons presque plus de raison d'être comme station d'hiver, me
disait, il y a un an, ce vétéran de la célèbre Compagnie des guides de la
vallée.
» Notre déclin d'hiver est dû au manque de soleil et,
la plupart du temps, au manque de neige. De plus, nous n'avons pas de pentes
faciles. Nos montagnes ne conviennent qu'à des champions. Nous sommes une ville
en sommeil dix mois sur douze. »
Depuis cet entretien, un an s'est écoulé, et Chamonix va
bientôt connaître à nouveau cette affluence et ce rayonnement qui firent de
lui, aux origines des sports de montagne, la capitale de l'hiver français.
Cette résurrection va s'effectuer sous le signe du plan
Monnet. Elle est un témoignage éclatant de l'intérêt porté actuellement par les
pouvoirs publics à l'équipement sportif du pays ; car l'exploitation
envisagée est considérable, elle ne coûtera pas moins de deux cents millions.
Elle est due en grande partie à l'initiative d'une équipe de
hardis prospecteurs avec, à leur tête, deux pionniers du ski : Armand Tairraz
et Gérard Simond.
C'est à force de recherches et de prospections qu'ils
découvrirent, derrière le Brévent, l'immense combe de Carlaveyron, vaste de
quatre cents hectares.
L'été, Carlaveyron n'est qu'un pâturage alpestre, semblable
à tant d'autres, peuplé de troupeaux et de rhododendrons, semé de rares
chalets. L'hiver, il offre la plus extraordinaire variété de pentes naturelles
que puisse rêver un terrain de ski. Depuis la simple piste d'exercice pour
néophytes, jusqu'aux pentes vertigineuses pour super-champions, on y trouve
toute la gamme de bosses et de moutonnements propices à la pratique du ski.
L'immense cuvette est située en dehors de la zone
avalancheuse et elle présente l'incomparable avantage d'être dépourvue
d'arbres, d'éperons et d'aspérités.
Si l'on considère que notre École nationale de ski et
d'alpinisme et notre Collège de moniteurs, aux Praz de Chamonix, ont longuement
pâti du manque de neige et du manque de soleil, on appréciera à son véritable
prix l'équipement de Carlaveyron ; car la combe est située à plus de 2.000
mètres d'altitude ; elle est assurée de neige permanente (de décembre à
avril), ensoleillée toute l'année.
Les champions et les moniteurs, l'École de haute montagne et
le capitaine de l'équipe de France, James Couttet, sont allés vérifier la
qualité de l'emplacement et en sont revenus enthousiastes.
Les grands travaux vont commencer le mois prochain ;
l'aménagement sera terminé pour 1951.
Une des difficultés majeures des stations de sport d'hiver
réside généralement dans l'éloignement des pentes praticables. Lorsque l'hiver
est doux, comme c'est le cas depuis trois années consécutives, chaque séance de
ski ressemble à une expédition. Il faut des heures d'attente aux bennes, et
quelquefois des heures de marche d'approche. Avec le nouveau téléphérique, un
skieur sera déposé à Carlaveyron dix minutes après son départ de Chamonix. Les
bennes assurent un passage de 500 personnes à l'heure. La piste de
l'Aiguillette offre une dénivellation de 1.300 mètres.
Avec le système de relais qui va entrer en pratique dès
l'année prochaine, un skieur de bonne classe pourra joindre Chamonix à Megève
en trois heures.
Ces différents avantages feront de Carlaveyron la station
idéale d'initiation et de pratique du ski.
À l'époque où nos rivaux suisses et italiens font une série
d'efforts considérables pour attirer à eux la clientèle internationale des
hivernants, il est réconfortant de constater que notre pays comprend
l'importance et l'urgence de l'équipement de nos montagnes.
Il faut en féliciter les responsables du plan Monnet et
l'Office du tourisme de Chamonix. Maintenant que la méthode française de ski
s'est implantée dans le monde entier, grâce à Émile Allais et ses disciples, il
est grand temps que nos installations de sport d'hiver répondent aux exigences
des visiteurs étrangers.
Notre sport, notre commerce, notre tourisme ont tout à
gagner avec de telles initiatives.
Gilbert PROUTEAU.
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