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La printanisation des blés

Le choix d'une variété de blé dépend d'un grand nombre de facteurs, parmi lesquels il convient de citer : le climat, la nature et la richesse du sol, la productivité de la variété, sa résistance aux maladies, sa précocité, sa valeur boulangère, etc., mais aussi l'époque du semis.

Au fur et à mesure qu'on avance dans la saison, le nombre des variétés de blés susceptibles de se développer, de monter et de mûrir diminue et, passé le 20 février, n'est plus guère que de deux douzaines, le choix se rétrécissant encore dans les quinze ou vingt jours suivants ; après le 15 mars, la prudence conseille de renoncer aux blés alternatifs pour recourir aux blés de printemps, qui finissent par s'imposer absolument.

Cette limitation oblige, pour les semis tardifs, à utiliser des variétés dont les qualités ne sont pas absolument celles qu'on aurait désirées, ce qui peut présenter de graves inconvénients quand un hiver rigoureux, comme celui de 1946-1947, vient anéantir une grande partie des emblavures d'automne et d'hiver, et oblige à réensemencer des superficies considérables.

La printanisation, ou vernalisation, en honneur depuis quelques années, semble avoir résolu ce problème.

Elle consiste, après avoir mis le grain en germination, à le refroidir à une température voisine de 0° C dans un frigorifique pendant une période de deux à six semaines. Après cette cure de froid, qui correspond, dans une certaine mesure, à l'effet des températures hivernales sur les grains en terre, le blé est susceptible de monter, d'épier et de mûrir, même s'il est semé à une date beaucoup plus tardive que la normale. Autrement dit, un blé d'hiver printanisé peut se semer passé le 15 mars, et les blés de printemps proprement dits deviennent inutiles, d'où choix accru des variétés, meilleure adaptation au milieu et rendements accrus.

Les expériences effectuées se sont montrées concluantes et on peut affirmer que, du point de vue scientifique et technique, le problème est résolu, et nombreuses sont les applications de ce procédé en matière de recherche scientifique, ainsi que chez les sélectionneurs.

On s'est demandé s'il n'y avait pas lieu de généraliser, et certains esprits audacieux sont allés jusqu'à envisager de supprimer les semailles d'automne et d'hiver, exposées à être détruites par les gelées, ou tout au moins à souffrir du froid, pour ne plus semer, au printemps, que des blés vernalisés.

C'est peut-être aller un peu vite en besogne. Outre les frais de l'opération et la charge imposée par la nécessité d'édifier les installations nécessaires pour traiter plusieurs millions de quintaux de céréales, on pourrait redouter une diminution des rendements due à une durée abrégée de végétation et une mauvaise répartition des travaux agricoles, tous reportés au début de l'année, au lieu de s'échelonner sur une période de plusieurs mois.

On éliminerait les risques de gelée, mais ceux-ci ne semblent pas tels, sous notre climat, qu'ils nécessitent une mesure aussi radicale et aussi onéreuse.

Sans aller aussi loin, on peut envisager le recours à la printanisation lorsqu'un hiver très rigoureux aura causé de grands dégâts, comme ce fut le cas en 1946-1947 ; cette année-là, ce procédé aurait été d'autant plus intéressant que les conditions climatiques de février-mars ont été aussi défavorables que possible et n'ont permis que des semailles très tardives, de sorte qu'en plus d'une exploitation on a vu des blés refuser de monter.

Il convient cependant de ne pas trop généraliser, et il est assez rare de trouver un pareil concours de circonstances fâcheuses. D'une façon générale, on peut, au printemps, effectuer les travaux en temps utile pour pouvoir utiliser, sans être obligé de recourir à la vernalisation, une collection suffisamment importante de blés alternatifs et susceptibles de répondre aux divers besoins.

Il n'en reste pas moins qu'en pareille circonstance on peut utiliser le procédé, et sans prétendre, faute d'installations suffisantes, qu'il y aurait lieu de le généraliser, il serait susceptible de rendre des services pour les semis les plus tardifs. Il permettrait notamment l'emploi de variétés qu'on tiendrait absolument à semer en raison de leurs qualités. Ce serait le cas, en particulier, en ce qui concerne la production des blés de semence. Leur prix de vente, plus élevé que celui des blés de consommation, ou simplement, pour ceux qui sont produits sur place, leur plus grande valeur, leur permettrait de supporter les frais inhérents à l'opération.

Dans certaines régions à climat hivernal particulièrement rude, il pourrait également être généralisé, le problème étant, en pareille matière, plutôt d'ordre financier que technique.

La printanisation ouvre donc des horizons nouveaux à la culture du blé, et s'il ne semble pas que chez nous, tout au moins, l'utilisation de ce procédé s'impose sous une forme généralisée, il est cependant susceptible de rendre de grands services dans divers cas particuliers.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 166