Dans notre article de décembre, nous avons exposé la question
des bois de mine et celle des poteaux de lignes. Nous allons maintenant étudier
des produits forestiers qui nécessitent un débit préalable, par fente, par
sciage, par tranchage ou par déroulage, avant leur mise en œuvre ; nous
conviendrons de les appeler « bois d'œuvre », par opposition aux
produits précédemment étudiés : rondins pour la papeterie ou le défibrage,
bois de mines, perches, pilots, poteaux de lignes, que nous appellerons « bois
d'industrie ».
Si on se reporte, d'ailleurs, aux textes anciens, on
constate que le mot « œuvre » servait, en construction, à désigner
toute la partie de la bâtisse située hors du sol. Le mot « œuvre »
est employé aussi en matière de construction navale. À cette époque, le mot « œuvre »
servait donc à désigner tous les bois qui recevaient d’autres utilisations que
le bois de feu, puisque les bois d'industrie n'existaient pas. Les bois
d'oeuvre étaient d'ailleurs débités par fente ou seulement équarris à la hache,
puis, plus tard, à la scie de long. Les moulins à scier le bois ne sont apparus
qu'après la Renaissance.
Dans cet article, nous nous proposons d'étudier les
principales utilisations actuelles des bois d'oeuvre.
Comment classer les bois d'œuvre ? Leurs utilisations
actuelles sont extrêmement variées. En outre, à côté des formes modernes de
débit, déroulage ou tranchage, subsistent des formes archaïques de façonnage :
fente des merrains, équarrissage à la hache des charpentes (par exemple les
charpentes dites lorraines). Enfin, un même utilisateur met souvent en œuvre
des bois débités de façons diverses. Le fabricant d'emballages vend des
tonneaux faits en merrains fendus et d'autres faits de planchettes sciées, il
fait aussi des récipients en bois déroulés ; l'ébéniste allie le placage
au bois scié, etc. ... On conçoit donc qu'il n'existe pas de
classification parfaite.
Nous essaierons de rapprocher notre classification du
classement commercial des bois tel qu'il avait été établi par la codification
du Bulletin officiel des services des prix du 24 décembre 1943,
qui, du point de vue technique, présentait d'incontestables qualités. Nous
commencerons par les produits dont la valeur est la plus faible, pour terminer
par les produits de choix.
Une « grume d'œuvre » (c'est-à-dire le fût d'un
arbre abattu propre à donner du bois d'œuvre) contient généralement diverses
catégories de bois.
1° À la base, une bille de pied, toujours de qualité
supérieure. Suivant les essences et suivant les provenances, la bille de pied
est « découpée » plus ou moins loin de la culée. Nous rappelons que
la « culée » est la partie de la grume provenant de la « patte »
de l'arbre, c'est-à-dire de la partie inférieure du tronc de l'arbre.
La « découpe » est l'emplacement de la section
limitant la portion de la grume intéressée par le cubage ou par le classement.
Elle n'est pas toujours matérialisée en forêt par un trait de scie. La plupart
du temps, elle ne s'exécute qu'en usine. Elle est souvent simplement marquée,
au moment de l'estimation, par un coup de griffe ou un flachis de marteau. La
bille de pied peut être découpée soit à la « couronne », soit au « premier
gros nœud ». La « couronne » est une découpe de forme qui
se situe à l'origine soit d'une fourche, soit de plusieurs grosses branches
amenant une forte diminution de grosseur du fût. Les arbres de taillis sous
futaie sont souvent découpés à la couronne. Le « premier gros nœud »
est une découpe de qualité qui se marque en deçà du point où existe, par
exemple, une branche qui se traduit, dans le bois du fût, par un nœud dont le
diamètre est supérieur à 5 p. 100 de la circonférence de la grume à ce
niveau. La découpe au premier gros nœud se marque souvent sur les grumes
feuillues d'essences dures des peuplements de futaie.
La bille de pied peut quelquefois se subdiviser en plusieurs
billes successives (première, seconde, troisième), correspondant à des qualités
et à des usages différents. La bille de pied d'un gros et beau chêne de futaie
pleine, de bonne provenance, peut, par exemple, contenir une première bille à
placages (découpe placages), une seconde bille à ébénisterie (découpe au
premier défaut) et une troisième bille menuiserie (découpe au premier gros
nœud).
Ces qualités : placages, ébénisterie, menuiserie,
seront étudiées par la suite.
2° Au-dessus de la bille de pied peut exister une surbille,
qui ne contient, en général, que des « sciages secondaires », par
opposition avec la bille de pied qui, elle, est capable de donner des sciages
dits « sciages classés ». Pour le chêne, par exemple, on appelle
sciages secondaires les bois à traverses, charpente ou fonds de wagons, et
sciages classés les bois de menuiserie, ébénisterie, tranchage, etc. ...
Il peut arriver cependant que, dans une surbille (toujours dans l'exemple du
chêne), existent, entre branches, des « billons » de faible longueur
et de faible diamètre, capables de donner des merrains ou des lames de parquet,
etc. ...
La surbille est généralement limitée, à son fin bout, par
une découpe dite « découpe marchande », qui est une découpe de
dimension effectuée à la limite entre le bois d'œuvre et le bois d'industrie,
ou le bois de feu. Chez les feuillus durs, la découpe marchande se marque à 70
centimètres de circonférence au moins (ce qui correspond à la grosseur minima
des traversines) ; chez les feuillus tendres et les résineux, elle se
marque à 60 centimètres de circonférence au moins (limite entre la caisserie et
le bois de mine).
L'exploitation et la vidange difficiles des produits dans
certaines coupes de montagne (par exemple dans les Vosges) amènent quelquefois
les exploitants forestiers à découper leurs grumes (principalement le sapin) en
tronces successives de longueurs fixes (4m,33 le plus souvent). Ces tronces
sont plus faciles à manipuler avec les schlittes ou les avant-trains. En
scierie, les deux ou trois premières tronces donnent des sciages de premier et
deuxième choix, les autres tronces ne donnent que du troisième et du quatrième
choix, principalement des bois de charpente. Ce type de découpe est donc assez
spécial.
Dans ce qui va suivre, nous allons examiner successivement
les caractéristiques et les principales utilisations des bois d'œuvre en nous
plaçant au point de vue du propriétaire de forêt pour le guider dans ses
estimations et dans l'orientation à donner à sa production.
Traverses de chemin de fer et bois d'appareils de voie.
— La S. N. C. F. achète, pour son compte
personnel et pour le compte d'autres utilisateurs, une assez grosse quantité de
traverses de chemin de fer, qui constituent pour les surbilles et les grumes à
sciages secondaires un débouché intéressant. Les caractéristiques des traverses
et des bois d'appareils sont données par un certain nombre de brochures très
claires éditées par la S. N. C. F. (N° 506 B et 634 A). Les bois
les plus utilisés pour ces fabrications sont : le chêne, le hêtre et, dans
une plus faible mesure, le pin maritime. Les surbilles de chêne et de hêtre,
nerveuses et noueuses, peuvent trouver là une utilisation, à condition qu'elles
soient saines.
Les petites grumes, flexueuses, brogneuses, de diamètre trop
faible pour faire des sciages et trop fort pour faire des étais, peuvent
avantageusement être transformées en traverses, soit, en forêt, à la hache et à
la scie de long, soit, en usine, avec un ruban à table mobile. Sont seuls
proscrits des défauts et altérations graves, tels que les gélivures, roulures,
fibre torse, pourritures blanche et rouge, échauffures, etc. ... Un mètre
cube de grume peut donner 5 à 7 traverses. Chaque année, la S. N. C. F.
a besoin de 4 à 5 millions de traverses. Elle ne semble pas, dans un proche
avenir, devoir se tourner vers d'autres matériaux que le bois. Les prix des
traverses sont malheureusement assez faibles, mais il ne s'agit pas là de bois
de choix ; on ne pourrait guère les vendre autrement que comme bois de
chauffage.
Les prix des bois d'appareils de voie, plus
rémunérateurs, rendent intéressante l'étude de la spécification de la S. N. C. F.,
qui leur est consacrée (N° 538).
Dans un prochain article, nous continuerons cette étude en
examinant successivement les bois de charronnage, les bois de charpente, la
menuiserie, la construction des wagons, la batellerie, la carrosserie, la
tonnellerie, l'emballage, l'ébénisterie et les emplois de choix des bois
d'œuvre.
LE FORESTIER.
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