L'âge des chevaux, quel que soit le genre de travail auquel
on les soumet, est un facteur important de leur valeur commerciale, celle-ci
devant naturellement varier avec la durée des services qu'ils pourront rendre.
Il n'est pas jusqu'à l'âge des chevaux destinés à la boucherie, fin dernière de
tant de bons serviteurs après une plus ou moins longue carrière, qui n'exerce
son influence dans l'estimation de l'acheteur. Et cet âge, bien qu'il doive se
limiter à quelques mois, n'entre pas moins en ligne de compte quand il s'agit
de jeunes poulains qui, pour des raisons diverses, seront dirigés sur
l'abattoir, pour devenir ensuite, à l'étal du boucher, « veau première
qualité » s'ils ne sont pas trop âgés.
Au point de vue des services, dont ils abusent le plus
souvent, malgré la réputation qui leur est faite d'« aimer » leurs
chevaux, les Arabes choisissent une monture d'après son âge en disant : « Sept
ans pour mon frère, sept ans pour moi et sept ans pour mon ennemi ! »
Ce qui laisse à entendre qu'on ne devrait jamais acheter un cheval ayant
dépassé l'âge de quatorze ans. C'est là un jugement beaucoup trop sommaire et
beaucoup trop sévère, dont nous pouvons constater chaque jour de très
nombreuses exceptions, car, s'il est vrai qu'il existe « de tous poils
bons chevaux », il en est aussi à tout âge et de tous les âges.
Beaucoup de personnes initiées, ou instruites par
expérience, quand elles « bouchent » un cheval — c'est ainsi
qu'on désigne l'examen de sa bouche et de ses dents, — jugent rapidement
et à peu près à coup sûr de son âge, du moins jusqu'à neuf ans ; mais, à
un âge plus avancé, les renseignements fournis par l'état de la dentition et de
ses modifications manquant de régularité et de précision, les différences
d'appréciation sont fréquentes et souvent grosses de conséquences (expertises,
assurances, procès, etc.).
Si la détermination de l'âge d'un cheval peut être faite de
manière tout empirique par certaines personnes ayant l'esprit d'observation et
une longue expérience pratique, il est plus normal et encore plus certain
d'arriver au même résultat après une étude sommaire de la nature des dents, de
leur structure, de leur répartition et surtout de leur évolution, qui est très
significative jusqu'à l'âge de sept ans, âge déjà fixé par les Arabes.
Le cheval a deux dentitions : celle de lait, ou de
poulain, qui est caduque, et celle d'adulte, ou de cheval, ou de remplacement.
D'après leur forme et leur situation sur chaque mâchoire,
les dents ont été classées en « incisives », « crochets »
et « molaires ».
La denture complète comprend quarante dents, dont
vingt-quatre molaires (six de chaque côté de chaque mâchoire), douze incisives
(six à l'extrémité de chaque mâchoire) et quatre crochets.
Les molaires sont séparées des incisives par un espace libre
appelé « barre », sur lequel repose le mors de bride quand le cheval
est harnaché et où poussent les crochets. Ceux-ci n'existent pas chez les
juments, sauf par exception, auquel cas les juments qui les portent sont
qualifiées de « brehaignes », ce qui, dans le langage courant, veut
dire qu'elles ne sont pas bonnes pour la reproduction (stérilité).
Les dents incisives fournissent sur l'âge les indices et les
renseignements les plus sûrs ; elles ont été divisées en « pinces »,
« mitoyennes » et « coins », considérées deux par deux de
chaque côté du milieu de l'arcade. Les deux premières sont de chaque côté de
cette ligne de démarcation, les mitoyennes viennent ensuite des deux côtés,
puis les coins.
Les incisives caduques de lait se distinguent de celles de
remplacement par leurs dimensions plus petites et une blancheur plus accusée ;
elles présentent aussi, entre la partie libre de la dent (couronne) et la
racine qui plonge dans la gencive, un étranglement marqué, le « collet »,
qui n'existe pas dans les dents adultes.
Deux substances bien distinctes concourent à la formation de
chaque dent : l'une blanche, nacrée, très dure, l’émail, constitue
l'enveloppe extérieure de l'organe ; l'autre jaunâtre, moins dure,
renfermée dans la première, est l’ivoire, partie osseuse de la dent.
Dans les incisives, l'émail extérieur, dit d'encadrement, se
réfléchit à l'extrémité de la partie libre de la dent et pénètre dans son
intérieur pour y former une cavité, nommée cornet dentaire. Un enduit
noirâtre tapisse le fond de ce cornet et forme ce qu'on est convenu d'appeler
le germe de fève.
L'ivoire est également creusé par une cavité qui s'élève de
bas en haut, jusqu'à la hauteur du cul-de-sac du cornet précédent dont elle
croise la direction en avant, en formant le cornet dentaire interne par
opposition au premier, le cornet dentaire externe.
Les incisives de la mâchoire supérieure correspondent
exactement à celles de la mâchoire inférieure, ce qui forme deux surfaces de
frottement s'affrontant exactement quand la bouche est fermée et sur lesquelles
s'inscrivent les modifications occasionnées par l'usure.
Quand une dent n'a pas encore commencé à s'user, on ne voit
partout que l'émail, à l'extérieur, sur les bords et à l'intérieur du cornet
dentaire externe. L'usure commençant, on aperçoit l'émail du cornet dentaire
séparé de celui des bords extérieurs par une couronne d'ivoire ; l'usure
augmentant et le cornet dentaire se remplissant de cément, on voit celui-ci au
centre de la dent, entouré de l'émail du cornet, puis de l'ivoire, de l'émail
extérieur et enfin du cément. Lorsque l'usure atteint le fond du cornet
dentaire, on ne voit plus que l'ivoire entouré d'émail. Enfin, l'usure
progressant, apparaît au centre de l'ivoire le cément, qui comble le cornet
dentaire interne, formant ce qu'on appelle l'« étoile dentaire ou radiale ».
Ces détails préliminaires étant connus, ceux qui désirent
apprendre l'« art de boucher un cheval » interpréteront avec plus de
facilité et de profit les changements qui se produisent, au cours des années,
sur la table dentaire des incisives, et qui feront l'objet d'un prochain
article.
J.-H. BERNARD.
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