La nécessité de produire beaucoup pour abaisser le prix de
revient du miel a amené depuis quelques années un certain nombre d'apiculteurs
à pratiquer la transhumance de leurs ruches, afin de profiter des diverses
miellées échelonnées dans le temps selon la flore, le climat et l'altitude.
Cette méthode, appelée si poétiquement apiculture pastorale, tendra à
s'amplifier de plus en plus avec les facilités de transport et surtout
l'abaissement de leur prix de revient. Elle est utilisée depuis longtemps déjà
aux U. S. A. et les Américains, gens pratiques avant tout, doivent y
trouver leur avantage puisqu'ils la font sur une grande échelle ; il est
vrai d'ajouter que, chez eux, les frais de transports sont bien moins onéreux,
étant donné les différences de prix des carburants.
Nous pensons cependant que, dans notre belle France aux
régions si variées, beaucoup d'endroits se prêtent à cette méthode. Il n'est
pas rare en effet que, dans un rayon de 100 ou 150 kilomètres, des floraisons
de plantes mellifères aient lieu à des époques différentes, permettant de
profiter au moins de deux miellées et, par conséquent, de faire deux récoltes.
Nous ne sommes pas pour cela dans l'obligation de faire des milliers de
kilomètres comme les Américains, heureusement, car il est probable alors que
l'opération ne serait plus rentable.
Disons tout de suite qu'un certain effectif est nécessaire,
afin que les frais engagés puissent être amortis sur un grand nombre de ruches ;
de ce fait, la transhumance n'est guère pratiquée que par les professionnels de
l'apiculture. De plus, il faut connaître exactement les dates de floraison des
plantes à exploiter, une erreur pouvant coûter cher dans ce domaine.
Enfin nul n'est certain de la réussite si la pluie, le froid
ou la sécheresse viennent entraver le travail des butineuses ou tarir les
sources de nectar ; il y a donc une part de chance, mais, en général, si
toutes les précautions sont prises, l'opération est profitable.
Dans notre région du Sud-Ouest, par exemple, la pastorale
pourra être faite au début du printemps sur les romarins des Corbières, au mois
de mai dans les plaines du Lauragais ou de l'Agout, pour profiter des sainfoins
puis des tilleuls, et en juin dans la Montagne Noire sur les châtaigniers et la
bruyère. Voilà trois types de miellées bien échelonnés qui nous permettront de
faire deux bonnes récoltes, sinon trois, la dernière étant laissée en partie
comme provisions d'hiver.
Pratiquement, celui qui a l'intention d'essayer l'apiculture
pastorale doit d'abord s'informer des possibilités se trouvant dans son
entourage. Si, par exemple, son rucher est situé en plaine, il devra aller se
rendre compte vers la fin normale de la miellée si, dans la montagne la plus
proche, une autre miellée n'est pas à son début. Ceci étant vérifié, il reste à
chercher un emplacement favorable, facile d'accès et à l'abri du vent, puis
d'obtenir l'autorisation du propriétaire du terrain. S'enquérir auparavant du
nombre de ruches déjà installées dans la région et, si possible, de leur état
sanitaire pour ne pas risquer une infection de son propre cheptel. Évidemment
ce n'est pas toujours bien facile, mais, en s'adressant à la direction des
services vétérinaire du département et au syndicat d'apiculture, on aura déjà
sinon une certitude sur ce point, du moins l'assurance d'avoir fait son
possible. De plus, ces mêmes services le renseigneront sur les formalités à
remplir (marques sur les ruches, certificats sanitaires).
Les ruches à employer seront sans pieds, ni auvent, ni
larges planches de vol, à toit plat, bref de construction simple, à
encombrement réduit pour utiliser au mieux l'espace disponible dans le camion
servant au transport. La Langstroth et la Dadant à cadres Hoffman sont
généralement les types de ruches les plus adéquats.
Pour la transhumance, il ne faudra prendre que les colonies
ayant un couvain bien fourni, ou tout au moins de jeunes reines capables d'une
ponte rapide et importante.
La veille du départ, remplacer le plafond par un cadre
grillagé de mêmes dimensions et le fixer, remettre le plafond en bois
par-dessus en attendant le chargement pour l'enlever. Il doit rester un vide
entre le grillage et le haut des cadres permettant aux abeilles de circuler.
Relier le plancher au corps s'il est mobile. Le soir, lorsque les butineuses
sont rentrées, fermer l'entrée avec une portière de zinc perforé dont les
tirettes sont fixées par des pointes, ou bien du grillage fin cloué avec des
semences de tapissier. Bref, il faut éviter qu'aucune abeille ne puisse sortir.
Charger les ruches sur le camion par étages, bien arrimer
dans les deux sens sur chaque rangée, afin que rien ne bouge pendant le
transport. Éviter la grosse chaleur pour voyager et pour mettre en place à
l'arrivée. Il sera bon qu'un apiculteur se tienne avec le chargement à
l'intérieur du camion, muni d'un enfumoir prêt à servir, afin de parer
immédiatement à toute sortie intempestive d'abeilles et éviter ainsi tout
accident.
À l'arrivée, si la chaleur n'est pas trop forte, mettre les
ruches en place avec les plafonds et toits et attendre que le bruissement se
soit calmé pour ouvrir les entrées. Le soir même, ou le lendemain, enlever les
cadres grillagés, bien caler les ruches et poser les hausses. Au sujet de ces
dernières, il est utile d'en avoir un jeu dans chaque endroit exploité pour
éviter des transports inutiles. Cette dernière façon de procéder est un peu
plus coûteuse au début, mais l'économie de frais de transports amortit
rapidement la dépense supplémentaire.
Cette méthode oblige à changer tous les ans les reines, qui sont
épuisées plus rapidement par une ponte intensive.
Comme inconvénients, on risque de ne pas réussir si les espérances
fondées sur les différentes miellées ne se réalisent pas. Les avantages sont
les suivants : récolte multipliée ; de plus, dans les colonies
déplacées, la ponte démarre plus vite au début de l'année ; ceci est la
conséquence d'un élevage tardif ayant produit un grand nombre de jeunes
abeilles, et chacun sait que ce sont surtout ces dernières qui sont aptes à
donner les premiers soins à la nouvelle génération.
Si, à la dernière miellée, on laisse suffisamment de
provisions de réserve, il est inutile de les compléter par du sirop de sucre ou
du candi, opération qui ne doit être considérée que comme un pis aller, et au
printemps la première miellée stimulera mieux la ponte que les savants dosages
du nourrissement stimulant, et d'une façon plus naturelle ; ce qui aura
pour résultat d'avoir des colonies rustiques et prospères.
Roger GUILHOU,
Expert apicole.
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