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Le renouveau du clavecin

Sortant d'un long sommeil de cent cinquante ans, le clavecin, grâce à la prodigieuse croisade de Wanda Landowska, ressort dans les salons, les concerts, les récitals.

Ce n'est plus l'objet de curiosité gardé dans un château ou un hôtel particulier. On ne se contente plus d'admirer ses peintures. Ce sont ses touches d'ivoire qui reprennent vie, avec leurs sons aigrelets, au milieu de sonorités précieuses, chaudes et lumineuses.

Grâce soit rendue à Wanda Landowska, qui dès 1920 faisait remarquer l'absurdité anachronique de jouer du Mozart, conçu pour un piano, sur l'orgue, mais aussi l'erreur de rendre des Fugues de Bach, prévues pour le clavecin, sur un piano, qui à cette époque était encore très loin d'être créé.

Extérieurement un clavecin se présente sous l'aspect d'un piano à queue, à cinq, six ou même huit pieds, mais c'est là sa seule ressemblance. C'est une grossière erreur que de prétendre le clavecin ancêtre du piano.

Pour le comprendre, il faut revenir en arrière et restituer l'ambiance des instruments de musique de ce temps.

On ne fait pas de distinction, pour l’emploi, entre l'orgue et le clavecin. Tous les deux servent au sacré comme au profane, à la cour comme à la ville. Mais ce qui est encore plus caractéristique est que les compositeurs écrivent une musique unique pour clavier.

Car tout est là : le clavecin est, comme l'orgue, un instrument à clavier, et peu importe que les sons soient produits par les vibrations de l'air dans un tuyau, ou une corde entre deux points de fixation.

Comme l'orgue, le clavecin possède plusieurs claviers et il a également des registres pour ensourder les sons.

Historiquement, et pour sa facture, sa filiation, le clavecin est un descendant de la harpe, car, comme elle, il a ses cordes grattées — on dit pincées — grâce à un bec de plume pointu. En plus, il possède des « sautereaux », c'est-à-dire des réglettes subissant l'action de la touche. Mais il existe aussi des étouffoirs de feutre, destinés à arrêter les vibrations de la corde. Le piano, lui, à ses cordes « frappées » par des marteaux, et il ne possède que deux pédales, au lieu des cinq ou sept pédales du clavecin.

Le clavecin est beaucoup plus riche de sons que son concurrent, mais il est essentiellement aristocratique comme instrument, car il ne suffit pas d'être musicien pour en tirer des harmonies. Son exécutant doit être à la fois pianiste, harpiste, organiste, car, à côté de la dextérité, il y a la registration, c'est-à-dire la substitution continuelle des jeux. C'est un romantique distingué, où le piano n'est qu'un bohème.

Le piano-forte du début du XIXe siècle est issu des monocordes, manicordion ; lui, au contraire, est un descendant glorieux et noble des épinettes, et virginal, ayant pour ancêtre commun le « psaltérion », puis le « tympanon ». Cependant, cadet de la trilogie des « claviers à cordes », il les éclipsera tous comme plus sonore que l'un et plus ample que l'autre. Mais le clavecin est aussi un objet d'art ; son couvercle s'ouvre en deux parties et contient les plus magnifiques peintures de l'époque signées de Brueghel, Rubens, Teniers, Van Dyck, et c'est tout dire. Caisses et pieds sont signés des plus grands ébénistes.

C'est de la dynastie des Ruckers qu'est issue la centaine de clavecins qui ornent nos musées. Il en subsiste quelques pièces célèbres sur lesquelles les fines mains de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Henriette de France ont plaqué des accords.

L'apogée du clavecin se situe au XVIIe siècle, car c'est l'époque où les facteurs ont atteint la plénitude, tandis que les maîtres compositeurs savent utiliser toutes ses ressources. Cependant, après 1715, on veut copier les nuances du violon, mais jamais on n'arrivera à briser un demi-ton en quart de ton.

Aujourd'hui, grâce à Wanda Landowska, le clavecin revit. Il a permis à la fois de revenir à l'austérité et à la puissance que la musique romantique avait éclipsées. Mais il ne recherche aucune revanche sur le piano : c'est à ses côtés et avec l'orgue qu'il se dresse majestueusement.

Certes, tout le monde ne peut payer vingt ou vingt-cinq millions un authentique Ruckers, mais ce qu'il faut, c'est contribuer à la croisade en se documentant par quelques livres peu coûteux, mais suffisants, et par l'acquisition de quelques photographies de ces merveilles d'art, de peinture et d'ébénisterie.

Janine CACCIAGUERRA.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 184