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Défense du chat

Notre illustre collègue Mme Colette a fondé un comité sous ce signe. Les chats ont-ils donc besoin d'être défendus ? Oui, tous les bons « Kritibi » qu'aiment les enfants de France risquent de revenir au logis sanglants et mutilés, pour peu qu'ils se soient écartés un peu de leur demeure. Les chasseurs sont leurs ennemis, d'abord parce qu'ils croient voir en eux de dangereux rivaux, ensuite parce que, généralement, ils ne les connaissent pas.

Pour connaître le chat, il faut avoir vécu dans son intimité. C'est un animal indépendant, fier et méfiant — méfiant parce que faible et trop souvent maltraité. Il ne se livre pas aux étrangers. La femme et l'enfant, qui le choient et le caressent plutôt que l'homme, peuvent en dire beaucoup sur ses qualités.

Cependant, je lis dans la liste des membres de comité en question un certain nombre de noms masculins, et des plus réputés. Dans le passé, bien des écrivains ont adoré les chats, depuis Pétrarque et Le Tasse jusqu'à Fontenelle, Hoffmann et Baudelaire. Les amis du chat sont légion, mais il existe dans le public un certain mépris, une certaine désaffection à l'égard de cet animal. Un jour que j'avais trouvé une très jolie chatte perdue dans un quartier de Paris, j'entrepris d'aller sonner de porte en porte, pour tenter de retrouver son propriétaire. Comment fus-je reçue ! ... J'en garde un souvenir honteux et attristé. Sur vingt maisons que je fis, il en fut bien quinze où l'on me jeta des éclats de rire au nez, quand ce ne fut pas pire. Se préoccuper d'un chat perdu, il faut, pour cela, être fou …

La défaveur dont souffre le chat a des origines historiques qu'il est facile de préciser. Introduit en France vers le Xe siècle seulement, le chat domestique fut tout de suite accusé d'avoir des accointances avec le diable. On assimila ses bruyantes amours nocturnes au sabbat des sorcières. Bien des gens sont influencés encore par ces superstitions défuntes. Le chat fut tellement haï qu'on eut, pendant plusieurs siècles, l'affreuse habitude d'en faire des « autodafés ». Quand on n'avait pas d'hérétique à brûler, on remplissait une cage de chats vivants et on y mettait le feu. Le peuple adorait ce spectacle et il est même dit que nos rois, de Louis XI à Louis XIV, y prirent un certain plaisir.

Pauvre humanité ! Comment s'étonner de la barbarie qui sévit encore dans le fond de tant d'âmes ?

Plaidoirie ridicule ? Non, elle ne l'est pas. Le chien et le chat, rendus sympathiques aux jeunes enfants par l'imagerie et par la radio, sont les amis du foyer, et ils en font partie. Ceux qui les tuent ou les blessent volontairement attirent sur eux des haines déplorables. Parlerai-je des vieilles filles, des veuves, des mères en deuil, de tous ces humbles dont le chat familier est l'unique confident ? Une affection est toujours respectable, quel qu'en soit l'objet.

À la radio, Mme Géraldine Gérard, qui dirige les émissions enfantines, s'est émue de la menace qui pèse sur nos chats, et elle a invité ses petits auditeurs à protester par de nombreuses lettres contre un décret qui semble, en effet, inconsidéré. Elle a insisté sur ce fait que les chats détruisent, mieux que tout procédé scientifique, les souris et les rats : les rats porteurs de maladies et qui détériorent des tonnes de denrées. Mieux que cela : les chats tuent les vipères. J'en suis personnellement témoin, habitant une région proche de la forêt de Fontainebleau où les vipères abondent. Jamais ces dangereux reptiles n'ont franchi le treillage de ma petite propriété, parce j'y ai des chats. Dans le voisinage, on m'a rapporté bien souvent les hauts faits d'héroïques petits minets qui s'étaient attaqués à des vipères et les avait mises à mal, malgré de cruelles morsures. Le venin de ce serpent rend le chat très malade, mais, en général, il n'entraîne pas sa mort.

Cela ne mérite-t-il pas quelque indulgence de la part des fervents nemrods, à qui je pourrais dire encore qu'un chat convenablement nourri ne chasse guère les lapins, que la coccidiose fait, dans les nichées de garenne, des ravages bien plus considérables, que les autos en écrasent par centaines toutes les nuits, sur la route, et qu'enfin le lapin est un animal nuisible aux cultures, plus que le chat ne l'est au gibier ? Amis chasseurs, je vous demande un peu de tendresse pour ces petits félins qui désirent tellement aimer l'homme et s'en faire aimer ! Sans doute, Buffon en a fait un portrait peu avantagé, qui est dans toutes les mémoires. Mais un autre naturaliste, Wood, n'a pas hésité à écrire :

« Je doute qu'il y ait aucun animal au monde qui demande autant d'affection que le chat et qui soit aussi capable de répondre à l'affection qu'on lui témoigne. »

Lorsque, après une brève absence, je reviens à mon domicile, mes chats fêtent mon retour avec autant de joie que mes chiens. C'est une joie moins turbulente, mais peut-être plus profonde. J'ai connu une chatte qui s'est laissée mourir de faim après le départ de sa maîtresse. Le vétérinaire à qui on la porta déclara qu'il n'y avait aucun remède et que le fait n'était pas rare. L'animal meurt positivement de chagrin. Mais déjà des chasseurs étrangers, de passage dans le pays, ont tué trois de mes chères petites bêtes, des angoras de prix. N'y a-t-il pas là une atteinte au droit de propriété, que l’on respecte si bien lorsqu'il s'agit de poules ou de bestiaux errants ? Nul n'a le droit de tuer ou de s'approprier le mouton du voisin, même s'il le trouve en plein bois. Pourquoi aurait-on le droit de tirer, tout près de chez moi, dans des champs, sur mes gentils amis, sur les compagnons tendres et ronronnants de toutes mes heures diurnes et nocturnes, sur les dieux lares de mon foyer, mystérieux et magnétiques, si merveilleusement beaux avec leurs yeux d'or ?

Dans son livre admirable Des Bêtes qu'on dit sauvages, A. Demaison conte l'amour passionné que lui voua une lionne. L'amour de la chatte ou du chat pour l’être humain qui le soigne est de cette nature : violent, jaloux et absolu. Mais il garde toujours un esprit de fantaisie et de caprice. Il change d'idée avec une rapidité surprenante, comme on peut l'observer dans ses jeux, d'une agilité et d'une rapidité déconcertantes.

Sa sensibilité est extrême. Le chat peut pleurer, non qu'il verse des larmes, mais son visage se contracte en un rictus, et l'on entend sortir de sa gorge quelque chose qui ressemble à un sanglot. Une de mes amies a constaté ainsi qu'au moment où l'on mettait en bière le corps de son père le chat de la maison-avait sangloté ! Moi-même, j'ai vu sangloter mon plus vieux chat, alors qu'il était jeune encore, et que sa chatte venait de mettre au monde un chaton mort. Ce chat avait la fibre paternelle extraordinairement développée et, par la suite, il veilla sur ses petits mieux que ne le faisait leur mère. Il n'était pas nécessaire qu'ils fussent de son sang. D'ailleurs, chats et chattes adoptent très volontiers les petits étrangers qu'on leur apporte. Une de mes chattes, au moment où sa fille allait mettre bas, se coucha près d'elle, l'assista et nettoya les chatons au fur et à mesure de leur naissance. Tous ces faits m'ont donné à penser que le félin est bien, comme l'affirmait un zoologiste, l'animal dont la vie familiale se rapproche le plus de celle des humains.

Amis chasseurs, je vous soumets encore l'anecdote que voici : un jeune homme avait l'habitude de tirer, par sa fenêtre, sur les chats de ses voisins. Un jour, il en atteignit un à la tête. L'animal ne mourut pas tout de suite, mais poussa des cris effroyables, de sorte que le jeune homme le ramassa et l'emporta chez lui, craignant des représailles. La pauvre bête agonisa pendant plusieurs jours, et le jeune homme, qui s'était mis à la soigner, aurait beaucoup donné pour ne pas avoir commis cet acte idiot. Le souvenir l'en poursuivit durant toute sa vie, et il ne peut plus voir un chat sans un douloureux serrement de cœur.

Pour finir, je ne puis mieux faire que de citer les jolis vers de Clovis Hughes :

Maudit soit l'homme triomphant
Qui, dans la plainte de la bête,
N'entend pas le cri de l'enfant !

Germaine CLARETIE.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 186