Nous le connaissons depuis bien longtemps, le héron cendré,
depuis que le charmant La Fontaine nous a doctement appris qu'il était « au
long bec emmanché d'un long cou ». C'est sûrement un des oiseaux dont la
taille et l'envergure sont les plus importantes de ceux qui traversent notre
pays ou y séjournent.
À côté de lui, nous recevons le héron pourpre, le
blongios, le héron butor, le garde-bœuf, le crabier, le bihoreau.
J'ai vu des hérons cendrés en Brière vers les Avortes et en
ai connu pendant des années une colonie de trente à quarante.
Ils étaient terriblement farouches et très fins,
s'éloignaient au moindre bruit.
La seule méthode à employer, si l'on veut mettre un héron
dans sa collection, c'est de l'attendre à l'affût et de le tirer à portée. Le
premier héron que j'ai tiré, je l'ai tué après deux heures d'attente.
Ils arrivaient pesamment, les pattes raides et prolongeant
le corps. Un me passa à une vingtaine de mètres et tomba bien raide. C'est le
seul héron cendré que j'ai tué pendant la longue période de mes chasses de
Brière. J'étais heureux d'avoir un spécimen de cet oiseau, car j'ai pu
l'empailler et le joindre à une collection d'oiseaux de la Garenne.
La plupart des hérons n'étant pas comestibles, on peut se
demander pourquoi nos rois avaient créé des héronnières ; il semble qu'ils
étaient friands de ce gibier. N'était-ce pas plutôt pour servir d'ornement sur
la table de la salle à manger ?
On disposait ces oiseaux bourrés de mousse, un au milieu, un
à chaque bout de la table, où ils ne pouvaient manquer d'être très décoratifs.
Cependant mon ami Joseph Oberthur, dans son beau livre Gibier de notre pays,
donne une recette pour déguster ces oiseaux.
« En effet, les gros muscles de la poitrine, piqués et
marinés à point, si le sujet n'est pas trop vieux, composent un plat de haut
goût qui peut être servi au plus exigeant des gourmets. »
Il est à remarquer que les sens de ces oiseaux sont très
développés : leurs oreilles sont sensibles au moindre bruit, leurs yeux, à
moins que vous ne soyez habilement protégé par les roseaux, sont très
sensibles, et leur odorat est d'une extraordinaire acuité.
Lorsqu'en Brenne ou en Sologne on mettait des étangs en état
de pêche, nous nous cachions pour admirer le spectacle. Les hérons des
environs, sentant le poisson de bien loin, venaient gloutonnement déguster les
carpeaux, les anguilles et autres poissons de l'étang.
Au point de vue de la migration, un de ces oiseaux, je l'ai
dit dans un article sur le baguage des migrateurs, qui avait été bagué vers
Saint-Omer, a été jusqu'aux îles du Cap Vert, à 5.000 kilomètres de son point
de départ. C'est, je crois, le plus grand parcours d'un héron migrateur. Laissez-moi
vous dire que, fatigué d'avoir si longtemps battu des ailes, exténué, il a été
recueilli par un cargo qui a pris bonne note de son lieu de départ.
Aux environs de 1924, j'avais acheté un fusil calibre 10 qui
reculait d'épouvantable façon.
Vers le centre de la Brière, à quatre-vingts mètres, partit
des roseaux épais, un héron pourpre. Je le tirai avec du 4 et il tomba ;
moi aussi. Mon pilote, Albert, se dirigea à la grande allure de son punt vers le
point de chute.
Le héron était en posture de combat, sur le dos, agressif.
Bob, qui l'avait aperçu de loin, se précipita sur le héron, qui s'agrippa à la
patte du chien et visa l'œil. Il le manqua par bonheur et le fusil, appuyant
sur le cou du héron, nous permit de le prendre solidement par le cou et les
pattes, terminant ainsi sa vie d'escrimeur malheureux.
Ce héron, plus petit que le héron cendré et de couleur
pourpre, est d'une tonalité générale splendide. Nous en avons beaucoup en
Brière au moins d'août.
Après cette séance, où j'avais vu ce bel oiseau piquant rechercher
les yeux de mon chien bien-aimé, nous sommes rentrés à la garenne et, la nuit
suivante, je fus dans mes rêves assailli par un oiseau pourpre qui piquait de
son bec mon œil avec énergie. Le plus souvent, les rêves s’expliquent. J'ouvris
l'électricité : une quantité de moustiques me piquaient de leurs dards sur
l'œil. Je les écrasai de la paume de ma main, comme j'avais mis fin aux piqûres
du héron pourpre dans la matinée.
Le lendemain matin, une bande de sarcelles se présenta à ma
hutte. Je me dis qu'avec mon 10, quand elles seront bien groupées, je les
tirerais facilement. Je les tirai et en tuai deux, mais le coup du calibre 10
faillit me sortir du bateau. Albert riait aux éclats ... « J'ai
probablement mal épaulé », dis-je. Il prit le fusil et, comme pour essayer
l'arme, deux colverts vinrent complaisamment se poser à peu de distance des
canes, au milieu des canards en bois. Après avoir bien épaulé, Albert prit son
temps et tira ; il tomba à l'eau et se releva avec le fond tout trempé.
C'était à mon tour de rire, et je décidai de vendre mon calibre 10.
J'ai tué en Brière un héron blongios ; il a un aspect
neutre et la seule distinction de ce petit nain est une souplesse du cou
vraiment acrobatique. Enfin, toujours dans le même marais, j'ai tué une certaine
quantité de hérons butors aux plumes légères, et pourquoi, parce que ce héron, sans
être d'un goût parfait, peut être mangé assez agréablement. L'ensemble de son
plumage est jaune strié de marron et de noir ; sur le devant du cou,
quatre bandes longitudinales sont rousses. Il se reproduit en France, en
Belgique, et sur certains points des Îles britanniques.
Pour avoir l'occasion de tirer un héron garde boeufs il faut
aller en Camargue. Cet oiseau monte sur le dos des taureaux pour les
débarrasser des tiques et autres bêtes qu'ils aiment et que les boeufs n’aiment
pas. Son plumage est allongé, au-dessus de la tête il forme une huppe pendante,
d'une couleur rouillée, et le dos est jaune fauve.
D'après les ornithologues, le héron crabier porte une huppe
pendante de couleur crème avec les plumes extérieures brun foncé ; le bec
est noir, les pattes sont d'un jaune verdâtre.
On le rencontre peu en France d'une façon générale. En
Brière, un de mes camarades en a tué un.
Le héron bihoreau est un oiseau dont la teinte générale est
noir verdâtre. Le front, le menton, le devant du cou, la poitrine, l'abdomen
sont blancs ; i1 faut remarquer que l'incurvation du bec à la pointe est
une caractéristique de ce héron. Il avoisine le littoral méditerranéen, mais je
crois que sa reproduction est très rare en France ; il habite le Centre et
le Sud de l'Europe.
Voici la revue que je viens de passer des hérons grands et
petits. C'est un oiseau que j'aime non en gastronome, mais en amoureux des
beaux spectacles que la nature, bien souvent, nous réserve.
À la volée du soir, un héron gris qui se détache en volant
sur les teintes rouges du soleil expirant au ras des roseaux, n'est-ce pas un
très beau tableau ? En dehors des coups tirés pour l'empaillage de votre
collection, protégez les hérons, qui savent si bien se marier avec la nature
que nous aimons et forment une des décorations artistiques les plus belles que
je connaisse au marais.
Jean DE WITT.
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