Le bruit a couru en France, il y a quelques années, de la
décision prise par nos voisins de transformer en petits chiens de 0m,40
tout leur cheptel de courants.
Il n'en est rien, heureusement pour qui s'intéresse à ces
races susceptibles de fournir de précieux auxiliaires tant pour la chasse à tir
que le courre du lièvre en particulier. La mesure n'a pas été appliquée avec la
rigueur qu'on pouvait redouter.
Ce qui est vrai est qu'on procède à l'unification des
races suivantes autour d'un type qui va être décrit : la Lucernoise,
la Bernoise, la race du Briquet suisse blanc orange, le Bruno
type Bruno, à l'exclusion du Bruno type Saint-Hubert, dit encore
chien de l'Aargau.
Voici les textes officiels :
« Tous les chiens courants suisses, à l'exclusion du
Bruno du Jura, type Saint-Hubert, ont, en dehors de la couleur et de la nature
du poil, uniformément les mêmes caractères généraux.
Tête : sèche, longue, étroite et proportionnée à
la taille du chien, la cassure du front marquée. Le museau allongé avec le
chanfrein finement dessiné et légèrement busqué ...
Truffe : noire avec narines largement ouvertes ...
Oreilles : attachées bas et en arrière, très
longues et tombant plissées. Elles sont étroites, souples et couvertes de poil
fin.
Cou : sans fanon appréciable.
Poitrine : profonde, pas trop large, coffre pas
trop arrondi, etc., etc.
Pour finir : « pas d'ergots ».
Ce résumé suffit à donner idée du type distingué et élégant
désormais en honneur. On voit donc disparaître l'oreille plate du Briquet blanc
orange et du Bernois, telle qu'elle figure sur les photographies anciennes des
représentants de ces deux races. Le prototype choisi se rapproche beaucoup par
la silhouette du Lucernois, moins de celle du Bruno type Bruno, léger et
élégant lui aussi, mais moins oreillé.
Comme on le sait, la livrée du Lucernois est très
exactement celle du chien de Gascogne, ainsi que le standard en fait foi.
Celle du Bernois est toujours tricolore :
blanche, noire et feu pâle ou vif sur les yeux, joues, face interne des
oreilles et naissance de la queue. Grandes taches noires et quelques points
noirs clairsemés sur le corps.
Le Bruno, unicolore brun jaune ou brun rouge, selle
noire ou robe noir et feu. Quelquefois marque blanche au poitrail.
Le courant blanc orange porte des taches plus ou
moins grandes, orange ou rouge jaune. Tolérés le manteau rouge et quelques
points rouges clairsemés.
Tous ces chiens établis dans le gabarit plus haut décrit.
On peut regretter à ce propos qu'il ait été parlé de « tête
étroite ». Lorsqu'on cultive un modèle remarquable par la distinction et
bâti dans le style ogival, le danger est d'exagérer dans ce sens et de produire
un jour des chiens rétrécis, ne brillant ni par la résistance, ni par
l'intelligence.
L'image illustrant l'en-tête du papier du Club ne satisfait
pas entièrement l'aimable président, qui estime le chanfrein pas assez carré ni
assez étoffé, en tout cas trop conique. Il est bon de le signaler. La taille normale
souhaitée va de 0m,44 à 0m,50. La taille minimum admise, 0m,40,
n'est pas recherchée. Elle a été imposée par des règlements qui n'ont rien à
voir avec la cynotechnie. Surtout chez les Lucernois, on peut voir des sujets
de 0m,50 à 0m,57 ; tout ceci peut intéresser nos
compatriotes, surtout les éleveurs de petits Gascons, auxquels ressemblent les
étrangers, peut-être déjà alliés avec nos Gascons.
Sur le terrain, je n'ai vu à l'oeuvre que le Bruno du Jura
classique, chassant avec un équipage de Harriers noir et feu. Ces deux chiens,
élégants et distingués, assez légers, atteignant environ 0m,50,
étaient exactement du modèle de « Sibeau » et « Sibelle »,
figurant à la page 898 de la monographie générale du comte de Bylandt. Sauf
l'oreille, moins importante alors que celle maintenant recherchée, la tête
sèche et bien ciselée de cette paire ne diffère par ailleurs pas de celle au
goût du jour. Les chiens que j'ai donc vus m'ont fait penser, d'après leur
travail actif et intelligent, qu'ils pouvaient fournir d'excellents
collaborateurs pour tous ceux qui apprécient l'activité intelligente et les
initiatives. L'âme briquette, si indispensable au chien à lièvre, n'est pas
morte en eux. Il en est ainsi de tous ceux originaires de régions montueuses où
l'aide du chasseur est nulle, le chien devant donc se débrouiller seul dans les
embarras.
Une de ces variétés de courants est à peu près certainement,
comme l'a écrit le marquis de Poudras, l'ancêtre du chien dit de Porcelaine, si
profondément transformé par les croisements, le premier étant le Normand,
auquel il doit la chasse scrupuleuse et peu perçante de certains de ses représentants,
depuis alliés au Harrier et à quelques autres pour lui rendre de l'allant. Le
retour à l'ancêtre était le procédé de choix. Il n'a pas été tenté, à cause
sans doute de notre ignorance. En tout cas, je le signale aux intéressés.
Comme je l'ai dit, je sais de source directe qu'une très
belle lice Petit Bleu de Gascogne que j'ai jugée a été exportée avant la guerre
pour être alliée à la variété de Lucerne. L'idée est très heureuse. Il serait
très intéressant de connaître les résultats de cette union du point de vue de
la psychologie des métis. En tout cas, l'expérience méritait d'être tentée.
Enfin, tout à fait à part dans la série des courants
suisses, vient le Bruno type Saint-Hubert, ou chien de l'Aargau, dont
voici la description officielle :
« La robe est exactement celle de l'autre Bruno »,
mais la ressemblance s'arrête là. En effet : « C'est la variété la
plus lourde. Son dos long et large, ses membres à forte ossature, son fanon,
mais surtout sa tête lourde et massive, avec son long museau, ses babines, son
front plissé et son œil au regard profond et mélancolique, ainsi que ses
oreilles attachées bas, longues et plissées, le font plus particulièrement
remarquer. »
C'est bien un Saint-Hubert ou plus exactement un dérivé du
Bloodhound moderne, car on dit plus loin : « Tête puissante et
lourde, crâne large et très voûté, cassure du front prononcée. Museau long et
large, babines très développées, front très ridé, forte saillie occipitale »,
etc.
N'insistons pas, nous sommes fixés. C'est un modèle lourd,
très caractéristique du chien chassant scrupuleusement par la voie, un élément
de retrempe recommandable pour chiens volages ; de ce point de vue,
précieux. Jadis le grand maître qu'était M. Hublot du Rivault recommandait en
certains cas l'alliance avec le Bloodhound. Mais si tels chiens font aussi des
limiers, des rapprocheurs peut-être, ce ne sont jamais des preneurs. La vénerie
française a eu le pur Normand, de même moral et structure, différencié
seulement par la couleur de la robe. Or l'usage utile de ce chien était limité
à certaines fonctions. Le meilleur service qu'on lui ait rendu a été de
l'allier au chien du Poitou.
Ces chiens lourds aux tissus relâchés et dénués d'influx
nerveux sont les produits d'une sélection outrancière dans le développement de
certaines particularités devenues par leur outrance même de véritables
monstruosités. L'exposition porte une lourde responsabilité dans la production
de ces excès.
En terminant, je voudrais dire un mot de cette vue de
l'esprit qui voit dans le Bloodhound moderne le descendant légitime et direct
du Saint-Hubert médiéval. Celui-ci, figuré dans le manuscrit de Gaston Phœbus,
se présente sous l'aspect d'un chien fauve à manteau noir, au crâne large, plat,
court et épanoui, la face courte et carrée, sans rides, l'oreille plate et ronde
de l'extrémité, le corps dans la formule plein cintre, près de terre et un peu
long, le fouet espié et faucillé. Qui trouve en ce personnage la moindre
ressemblance anatomique avec le Bloodhound a beaucoup d'imagination. Celui-ci,
rien qu'avec un crâne oxycéphale, une cage thoracique de style ogival et ses
oreilles papillotées, en diffère complètement. La structure brachycéphale de la
tête du premier, son corsage plein cintre n'ont rien de commun avec son
prétendu descendant le Bloodhound. Celui-ci est, au contraire, étroitement
apparenté à feu le Normand. Il y a plusieurs années, j'ai publié en cette revue
un article le démontrant, illustré de l'image au trait des deux compères.
Je n'insiste pas, mais, en finissant cette causerie
consacrée aux chiens suisses, je suis satisfait d'avoir été amené à traiter à
nouveau cette question. Lorsqu'une vue erronée s'est implantée depuis des
lustres, elle jouit toujours d'un prestige explicable par l'existence du
principe de moindre effort qui fait accepter les opinions courantes sans
vérification. Celle-ci a assez duré. Bien que je n'espère pas la démolir,
j'estime que toute erreur doit être battue en brèche, même si on ne doutait pas
de sa survie. La légende a toujours été préférée à la vérité, et ceci ne fait
qu’ajouter à la nécessité de rompre des lances en faveur de la vérité.
R. DE KERMADEC.
|