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Le chien d'arrêt

et la nouvelle autodéfense du gibier.

Ceux qui pratiquent la chasse au chien d'arrêt depuis une vingtaine d'années, et encore mieux ceux qui la pratiquent depuis plus longtemps, sont bien obligés de constater qu'il y a quelque chose de changé dans cette pratique, tout au moins quant à la chasse d'été en plaine, au perdreau et à la caille.

N'ayant personnellement pas connu ce qu'était cette chasse dans les régions de la moitié Nord de la France avant 1939, je ne puis, à son sujet, que comparer par ouï-dire ; mais je constate que, dans ces régions comme dans les contrées méridionales, la chasse en plaine au chien d'arrêt est aujourd'hui en général fort éloignée de la chasse classique. La perdrix grise, réputée de mœurs adéquates aux arrêts fermes, s'y prête de plus en plus rarement, soit qu'elle piète, soit qu'elle prenne son essor à des distances intirables, pour faire sa remise en général très loin, où, bien souvent, elle n'est plus quand le chasseur y arrive. Les gris étaient pourtant, jadis, de mœurs plus sociables. Lorsqu'il en existait encore, concurremment avec les rouges, dans le Sud-Ouest, il y a plus de vingt ans, hélas ! le chasseur devinait leur présence dans les prairies artificielles, leur habitat préféré, à l'arrêt de son chien, subit, ferme et prolongé. Ces oiseaux, même tirés, se remisaient à deux ou trois cents mètres, quelquefois moins, s'y prêtaient encore à l'arrêt avec la même complaisance et partaient toujours en paquet à vingt mètres. C'est peut-être ce qui a causé leur disparition dans les chasses méridionales. Plusieurs chasseurs de la région parisienne affirment qu'avant la guerre il n'était pas rare d'être obligé de battre les betteraves avec des rabatteurs bruyants, ou armés de bâtons, pour faire lever les» perdreaux gris. Plus n'est besoin de ces tam-tams aujourd'hui ! J'ai vu près de trois cents perdreaux en un jour de chasse dans l'Eure, Seine-et-Marne ou dans l'Oise, sans pouvoir en tirer un seul.

Chassant, par contre, les perdreaux rouges et la caille, en été, depuis 1918, dans les régions méridionales, j'ai pu noter (et l'ai fait par écrit au jour le jour depuis 1925) l'évolution de leur comportement. Il fut un temps où l'on était sûr de trouver une compagnie de rouges dans un rayon de deux cents mètres aux mêmes heures de la journée, vigne ou maïs en général. Aux heures les plus chaudes d'août et septembre, on les trouvait parfois à l'ombre d'un buisson, sur les bords d'un ruisseau couvert d'épais ronciers, dans les peupleraies, à l'orée d'un bois clair, mais rarement au cœur des bois, sauf sous la pluie. Vint une époque où, dès que le soleil flottait au-dessus des coteaux, presque tous les perdreaux gagnaient le cœur des bois, généralement très fournis et impénétrables en été. Sans doute en trouvait-on encore quelques-uns dans les maïs et, de plus en plus rarement, dans les vignes, mais après une ou deux remises ils gagnaient aussi le fourré. Dans les régions parsemées de boqueteaux, cette tactique n'a cessé de s'affirmer de plus en plus, et ces remises étant, je le répète, inviolables avant la mi-octobre, elle a fait croire quelquefois à une raréfaction du gibier perdreau plus apparente que réelle. Il y a deux ans, nous mettant en chasse avec un ami, au lever du soleil, sur un coteau du Moissagais, où, les jours précédents, nous n'avions vu que de rares et farouches perdreaux, nous vîmes dans un chaume trois compagnies au gagnage comptant ensemble une trentaine d'oiseaux ; prenant l'essor à deux cents mètres, chacune d'elles plongea au milieu d'un bois au flanc de la colline ; il était vain d'essayer de les en déloger ; nous marchâmes cinq heures durant pour ne lever qu'une autre compagnie et quelques isolés dans des maïs ou une haie. De plus en plus souvent, nous constatons ceci : avant l'ouverture, les cultivateurs annoncent de nombreuses compagnies ; dès le jour de l'ouverture, les chasseurs en voient peu et quand, parfois après plusieurs heures de marche, ils en rencontrent une, elle gagne les bois ou se disperse dans les ronciers.

Cette auto-défense a sûrement pour cause l'augmentation croissante des chasseurs de perdreaux qui les harcèlent. Je crois aussi qu'elle obéit à un instinct de conservation collectif de l'espèce, et non seulement de l'individu. J'émets cette opinion parce que j'ai constaté qu'en une contrée où le perdreau abondait en 1947 autant qu'en 1918 il n’adoptait pas cette tactique, malgré le nombre des chasseurs, et se laissait chasser exactement comme en ce bon vieux temps où les compagnies vrombissantes jaillissaient à l'arrêt des chiens dans les maïs et dans les vignes permettant d'essayer le doublé, mais là où il est en régression certaine, quoique présent même quand il est invisible, le perdreau se tient au fourré. Il n'y est d'ailleurs pas immobile ; à peine a-t-il glissé sous le roncier, il piète à la vitesse d'un lapin, s'y enfonce, le longe, ou, s'il n'est pas assez profond, le quitte à pattes ou s'envole sans bruit pour en gagner un autre. Quand le chasseur arrive à l'endroit où il l’a vu entrer, il trouve buisson creux.

Dans les régions où les bosquets sont plus rares, dans certains coins de la Gascogne, par exemple, la compagnie, dès le soleil levé, se tient au milieu d'un labour (on laboure plus tôt en raison des blés précoces) et, là, le vieux coq faisant sentinelle, ce n'est qu'avec un canardier qu'on pourrait tenter les tirer.

Bref, même avec les meilleurs chiens, tirer un perdreau après un rapproché coulé, arrêté et bloqué, devient une exception qui pose le problème du rôle et de l'emploi classique du chien d'arrêt.

La caille aussi a changé de tactique. Certes, sa réputation d'oiseau piéteur lui fut toujours, à juste titre, acquise ; il y a trente ans, comme il y en a cinquante, elle mettait parfois à une rude épreuve la sagacité des plus vieux chiens bien routinés ; mais, après quelques zigzags dans un chaume, on la voyait souvent marcher dans un sillon, à six mètres devant le chien, qui réglait son allure féline sur elle et finissait par la bloquer dans une pose de statue. Le chasseur pouvait alors à loisir, selon ses goûts, bourrer sa pipe ou photographier la scène. Manquée, elle se remisait à cinquante ou cent mètres et le manège recommençait.

Il en va autrement de nos jours. Surprise, elle s'envole dès que le chien a esquissé l'arrêt ; manquée ou non tirée, elle fait souvent sa remise à plus de cinq cents mètres, piète aussitôt et repart même avant l'arrivée du chasseur. Enfin — est-ce l'effet de l'extrême sécheresse ? — tous les chasseurs méridionaux ont constaté qu'au cours de la saison dernière les cailles prenaient leur essor, tout comme des perdreaux, avant que les chiens en aient pris connaissance. Comme des perdreaux également, et presque à la même vitesse, on a vu des cailles piéter dans les maïs devant un chien d'arrêt sérieux obligé de les suivre au galop. Et là aussi se pose le problème du rôle et de l'emploi du chien.

Certes, sur le papier, la théorie l'a déjà résolu : pour lutter à armes égales contre un gibier sans cesse au pas de course, il faut des chiens qui courent comme lui. Pour déloger les perdreaux des bois, il faut des chiens ardents à la broussaille, de véritables bécassiers. Et nous serions d'accord, sans doute, si la pratique ne venait, une fois de plus, sur le terrain, se gausser de ces solutions livresques et se moquer de la géométrie. Si des chasseurs ont pu résoudre le problème, les lecteurs du Chasseur Français seront intéressés de connaître leur solution ; mais peut-être — et comment les blâmer ? — garderont-ils leur formule pour eux. Nous ne pensons pas, quant à nous, que cette solution soit affaire de race et qu'elle puisse se trouver, vis-à-vis du perdreau du moins, dans les classiques théories de l'orthodoxe usage des divers chiens d'arrêt.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 210