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Le dogue de Bordeaux

Le dogue de Bordeaux est un chien très impressionnant, son corps puissant et son faciès grimaçant en sont la cause.

Bâti en force, ce chien redoutable peut peser de 50 à 55 kilogrammes ; il court vite, malgré son poids, et, sous une peau qui peut paraître lâche, une solide armature de muscles lui permet de sauter environ 2 mètres.

Sa robuste encolure, son énorme tête, avec une gueule terrifiante, en font un défenseur bien armé. Quand il tient un adversaire, il ne le lâche plus, insensible à la peur et à la douleur. C'est le chien de nos aïeux ; son origine est très lointaine : venu d'Asie, le dogue antique, appelé molosse, fut transporté en Macédoine après les conquêtes de Pierre le Grand ; les Grecs et les Romains, très amateurs de jeux dangereux et populaires, lui firent acquérir dans leurs arènes une grande célébrité dans des combats contre l'ours et le taureau. En Europe, il a laissé des traces un peu partout, les Celtes et les Romains l'amenèrent en Angleterre, où il est à la base de leur mastiff. On le retrouve également en Germanie, en Gaule, en Italie et en Espagne, avec le dogue de Burgos, très apparenté à notre dogue de Bordeaux, et employé à combattre les taureaux.

Les Anglais se servirent également des dogues dans des combats contre l'ours et le taureau, et ce n'est qu'en 1835 qu'une loi interdit ces combats, qui disparurent ; la race, faute d'être employée, périclita et perdit de ses qualités mordantes.

En France, on employa aussi le dogue pour des combats spectaculaires contre l'ours et le sanglier, mais surtout dans les environs de Bordeaux et ... au Moyen Age. Ces combats furent aussi interdits !

Ce chien, habitué par atavisme à attaquer et à se défendre, est doué d'un courage et d'une endurance à toute épreuve ; son agilité à saisir le point vulnérable d'un adversaire dans ses fortes mâchoires qui ne lâchent pas, avec son nez renversé, afin de permettre, pendant la prise, une respiration plus facile, a fait du dogue le chien de combat parfait.

Moralement, ce chien a toutes les qualités solides qui vont avec son physique prodigieusement fort, et il a recueilli tous les suffrages de ceux qui en ont possédé.

Il a dans son regard des expressions humaines ; il est intelligent, sociable, n'a aucune nervosité ni traîtrise ; sous cette face menaçante se cache une fidélité, une tendresse infinie pour son maître, qu'il respecte ; il le suit comme son ombre et ne le quitte pas des yeux. Il est très doux avec les enfants et supporte même leurs tracasseries avec le calme et la philosophie qu'ont parfois les êtres forts pour les faibles. Ce n'est pas un brutal, il a une certaine délicatesse dans ses goûts et a un appétit très modéré par rapport à sa taille importante.

Il est silencieux, n'aboie que très rarement, quand il faut prévenir. Il est doué d'un nez très fin et capable de retrouver une piste ; très docile, il rapporte sans difficultés. Tout naturellement, il fait sa ronde et dort, en gendarme, conscient de ses responsabilités envers son maître ; pour le défendre il déploie une énergie farouche, ne recule devant rien.

Physiquement, le dogue de Bordeaux a mieux conservé les caractères de force du molosse antique que son voisin le mastiff anglais.

Sa tête est très volumineuse, large, courte, le crâne massif, le front plissé, le museau large et brusquement tronqué, les babines importantes, masque noir ou rouge.

Sa mâchoire très forte, proéminente, débordante, lui donne une prise très sûre, elle est armée de crocs longs, aigus et croisés, il a un prognathisme de la mâchoire inférieure d'un centimètre environ.

Son nez court, retroussé, lui permet de respirer fort librement pendant la morsure.

Les oreilles sont petites, la base à l'attache avant est un peu relevée, mais elles retombent ; elles sont de couleur un peu plus foncée que le reste de la robe, l'angle inférieur un peu arrondi. Les oreilles coupées sont admises. Autrefois, quand les chiens combattaient, elles l'étaient toujours, et souvent coupées au ras de la tête, afin de rendre, le chien moins vulnérable.

Son encolure est puissante, épaisse, la poitrine robuste, tout l'avant-main est bâti en force, avec des muscles saillants. Chez le dogue de Bordeaux, le tour de tête est égal à la hauteur du garrot ; une très bonne hauteur est 66 centimètres, cette dimension doit se retrouver dans le tour de tête.

Son corps est trapu, son tour de poitrine est égal à la hauteur du garrot plus 30 centimètres, son ossature forte, ses aplombs réguliers bien coudés, le fouet arrive aux jarrets.

Ses pattes sont courtes et lui permettent, à l'attaque, de retomber presque toujours sur ses pieds, et l'épaisseur de son cou l'empêche de se rompre lors du balancement.

L'arrière-train est plus léger.

Sa taille dépasse 60 centimètres : 60 à 68 pour les mâles ; 55 à 60 pour les femelles.

Son poil est court, mais soyeux.

Son allure vive est particulière ; il ne galope pas, il déboule.

Sa robe est ordinairement fauve, depuis la nuance isabelle à la nuance acajou, en passant par le fauve franc, doré, ardent, charbonné. La livrée unicolore foncée à tons chauds est la plus estimée. Le blanc est toléré.

Il a paru, dans L'Éleveur, un très intéressant article sur le dogue de Bordeaux, utilisé pour le contre-braconnage. C'est un rôle difficile, subtil, et notre dogue en est très capable.

« Malheureusement, les qualités remarquables et nombreuses de cette race d'élite ne sont pas suffisamment connues, et beaucoup de châtelains ignorent les services qu'elle peut leur rendre : une des conditions indispensables pour la chasse à l'homme-braconnier, une force au-dessus de la moyenne et surtout une mâchoire d'acier qui, ayant saisi le malfaiteur, ne le lâche plus et, par son poids et sa résistance, l'empêche de fuir.

» Pensez que l'instinct naturel porte le dogue de Bordeaux au combat et qu'il déboule rapidement sur une courte distance ; pensez qu'il jette ainsi à l'attaque un poids qui varie, suivant le sexe, de 45 à 50 kilogrammes et au-dessus, et qu'il peut ainsi renverser l'adversaire et le saisir dans cette gueule puissante et terrible. En outre, il possède un nez très fin et relève fort bien une piste ...

» Le braconnier a fui, mais le bon dogue rapporte en triomphe sa coiffure ou son cache-nez. Quelle indication précieuse pour identifier l'homme ! Et, pour votre chien, quelle leçon : flaire bien, cherche, attaque. Il le retrouvera, soyez tranquille ! »

Le dogue de Bordeaux a été menacé de disparition, un cri d'alarme avait été déjà poussé par Pierre Megnin, qui avait écrit une brochure sur ce chien. Puis l'élevage avait un peu repris pour être à nouveau abandonné pendant la guerre de 1939, où beaucoup de très beaux spécimens furent détruits par leur propriétaire, dans la crainte de ne plus pouvoir les nourrir.

Cependant, à l'exposition de Bordeaux, en 1948, on vit M. Barès remporter un magnifique succès avec ses dogues de Bordeaux dressés au pistage, succès bien mérité.

Encourageons tous les amateurs qu'intéresse ce chien peu connu, il peut rendre de grands services comme gardien, n'employant qu'à bon escient sa force tranquille et sa bravoure.

Il existe de plus petits dogues appelés doguins ; le doguin pèse environ 10 kilogrammes de moins que le dogue de Bordeaux, et sa taille se trouve diminuée de 10 centimètres.

A. PERRON.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 212