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En étang

La pêche à la trace

Voici un genre de pêche assez peu connu et qui n'est guère pratiqué que par ces vieux « renards de la gaule » pour qui les moeurs des poissons n'ont plus de secrets. C'est à l'un d'eux, le père Combret, ancien retraité des Chemins de Fer, que je dois les renseignements qu'on va lire sur la pêche à la trace, qu'il pratiquait avec une incomparable maestria.

Elle est surtout efficace en étang, mais on peut fort bien l'essayer en rivière, dans les parties vaseuses et sans courant qui s'y rencontrent en certains endroits, mais seulement en cas de calme absolu. Cette pêche, qui ne s'adresse guère qu'à l'anguille, la carpe et la tanche, plus rarement à la brème, est basée sur les remarques suivantes : quand un poisson fouilleur, comme les susnommés, recherche sa nourriture sur des fonds vaseux, il doit se livrer à un travail de prospection long et minutieux, car la vue ne peut guère lui venir en aide ; ce sont les organes du tact et de l'olfacto-gustation qui doivent intervenir.

Pour réussir à trouver sa vie dans ce milieu opaque, il doit cheminer avec lenteur, chercher avec obstination et s'arrêter souvent aux endroits propices. Ce laborieux manège, qui agite la vase, se traduit aux yeux du pêcheur par l'apparition, à la surface de l'eau, de bulles de gaz plus ou moins nombreuses et rapprochées, qui indiquent le sens de la marche du poisson en produisant à la surface de l'eau une sorte de chemin pointillé, une trace, laquelle permet de se rendre compte de la direction qu'il suit et des probabilités pour que ce sens se continue dans cette direction plutôt que dans telle autre, et c'est ici qu'intervient la science du pêcheur, due à une longue suite d'observations.

Ce sens, qu'il devine à certains indices, lui permet de placer, sur la route du poisson, une esche tentante que celui-ci trouvera sans peine et dont il s'emparera si elle est à sa convenance.

On comprend aisément que tout jet brusque, tout bruit ou ébranlement insolites peuvent compromettre la réussite. Les manières de présenter les esches diffèrent avec chaque poisson ; il faut donc les indiquer.

L'anguille.

— Ce poisson serpentiforme chasse peu pendant le jour. Le corps enfoui dans la vase et sa tête seule émergeant, il surveille les alentours. Voit-il un petit poisson nager à la surface de la vase, une larve aquatique s'agiter, il s'élance sur eux en ondoyant et sans que son corps sorte de la couche vaseuse ; mais ses mouvements la remuent et les poches de gaz — air ou formène — existant dans ce milieu se trouvent libérées, remontent à la surface sous la forme de bulles et y produisent une traînée sinueuse qui atteint parfois deux mètres de longueur. Quand la proie est atteinte, l'anguille s'arrête et la traînée s'interrompt. C'est le moment, pour le pêcheur, de faire descendre son esche légèrement en avant de la terminaison de la trace ; il est rare que l'anguille, dont les sens ont été mis en éveil par la poursuite, ne s'y attaque pas, mais il faut connaître la hauteur de la couche d'eau, afin que l'appât ne disparaisse pas entièrement. Dès que le flotteur, toujours sensible en eau stagnante, a bien disparu, le pêcheur ferre et voici l'anguille accrochée.

La carpe.

— La carpe agit de façon différente. Au rebours de l'anguille, dont la trace est rapide et mesure souvent un ou deux mètres sans discontinuité, la carpe progresse dans la vase avec une certaine lenteur. C'est à l'aide de ses barbillons qu'elle prend conscience de la présence d'une proie ; elle s arrête alors et se met à fouiller l'endroit jusque découverte de la bestiole. Cette recherche sur une même place dure parfois deux ou trois minutes et provoque l'éclosion de toute une série de bulles couvrant un espace restreint ; puis elle poursuit sa route et le même fait se reproduit à une distance assez courte du premier point, 0m,40 à 0m,60 le plus généralement. Mis en éveil par la vue de la première fouille, le pêcheur pose son esche à proximité immédiate des premières bulles produites lors de la seconde fouille. Si l'esche lui convient, la carpe en chasse ne manquera pas de s'en emparer dans un laps de temps assez court.

La tanche.

— Les stationnements de la tanche sur un même point sont beaucoup plus longs. Ce poisson apathique et lent prend son temps, mais il fouille plus profondément que la carpe. Les bulles de gaz qui se dégagent sont plus nombreuses et plus grosses ; souvent, un quart d'heure se passe sans qu'elle se décide à quitter la place. Le pêcheur peut donc lui présenter son esche — de préférence un beau ver de terre — dès qu'il a aperçu la première fouille. Il le pose à proximité et attend la touche avec patience, car elle se fait parfois désirer assez longtemps. Il ne doit pas se presser de ferrer, car la tanche est lente à avaler, mais il est rare qu'elle relâche le ver.

La brème.

— Nous ne parlerons que pour mémoire de la brème, dont la trace est fugace et peu visible. Elle se déplace constamment et il est peu aisé de placer son esche en bonne position. Par contre, quand les brèmes sont rassemblées, les bulles apparaissent fort nombreuses dans un espace restreint, et il suffit souvent de placer son esche au milieu pour avoir des touches sans être obligé d'amorcer.

Vous apercevez sans doute, chers confrères, les avantages de ce curieux mode de pêche ; il ne tient qu’à vous de l’essayer quand vous en aurez l'occasion.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 214