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La pollution des eaux

C'est là le danger majeur qui menace une bonne partie de nos rivières, et l'essor industriel de notre pays est tel, ces dernières années, que le péril s'est singulièrement aggravé et que, de tous côtés, on signale des mortalités massives de poissons portant sur des kilomètres de rivière, sur des centaines de kilogrammes de poissons, dues à des lâchers soit intempestifs, soit continus, de produits résiduels d'usines. Encore ces pollutions ne sont-elles pas, du point de vue biologique pur, les plus désastreuses ; les plus nuisibles sont les pollutions continues, à effet peu spectaculaire mais constant. De tous côtés, les présidents de sociétés de pêche s'émeuvent et intentent des procès aux industriels coupables. L’administration des Eaux et Forêts et le Conseil supérieur de la Pêche, harcelés de réclamations et d'articles de journaux, essaient d'aider de leur mieux les sociétés de pêche sur les plans juridique et technique.

Le législateur lui-même s'est ému et a voté une loi nouvelle sur la pollution en date du 9 avril 1949.

Jusqu'à ce texte, les délits d'empoisonnement de cours d'eau étaient, et sont toujours, justiciables :

    1° Dans le» cas bénins, d'infraction aux arrêtés préfectoraux pris en application de la loi du 15 février l939 sur la santé publique et du décret du 29 août 1939 qui prévoyait à la diligence du préfet « les mesures à observer pour l'évacuation dans les cours d'eau des matières susceptibles de nuire aux poissons et notamment de celles des fabriques ou autres établissements industriels quelconques ». Il s'agit alors de simples infractions à arrêtés préfectoraux, qui ne sont que des contraventions justiciables des tribunaux de simple police.

    2° Dans certains cas, des lois et décrets concernant les établissements dangereux, incommodes et insalubres (loi du 19 novembre 1917 et suivantes). Il s'agit, là encore, d'infractions à arrêtés préfectoraux que le tribunal de simple police sanctionne d'une amende de 5 à 15 francs (soit de 600 à 1.800 francs). Toutefois, la récidive dans les douze mois ressort de la correctionnelle et, en cas d'inobservation persistante, le préfet doit faire prononcer la fermeture de l'établissement.

    3° Dans les cas les plus graves, de l'article 25 de la loi du 15 avril 1929 qui prévoit une amende de 30 à 300 francs (3.600 à 36.000 francs) et de un à trois mois de prison pour jets de produits nocifs aux poissons.

Souvent, les tribunaux correctionnels refusent l'application stricte de ce texte qui vise principalement les braconniers, bien que des arrêts nombreux aient spécifié :

    1° Que le déversement de tout produit nocif aux poissons est pénalisable, même s'il n'a pas pour but l'appropriation des poissons (Cour d'appel de Pau, 1936) ;

    2° Que, si le déversement nocif doit être conscient et volontaire pour être punissable, la négligence caractérisée se confond avec le fait volontaire (Pau, 1936) et la volonté de nuire est caractérisée si le directeur d'usine fait, malgré les avertissements qui lui sont donnés par l'autorité, effectuer des déversements chaque année dans les rivières.

Aussi, j'attire tout spécialement l'attention sur la récente loi du 9 février 1949, qui modifie l'article 25 de la loi du 15 avril 1829 et assimile la pollution industrielle par déversements résiduaires à un jet de produits nocifs pour le poisson. Les peines prévues sont de 5.000 à 200.000 francs d'amende et de un à cinq ans de prison. Or une jurisprudence constante précise que le propriétaire de l'usine, l'administrateur délégué de la société et le directeur de l'établissement industriel pollueur sont personnellement responsables des déversements opérés par le personnel subalterne (Cassation, 14 avril 1934), cette responsabilité ne faisant pas obstacle à ce qu'une condamnation soit prononcée contre l'employé auteur direct de l'infraction (Cassation, 27 janvier 1859), le propriétaire étant civilement responsable (Cassation, 14 avril 1934).

Cette loi est extrêmement sévère pour les industriels et nous avons vu plusieurs cas où l'usinier condamné en correctionnelle sollicitait, pour éviter la prison, de l'administration des Eaux et Forêts poursuivant à la requête des sociétés de pêche une transaction après jugement par laquelle il s'obligeait à des travaux coûteux pour mettre fin à ces pollutions.

L'inspecteur des Eaux et Forêts ne peut d'ailleurs accorder de transaction avant jugement sans l'avis de la Fédération départementale de Pêche. Toutefois, il arrive que les prétentions des sociétés de pêche soient nettement exagérées. En ce cas, l'inspecteur peut passer outre et proposer la transaction.

Mais comment déterminer si les dommages-intérêts demandés sont ou non acceptables ?

Une estimation de dommages-intérêts en matière de pollution industrielle, basée sur la méthode biologique du professeur Léger, avait été ébauchée par Léger lui-même et déjà admise par les tribunaux ; elle vient d'être récemment précisée. Cette méthode biologique sert tant au constat des pollutions qu'à l'estimation des dommages-intérêts, et il m'a été donné à plusieurs reprises d'établir des expertises sur ces bases. Aussi, je crois utile, tant aux industriels qu'aux sociétés de pêche, de l'exposer dans mes prochaines chroniques.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 215