Après la mouche exacte et la mouche fantaisie (1), il nous
faut dire un mot de la mouche d'ensemble.
La mouche d'ensemble est chose plus sérieuse que la mouche
fantaisie : c'est une synthèse réaliste de plusieurs mouches offrant des
caractères généraux communs plus ou moins semblables. Elle prétend ainsi
interpréter plusieurs insectes et même plusieurs familles d'insectes en un seul
leurre. Je crois qu'elle y réussit souvent. Je crois aussi que ces mouches,
lorsqu'on les emploie en « sèche », en surface demi-noyées, font
appel à la mauvaise vision des poissons. Mauvaise parce que les objets, étant
dans ce cas partiellement submergés, doivent donner sur la rétine du poisson
une image floue. Cette image, plus ou moins déformée, n'est pas due à un œil
mal fait, ni myope, quoi qu'on en ait dit, mais à deux catégories de rayons :
les réfractés et les non réfractés. Les rayons réfractés donnant l'image de la
partie de l'insecte située au-dessus de l'eau, les non réfractés celle de la
partie noyée : abdomen, thorax, pattes. Dans une eau calme, il semble
qu'il devrait y avoir, pour un œil situé dans l'eau, deux images différentes ;
mais pratiquement, comme il n'y a rien de plus mobile que l'eau, et donc de
plus déformant, ces deux images doivent, dans leur déplacement rapide sur la
rétine, se superposer, se confondre, s'embrouiller et donner une impression
confuse. Le pêcheur et le fly-maker partent de cette donnée purement
théorique (je ne sais pas si on a filmé du dedans de l'eau une mouche ou un
insecte sur l'eau en mouvement, ce qui serait utile pour voir en poisson) et
jouent sur ce fait. Il est en effet inutile, disent-ils, de présenter un objet
d'un fini méticuleux, irréprochablement réaliste à un œil qui n'enregistre qu'une
image ou une impression floues. Par ailleurs, la tromperie que recherche le
pêcheur s'en trouve facilitée. On voit, ici, la grande différence avec la
mouche noyée exacte lorsqu'il s'agira de pêcher dans des eaux calmes, lisses,
claires, où la mouche ne donne qu'une seule image, non ou peu déformée.
Citons quelques mouches d'ensemble :
Les mouches dites araignées sont toutes des mouches
d'ensemble. Ce ne sont pas des mouches fantaisie parce que, si leur forme ne se
rapporte à aucun insecte précis, leur allure générale rappelle, en gros,
surtout l'éphémère ; sauf certaines qui, par leur couleur, s'en écartent
totalement. Généralement elles n'ont pas de cerque, le volume du thorax, très
important, est complètement négligé. Les ailes et les pattes sont imitées par
la collerette, mais cette présentation est surclassée par celle de la mouche
exacte, dont les ailes et les pattes nettement détachées donnent une apparence
plus réaliste, souvent préférable.
Les mouches genre Coch y Bondhu sont aussi mouches
d'ensemble, interprétant non seulement de gros diptères : mouches à
asticots, noires, bleues, vertes, grises, mouches à miel fausses comme
l'éristale ou vraies comme l'abeille, mais encore de nombreux coléoptères,
hémiptères, etc.
Enfin les palmers. Les palmers, chenilles noires,
grises, rousses, agrémentées ou non de tinsel doré ou argenté, rond ou plat — rappel
de fantaisie — imitent, dans un sens très large, plusieurs objets :
larves de gros éphémères ou de perles noires, grises, verdâtres ou jaunâtres,
chenilles de toutes couleurs tombant de la rive et des arbres ;
coléoptères, grillons, sauterelles, coccinelles, gros éphémères (Ecdyonurus),
gros phryganes, tipules, etc. Le palmer est le type de la mouche d'ensemble ;
la grosseur de ces mouches, essentiellement variée, prouve la diversité des
insectes qu'elles peuvent interpréter. De cette diversité résulte également le
fait qu'elles sont aussi des mouches toutes saisons. Rien d'étonnant, par
conséquent, de trouver des pêcheurs, amateurs de simplicité, qui n'utilisent
que trois de ces mouches : noires, grises, rousses.
Il est très utile de savoir monter un palmer. Rappelons-le
sommairement. Après avoir choisi l'hameçon, le fil, le hackle (une ou deux
plumes de camail de coq de préférence) en ce qui concerne dimension et couleur,
le tinsel — si on veut, mais pas indispensable.
1° Les présenter comme indiqué en figure 1, a = plume,
b = tinsel, c = fil d'attache et du corps.
2° Enrouler c soit de l'œillet vers la courbe de
l'hameçon (aller), ou faire un aller, un retour et un aller (corps plus gros)
pour obtenir la figure 2. Pour la compréhension, le dessin représente le fil
lâche : il faut au contraire serrer le fil.
3° Enrouler le hackle de la courbe vers l'œillet, le fixer
provisoirement à 2 millimètres environ de ce dernier par une pince à mouche à
ressort, ou un fil.
4° Enrouler par-dessus en hélice le tinsel, le fixer de même ;
enfin :
5° Enrouler, en le serrant, en spires hélicoïdales, le fil
d'attache et fixer le tout par le nœud final qui forme tête, (fig. 3).
Couper le fil et le hackle inutilisés au ras du corps.
Tel est le palmer ordinaire ; mais chacun peut à sa
guise perfectionner en taillant aux ciseaux dans les barbules en envisageant
soit une allure d'insecte, soit les points de vue flottabilité et navigation
(2). C'est dans ce dernier travail des ciseaux que réside tout l'intérêt de la
fabrication personnelle, qui transforme un objet banal en une chose originale
bien caractéristique (fig. 4).
« Moi aussi, je serai peintre. »
— J'ai créé moi aussi, en toute modestie, une bonne
mouche d'ensemble dont je vais, pour terminer, vous donner le « secret ».
Cette mouche, je l'appelle « Phrycoléop » :
première syllabe de Phrygane et les trois premières de Coléoptère
réunies, ce qui dit ce que cette mouche prétend interpréter, sans parler des
hyménoptères.
Elle peut être montée sur hameçons de tailles diverses, du
n°10 au n°13. Le corps se compose d'un abdomen gros et ventru, couleur
jaune-citron ou rouge vif, bien séparé du thorax, qui est de même couleur,
ainsi que la tête. Les monter, en premier lieu, nettement séparés. Les pattes,
de couleur brune, seront montées ensuite en enroulant un hackle de coq brun aux
barbules de longueur moyenne, raides et brillants, autour du thorax. Couper à
ras les barbules au-dessus et sur les côtés, de façon à n'avoir que quelques
pattes dont la longueur dépasse légèrement le dard de l'hameçon.
Monter ensuite sur le thorax des ailes à plat à
la façon espagnole : prendre deux grandes plumes de coq, une de coq brun
foncé ou roux, l'autre de coq blanc doré, jaunâtre, voire gris clair. En
détacher une dizaine de petites pincées de sept à dix barbules, que l'on
rassemble en égalisant sur les pointes. On obtient ainsi deux pinceaux :
l'un brun, l'autre blanc jaunâtre ou grisâtre. Les superposer, sans trop les
mélanger, en mettant le clair dessous et les fixer ainsi sur le thorax. Le
pinceau clair interprète les ailes d'un coléoptère ou d'un phrygane ; le
pinceau brun les élytres, toujours sombres quoique translucides, ou les ailes
supérieures d'un phrygane. Prendre soin de donner à ces ailes une longueur qui
dépasse l'extrémité de l'abdomen d'un bon tiers de la longueur totale
(phrygane). Avec l'ongle, écarter les barbules en tournant et appuyant à leur
naissance à la ligature ; beaucoup d'insectes naviguent les ailes à demi
ouvertes, et cela donne une navigation excellente.
Cette mouche donne de bons résultats en toutes saisons.
Choisissez-la particulièrement en hiver pour pêcher dans les courants plutôt
vifs en la travaillant par les jours sans éclosion.
En s'inspirant de cette méthode, on peut créer, en variant
les couleurs et la forme d'après les insectes, un grand nombre de mouches
n'imitant rien, imitant tout ...
Paul CARRÈRE.
(1) Voir Le Chasseur Français, n° 632.
(2) À ce point de vue, couper horizontalement les barbules à
hauteur du dard de l'hameçon et laisser une queue.
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