Un original est en train de faire le Tour de France à
califourchon sur une draisienne datant de Louis XVIII. Il est en costume de
l'époque. C'est, paraît-il, le résultat, d'un pari. Il a parié qu'il mettrait
moins de cinq mois. Il espère gagner son pari ... d'un mois entier. C'est
possible. Peu nous importe. Cette tentative lui coûte deux ressemelages par
semaine. Nous le croyons sans peine. Il est suivi et contrôlé par le conducteur
d'un vélocar qui l'accompagne, portant des roues (en bois cerclé de fer) de
rechange. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir s'il monte une véritable
draisienne, c'est-à-dire un célérifère perfectionné par l'adjonction d'un
système de direction et d'un appuie-poitrine. Les photos semblent nous prouver
qu'il ne triche pas et que son engin, ainsi que la manière de s'en servir et la
tenue du cavalier sont « tout à fait Restauration ».
Tout le monde sait que, sous Louis-Philippe, un inventeur
fort ingénieux eut l'idée de fixer des manivelles et des pédales à la roue
avant d'une draisienne, créant ainsi le vélocipède, toujours en bois, mais à
grandes roues, qui annonçait déjà l'avènement du fameux « grand bi »,
sur lequel les coureurs réalisaient déjà du bon 35 à l'heure, sur piste.
Réfléchissons qu'il s'est écoule plus de quarante ans entre
la transformation de Michaux, qu'on a appelé le père du vélocipède (pourquoi
pas le roi, ou le dieu, tant qu'on y était !), et la naissance de la
véritable bicyclette, aussi informe qu'ait été cette première ébauche.
À mon avis, un aussi pénible et interminable enfantement est
dû à ce que Michaux s'est trompé, qu’il a fait fausse route, que la bicyclette ne
lui doit rien, mais qu'il en aurait été positivement l'inventeur si, au lieu de
fixer des manivelles à la roue avant d'une draisienne, il avait eu l'idée de
génie de placer un pédalier entre les deux roues, laissant directrice la roue
avant et rendant motrice la roue arrière, en les maintenant d'égal diamètre.
C'est ce que l'on imagina de faire quarante ans plus tard.
Le pédalier entre les roues conduisait immédiatement à
l'idée d'une chaîne de transmission et à celle d'une différence de diamètre
entre les pignons, tandis que l'application directe de manivelles à l'axe avant
nous conduisait à une impasse : à l'obligation de créer une sorte d'engin
de cirque, démesurément haut, pour obtenir un développement permettant la
vitesse, et à peu près indirigeable puisque les jambes du bicycliste devaient
suivre la direction donnée à la roue avant, la selle restant fixe sur le support-fourche
de la roulette arrière.
Imaginez la draisienne de notre original fabriquée avec les
procédés modernes, tout « dural »et roues à boyaux de piste. Ce
serait presque une bicyclette ... sans pédalier. Elle paraîtrait moins
éloignée de nos vélos qu'un vélocipède à pédales datant de Michaux, je crois
même qu'elle irait plus vite. Elle serait une patinette perfectionnée, au moins
imbattable dans les descentes, tandis que je ne me représente ni un vélocipède
en bois, ni même un « grand bi » s'aventurant dans la descente du
moindre de nos cols.
Il serait intéressant d'étudier de près ce problème ...
archéologique. On aboutirait peut-être à cette conclusion inattendue que
l'inventeur de la pédale appliquée au cycle n'a abouti qu'à retarder la date de
la naissance de l'engin à deux roues qui, en quelques années, une fois enrichi
d'un cadre en tubes creux et de pneumatiques, ce qui fut vite fait, a conquis
le monde.
Henry DE LA TOMBELLE.
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