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Léon Quaglia

ou l'éternelle jeunesse

Un préjugé encore vivace veut que la carrière athlétique d'un champion ne passe pas, sauf exception, les bornes de la trentième année. Henry de Montherlant nous conte, dans une de ses plus belles pages, le déclin de Mlle de Plémeur, championne du 300 mètres. Mlle de Plémeur a vingt-six ans, l’âge où un sprinter termine sa carrière ... À cet âge, un industriel, un médecin, un homme de lettres n'ont pas commencé la leur. Et rien n'indique d'une façon plus brutale la fragilité et la brièveté de la gloire athlétique. Cette conception de l'inéluctable décadence aux approches de la trentaine était passée dans les moeurs, dans les habitudes. On s'y résignait à l'avance. À trente ans, un athlète était fini. Il n’avait plus qu’à raccrocher. Cette conception a longuement prévalu jusqu'au jour où un certain nombre d'exceptions l'ont infirmée. Ces exceptions sont maintenant la règle. Et on a pu constater que (mises à part les épreuves de vitesse pure) la vitalité et le potentiel neuro-musculaire d'un athlète étaient intacts à trente ans et au delà. Ce n'est pas la trentième année en soi qui marque le déclin d'un champion, mais plutôt ce qui l'accompagne : les responsabilités professionnelles, le manque de temps, le mariage, et le plus souvent la lassitude, la lente destruction de ce qu'on nomme en argot de sport le « feu sacré ».

Mais, lorsque ce feu sacré se prolonge, il est capable de réchauffer et d'entretenir des miracles. Le plus extraordinaire a été Chiquito de Cambo, dieu des pelotaris, qui, à soixante ans, affrontait encore les seigneurs de la chistera. Cet hiver, nous avons pu voir Henri Deglane tenir en échec, à quarante-cinq ans, le géant américain Frank Sexton, champion du monde de catch. Jean Borotra, le plus glorieux survivant de nos mousquetaires, demeure, à cinquante-trois ans, une des premières raquettes d’Europe. Il exécutait récemment à Milan le n° 1 italien, Cucelli, par le score écrasant de 6-0, 6-1.

Mais en tennis, comme en catch ou en pelote basque, le métier, la technique, la subtilité née d'une longue expérience peuvent longtemps mettre en balance la supériorité des moyens physiques. Je trouve plus extraordinaire encore, et tout aussi digne d’admiration et de respect, la carrière du vétéran Léon Quaglia, champion de France de patinage.

Léon Quaglia a remporté son premier championnat de France de vitesse en 1913. Il avait exactement dix-sept ans. Il a remporté son 22e titre en 1949. Il espère le 23e pour 1951. Lorsque nous évoquions tout à l'heure Henri Deglane et Chiquito de Cambo, il s'agissait de professionnels patentés, dont le sport était le gagne-pain, le métier, la raison de vivre essentielle.

Pour Quaglia, 1e patin à glace est demeuré un jeu merveilleux, riche d'ivresses enfantines, auquel il consacre une heure par jour ... quand il a le temps. Il est transporteur à Chamonix, et son rude métier est de ceux qui sont particulièrement incompatibles avec l'entraînement quotidien. De temps en temps, sur la patinoire ensoleillée de Chamonix, où tournent les hivernants au rythme d'une valse, on peut voir un patineur solitaire, courbé, les mains au dos, et qui file le long des lices de hockey. Les enfants le regardent passer avec des murmures d'admiration. Cette vénération est bien légitime, car peu de champions possèdent une carrière sportive aussi riche que celle de Léon Quaglia.

Vingt-deux fois champion de France, recordman de l'heure, des 5.000, des 10.000 mètres, vingt-cinq fois international de hockey sur glace, ce parfait amateur du sport a su garder, à cinquante-quatre ans, et l'esprit de passion et de désintéressement qui assurait les champions d'autrefois, et l'extraordinaire qualité nerveuse qui fait encore de lui, aujourd'hui, lorsqu'il est en forme, le meilleur patineur français.

Léon Quaglia est mieux qu'un exemple. Il est un phare et un symbole. Il est la preuve vivante que le simple exercice athlétique peut mieux que n'importe quel sérum prolonger dans l'homme les « fleurs de force et de jeunesse » qui demeurent son bien le plus précieux. Il lui a suffi de garder intactes sa conscience athlétique et la passion de son sport. C'est un élixir de jouvence que nous ne saurions trop proposer à tous les hommes.

Gilbert PROUTEAU.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 220