Il y a vingt-cinq ans, le jiu-jitsu, qui nous venait du
Japon, nous était recommandé comme une merveilleuse arme de défense en cas
d'attaque nocturne. Aujourd'hui, cette défense à main nue nous semble bien
faible, les agresseurs, dont le nombre et le cynisme ont décuplé, ayant
abandonné l’antique et silencieux « surin » pour le colt ou la
mitraillette et n'étant plus assez braves pour risquer le corps à corps.
Mais, s'il a perdu quelque peu de sa valeur défensive, il
nous intéresse en ce sens qu'il constitue une merveilleuse école d'éducation
des réflexes et même des autres qualités développées par l'éducation physique
en général. Il constitue aussi une école du caractère, du sang-froid, du
jugement rapide qui ne sont point négligeables. Il suffit, pour n'en pas
douter, de constater les extraordinaires progrès que les Japonais — dont cette
méthode constitue l'entraînement de base et le sport national — ont effectué,
en quelques années seulement, dans le domaine du sport et de la représentation
olympique, laissant tous les connaisseurs stupéfaits devant la persévérance, le
sang-froid, le courage et la volonté dans l'effort dont ils sont capables.
La police, en particulier en Angleterre et en Allemagne, a
depuis longtemps reconnu les avantages et l'efficacité de cette méthode.
La nouvelle école de jiu-jitsu créée par le professeur Jigoro,
et qui porte le nom de judo, était enseignée au Japon, en 1939, dans plus de 200
écoles spécialisées sous le contrôle de l'Institut d'enseignement supérieur de
judo de Kodo-han, à Tokio, fondé en 1882 par M. Kino.
Le principe du judo est applicable à tous les domaines de
l'activité humaine, aussi bien morale que physique. Car il s'applique
précisément aux intellectuels, aux pacifiques, aux hommes qui ont le droit et
le devoir de se défendre, mais qui n'ont pas le tempérament agressif et
belliqueux de la brute, celle-ci se tirant plus ou moins bien d'affaire sans
avoir jamais appris le jiu-jitsu et la boxe et ayant pour tactique essentielle
l'attaque brusquée et par surprise, et le plus souvent par derrière.
Or le judo est l'arme efficace pour ceux qui manquent de
force ou qui ne savent pas mettre celle-ci en valeur, réparant ainsi, par
l'application des lois mécaniques, l'injustice de la nature dans la répartition
trop inégale des forces et dans l'avantage de la surprise que s'assure
l'agresseur.
Ceci dit, il peut également, bien entendu, être aussi une
arme offensive. Et dans la guerre moderne où, malgré les armes à grande
puissance, on en revient au corps à corps avec les troupes aéroportées et les
débarquements de kommandos, on ne saurait le négliger dans l'entraînement
militaire.
Quelques-uns des principes essentiels qui servent de base au
judo en feront comprendre la conception.
Aucun être vivant ne peut détourner son attention d'un
endroit de son corps qui lui cause des douleurs trop vives, des douleurs
paralysantes qui font perdre connaissance. Aussi toutes les prises,
soigneusement établies sur des études anatomiques et physiologiques précises,
ont-elles pour but de détruire chez l'adversaire tous les instincts de « self-défense »
en l'obligeant à concentrer toute sa pensée et sa protection sur la prise dont
il est excédé.
Autre exemple : quand un homme agit sous l'action de la
passion, et que, même étant l'attaquant, il a plus ou moins peur, il continue
son mouvement, même si on l'arrête subitement. L'agresseur dont vous saisissez
le bâton pourrait fort bien, s'il y pensait, abandonner celui-ci et foncer sur
vous avec ses poings. Neuf fois sur dix, dès qu'il sent votre prise sur son
bâton, il le serre davantage et s'acharne à le conserver jusqu'à en succomber !
C'est sur la psychologie de l'adversaire et sur ses réflexes habituels que se
base la méthode, autant que sur les gestes qu'il exécute.
Autre principe, hélas plus facile à mettre en pratique pour
un Oriental que pour un Latin : exécuter vos tours avec la plus grande
rapidité, sans toutefois vous dépêcher. Ce principe de Kino, sur lequel il
insiste beaucoup, nous montre les différences essentielles entre certaines
races, et pourquoi nous parvenons difficilement à égaler les Japonais dans la
pratique du judo, tout comme ils ont de la peine à nous égaler lorsqu'il s'agit
d'utiliser des aptitudes spécifiquement européennes comme, par exemple, la
pointe finale dans les derniers mètres d'une course pédestre ou cycliste, ou
ces victoires « à la cravache », ou ce smash qui termine un cinquième
set, que savent sortir de leur sac, alors que les deux adversaires sont épuisés
et « sur les genoux », les nôtres.
Il est aussi difficile d'inculquer le froid calcul et le
flegme souriant, dans le danger, à un enfant de Paris que la « furia
française » à un enfant de Nagasaki, pour lequel la notion du temps et du
hasard sont quasi inconnus.
Malgré cette différence de comportement, le judo, sport
d'importation, a conquis son droit de cité. Davantage à la portée de tout sujet
moyen que la lutte et la boxe, qui nécessitent des qualités athlétiques
exceptionnelles pour être efficaces, le judo constitue une méthode dont nous ne
saurions trop conseiller la pratique, parce qu'il constitue à la fois une école
d'éducation physique et morale, où l'intelligence et la précision rigoureuse de
la technique éduquent remarquablement les réflexes et les organes des sens, et
où le travail de souplesse et en équilibre constitue un excellent entraînement
pour l'éducation sportive générale.
Dr Robert JEUDON.
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