Accueil  > Années 1950  > N°638 Avril 1950  > Page 221 Tous droits réservés

Jiu-jitsu

Il y a vingt-cinq ans, le jiu-jitsu, qui nous venait du Japon, nous était recommandé comme une merveilleuse arme de défense en cas d'attaque nocturne. Aujourd'hui, cette défense à main nue nous semble bien faible, les agresseurs, dont le nombre et le cynisme ont décuplé, ayant abandonné l’antique et silencieux « surin » pour le colt ou la mitraillette et n'étant plus assez braves pour risquer le corps à corps.

Mais, s'il a perdu quelque peu de sa valeur défensive, il nous intéresse en ce sens qu'il constitue une merveilleuse école d'éducation des réflexes et même des autres qualités développées par l'éducation physique en général. Il constitue aussi une école du caractère, du sang-froid, du jugement rapide qui ne sont point négligeables. Il suffit, pour n'en pas douter, de constater les extraordinaires progrès que les Japonais — dont cette méthode constitue l'entraînement de base et le sport national — ont effectué, en quelques années seulement, dans le domaine du sport et de la représentation olympique, laissant tous les connaisseurs stupéfaits devant la persévérance, le sang-froid, le courage et la volonté dans l'effort dont ils sont capables.

La police, en particulier en Angleterre et en Allemagne, a depuis longtemps reconnu les avantages et l'efficacité de cette méthode.

La nouvelle école de jiu-jitsu créée par le professeur Jigoro, et qui porte le nom de judo, était enseignée au Japon, en 1939, dans plus de 200 écoles spécialisées sous le contrôle de l'Institut d'enseignement supérieur de judo de Kodo-han, à Tokio, fondé en 1882 par M. Kino.

Le principe du judo est applicable à tous les domaines de l'activité humaine, aussi bien morale que physique. Car il s'applique précisément aux intellectuels, aux pacifiques, aux hommes qui ont le droit et le devoir de se défendre, mais qui n'ont pas le tempérament agressif et belliqueux de la brute, celle-ci se tirant plus ou moins bien d'affaire sans avoir jamais appris le jiu-jitsu et la boxe et ayant pour tactique essentielle l'attaque brusquée et par surprise, et le plus souvent par derrière.

Or le judo est l'arme efficace pour ceux qui manquent de force ou qui ne savent pas mettre celle-ci en valeur, réparant ainsi, par l'application des lois mécaniques, l'injustice de la nature dans la répartition trop inégale des forces et dans l'avantage de la surprise que s'assure l'agresseur.

Ceci dit, il peut également, bien entendu, être aussi une arme offensive. Et dans la guerre moderne où, malgré les armes à grande puissance, on en revient au corps à corps avec les troupes aéroportées et les débarquements de kommandos, on ne saurait le négliger dans l'entraînement militaire.

Quelques-uns des principes essentiels qui servent de base au judo en feront comprendre la conception.

Aucun être vivant ne peut détourner son attention d'un endroit de son corps qui lui cause des douleurs trop vives, des douleurs paralysantes qui font perdre connaissance. Aussi toutes les prises, soigneusement établies sur des études anatomiques et physiologiques précises, ont-elles pour but de détruire chez l'adversaire tous les instincts de « self-défense » en l'obligeant à concentrer toute sa pensée et sa protection sur la prise dont il est excédé.

Autre exemple : quand un homme agit sous l'action de la passion, et que, même étant l'attaquant, il a plus ou moins peur, il continue son mouvement, même si on l'arrête subitement. L'agresseur dont vous saisissez le bâton pourrait fort bien, s'il y pensait, abandonner celui-ci et foncer sur vous avec ses poings. Neuf fois sur dix, dès qu'il sent votre prise sur son bâton, il le serre davantage et s'acharne à le conserver jusqu'à en succomber ! C'est sur la psychologie de l'adversaire et sur ses réflexes habituels que se base la méthode, autant que sur les gestes qu'il exécute.

Autre principe, hélas plus facile à mettre en pratique pour un Oriental que pour un Latin : exécuter vos tours avec la plus grande rapidité, sans toutefois vous dépêcher. Ce principe de Kino, sur lequel il insiste beaucoup, nous montre les différences essentielles entre certaines races, et pourquoi nous parvenons difficilement à égaler les Japonais dans la pratique du judo, tout comme ils ont de la peine à nous égaler lorsqu'il s'agit d'utiliser des aptitudes spécifiquement européennes comme, par exemple, la pointe finale dans les derniers mètres d'une course pédestre ou cycliste, ou ces victoires « à la cravache », ou ce smash qui termine un cinquième set, que savent sortir de leur sac, alors que les deux adversaires sont épuisés et « sur les genoux », les nôtres.

Il est aussi difficile d'inculquer le froid calcul et le flegme souriant, dans le danger, à un enfant de Paris que la « furia française » à un enfant de Nagasaki, pour lequel la notion du temps et du hasard sont quasi inconnus.

Malgré cette différence de comportement, le judo, sport d'importation, a conquis son droit de cité. Davantage à la portée de tout sujet moyen que la lutte et la boxe, qui nécessitent des qualités athlétiques exceptionnelles pour être efficaces, le judo constitue une méthode dont nous ne saurions trop conseiller la pratique, parce qu'il constitue à la fois une école d'éducation physique et morale, où l'intelligence et la précision rigoureuse de la technique éduquent remarquablement les réflexes et les organes des sens, et où le travail de souplesse et en équilibre constitue un excellent entraînement pour l'éducation sportive générale.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 221