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Grande culture

Les exportations de blé

Des informations ont paru dans la presse au sujet des exportations de blé ; il est certain que, pour le grand public, ces nouvelles sont moins spectaculaires que celles qui se rapportent à un exploit sportif, à un fait divers savamment commenté. C'est un lambeau de l'histoire économique du pays, de sa vie tout court, puisque finalement toute la population s'y trouve intéressée. Aussi nous a-t-il paru utile de consacrer cette chronique au fait en question.

La France est un pays curieux où beaucoup de choses sont à peu près équilibrées, et même, quoi qu'on en dise, les habitants réalisent un ensemble harmonieux que l'on comprend encore mieux lorsque la frontière est franchie. Cette harmonie résulte même de contrastes assez vifs quand l'analyse en est poussée, et l'étranger s'en trouve un peu déconcerté. Mais qui dit harmonie ne dit pas nécessairement perfection, et il est non moins certain que nous pourrions tirer un parti meilleur des bienfaits de la nature si nous pratiquions mieux les vertus d'application, de persévérance, de continuité, qui sont l'apanage de peuples voisins ; seulement nous ne serions plus les hommes à qui l'on reconnaît du bon sens et nous perdrions peut-être en finesse ce que nous gagnerions en efficience.

Que fait le blé dans ce préambule ? Le Français a mis tout son acharnement de terrien à ensemencer des hectares de blé parce que, peu à peu, on était las de consommer du pain de seigle, des galettes de sarrasin, des gaudes de maïs. L'étranger, pourtant, nous apportait, par la mer Noire d'abord, par les océans ensuite, ce que des terres neuves produisaient pour payer leur défrichement. Une concurrence naquit au début du XIXe siècle, et l'effort local arrêta un peu cette submersion menaçante ; mieux encore, les statistiques nous enseignent que la France réalisa des exportations de froment. Pendant ce temps, les surfaces emblavées augmentaient chaque année.

Sur les autres continents, la cadence des défrichements se développa en même temps que des moyens de transport perfectionnés, moins coûteux, facilitèrent les arrivages. Le pays, axé sur la production du blé, sa principale source de revenus, prit peur et la protection douanière entra en jeu. Jules Méline est resté célèbre dans les milieux agricoles par la barrière qu'il contribua à élever. La baisse du prix du blé continua, les importations ne furent pas arrêtées, mais l'agriculture des grandes régions agricoles trouva son salut dans la diversité de ses productions ; c'est de l'époque fin du XIXe commencement du XXe siècle que date un bel élan vers les productions fourragères, moyen de donner satisfaction en même temps au désir de consommer de la viande qui se dessinait nettement.

Il n'est pas utile d'entrer dans tous les développements qui ont caractérisé les années qui suivirent la première guerre ; néanmoins, une notion essentielle se dégage. De 1914 à 1919, la France a vu sa production de blé décroître ; le ministre du Ravitaillement guettait les bateaux qui apportaient de quoi satisfaire une maigre ration. Des erreurs considérables avaient été commises en vue de maintenir à leur taux le prix du blé et le prix du pain, éléments liés ; d'autres denrées se vendaient mieux, le glissement s'accentuait vers les productions animales. Quand vint la fin de la guerre, des encouragements substantiels furent donnés, la surface emblavée remonta légèrement, mais, point caractéristique, la culture fut mieux conduite.

Résultat : en peu de temps, la production générale revint à des niveaux meilleurs, puis, au bout d'une douzaine d'années, la production dépassa les besoins ; ceux-ci avaient diminué sous l'influence de facteurs variés ; le financement du blé devenait difficile, il fallut se débarrasser des excédents en exportant. L'exportation avait été précédée par des tentatives de transformation du blé en denrée fourragère et, d'autre part, les pensées se tournaient résolument vers l’amélioration de la qualité du pain dérivant de meilleures qualités boulangères des blés.

Il faut retenir les progrès impressionnants réalisés en culture et qui résultaient particulièrement d'un choix de variétés rendu plus facile, passionnant même, par la mise en vente des types nouveaux créés par nos sélectionneurs. Ces progrès sont le témoignage certain des possibilités du sol de France et de la valeur de ses cultivateurs lorsque leur action n'est pas contrariée.

L'exportation fut donc envisagée et réalisée ; seulement, des leçons se dégagent des tentatives de l'époque. On ne s'improvise pas exportateur ; on n'envoie pas du blé sur le marché de Londres, ni sur celui de Bruxelles, comme on va vendre quelques sacs de pommes de terre au marché ou quelques moutons à la foire. L'exportation met en présence un producteur et un acheteur ; il faut donner satisfaction aux goûts spéciaux de l'acheteur et connaître son tempérament. L'opération se complique de formalités diverses ; il y a des wagons à faire circuler, des bateaux à affréter ; il faut songer aux moyens de règlement. Bref, c'est un métier comme un autre, il faut l'apprendre ... et pendant ce temps les stocks peuvent augmenter. Peut-être, à l'abri de l'Office du blé, aurions-nous fait cet apprentissage, mais une nouvelle guerre brisa tout, des années mauvaises aggravèrent la situation et, un quart de siècle après, les cartes de pain faillirent ne pas être honorées.

Le cycle recommence, les paysans se mettent au travail, les encouragements viennent, on paraît avoir compris; la nature elle-même se met de la partie ; on a encore un peu plus perdu le goût du pain, la baguette a remplacé le pain de quatre livres et on parle de surproduction. Il faut en finir et prendre une position qui réponde à une politique. La France saute le pas et elle se place exportatrice, étonnant le monde. Décision grave, car il est rigoureusement indispensable de monter en permanence la machine exportatrice, il faut faire honneur à la signature, et certains nous reprocheraient aujourd'hui de ne pas tenir nos engagements, d'autres voudraient ne pas tenir les engagements intérieurs ; tout cela n'est pas sérieux. La France peut et doit être exportatrice, ses voisins sont des acheteurs tout indiqués, mais il faut s'y prêter. Le tout est de définir ce que l'on veut. Pendant que se dessine la récolte 1950, il est sage d'y penser.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 231