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La forêt française

Le taillis sous futaie

Le taillis sous futaie occupe, nous l'avons vu précédemment, une très importante surface de nos forêts. Comparé à l'importance qu'il peut avoir dans d'autres pays, il apparaît comme un mode de traitement essentiellement français.

C'est un type de forêt où le chêne est roi et où les coupes, pendant les premières années après l'exploitation surtout, ont un faciès bien particulier, les grands arbres sortant majestueux d'un fourré dense de rejets vigoureux à feuilles grandes et bien vertes.

La cime des grands arbres couvre une grande partie de la surface du terrain et, dans 90 p. 100 des forêts, parmi ces grands arbres, dominent de loin les chênes. Ailleurs, quelques taillis sous futaie comportent des grands arbres, les réserves comme les appellent les forestiers, où domine le hêtre. C'est l'exception.

Sous cet ombrage assez dense se développent des rejets sur toutes les souches qui viennent d'être exploitées. Il va sans dire que, à l'inverse de ceux qui naissent sur les souches en pleine lumière, ceux qui apparaissent ailleurs doivent pouvoir croître en dépit de l'ombre, même légère, des grands arbres. Ceci explique l'abondance et même la prédominance, parmi ces rejets dont l'ensemble forme le taillis, d'espèces dites d'ombre où le charme tient la première place.

À côté de cela, tant parmi les réserves que dans les taillis, on trouve à l'état disséminé : des fruitiers (cormier, sorbier, poirier), le hêtre, des érables (surtout le champêtre), des ormes, ou le frêne.

Typiquement, le traitement d'une telle forêt comporte la coupe périodique des rejets lorsqu'ils ont atteint des dimensions acceptables. Et la perpétuation d'une production semblable implique de faire cette exploitation à un âge tel que les souches soient assez jeunes pour fournir des rejets nombreux et vigoureux. Le problème est le même que dans le cas du taillis simple et, en pratique, les exploitations ont lieu ici aussi tous les vingt-cinq à trente-cinq ans. Elles enlèvent, en même temps, dans la réserve, les arbres les plus vieux ou ceux qui, parmi les plus jeunes, ne seraient pas aptes à donner des bois de valeur.

La coupe, en enlevant tout le taillis et une partie des grands arbres et en ouvrant ainsi accès au sol de la pleine lumière et du soleil, favorise la germination des graines tombées qui, en d'autres temps, ne trouvent pas sous l'ombrage épais de toutes les couches de rameaux et de larges feuilles superposées les conditions nécessaires. Les jeunes plants qui en naissent, à la condition d'être dégagés à l'intérieur du taillis qui, au moins pendant les premières années, grandit plus vite qu'eux, sont les éléments indispensables au remplacement des vieilles réserves enlevées par la coupe. Mais ils sont aussi la source indispensable du remplacement des vieilles souches du taillis qui périssent, à la longue, de pourriture.

Pour toutes ces raisons, les jeunes semis qui s'installent dans les coupes de taillis sous futaie doivent être repérés et soignés avec persévérance. Au moment de la première coupe de taillis qui suivra leur naissance, ils auront par exemple trente ans ou un peu moins, ce sont des « baliveaux » ; s’ils sont jugés dignes de donner du bois de qualité, ils restent sur pied et seront des « modernes », ils ont alors soixante ans à la coupe suivante. Un nouveau délai leur est-il accordé, ils auront quatre-vingt-dix ans à la prochaine coupe et sont devenus des « anciens » ; ils peuvent encore rester plus longtemps, ils ne seront plus, jusqu'à la fin, que de « vieilles écorces ». Ce sont là des termes imagés auxquels les forestiers, un peu poètes, sont très attachés. Qui, de ceux qui habitent la campagne, ne les a entendus sonner joyeusement au cours de l'hiver, traversant en échos le silence des bois, lorsque les forestiers sont occupés à « marteler leurs coupes » ? Chacun de ces mots lancés à travers la forêt, c'est un des arbres de la réserve qui voit sa vie prolongée d'une nouvelle période.

C'est à ce moment que se décide, pour le bien, l'avenir de la coupe. Tout le taillis va être recépé, mais chacun des arbres de la réserve est judicieusement choisi, pour ses qualités personnelles, pour l'importance de l'ombrage qu'il apporte dans la coupe, pour la gêne qu'il porte au voisin, etc. Il est indispensable, en effet, que le propriétaire de la forêt non seulement récolte le revenu maximum, mais, ceci une fois acquis, conserve dans ce même but un massif toujours en parfait état. Ni trop, ni trop peu de réserves ; au total une proportion raisonnable entre baliveaux, modernes, anciens, telle est la solution cherchée.

Trop de réserves, c'est courir à l'étouffement du taillis et des semis des essences précieuses qui demandent de la lumière. Des réserves insuffisantes, c'est l'envahissement du taillis à croissance rapide, aux dépens des rares semis qui, à cause du poids des graines (chêne, châtaignier, hêtre, etc.), ne s'installent qu'au voisinage des arbres.

La densité des arbres dépend, en partie, de la richesse du sol ; mais il est possible néanmoins de donner une indication très générale. Les spécialistes estiment, en effet, comme proportion la plus favorable pour un sol de qualité moyenne, après le passage de la coupe, une réserve à l'hectare de :

    — 50 à 60 baliveaux ;
    — 30 à 40 modernes ;
    — 5 à 8 anciens ;

représentant 20 à 25 mètres cubes de bois d'œuvre tige, susceptible de fournir, jusqu'à la coupe suivante, au bout de vingt-cinq à trente ans, de 30 à 35 mètres cubes exploitables. Cette production peut tomber à 20 mètres cubes en sol pauvre, et au contraire atteindre 45 à 50 mètres cubes en sol très riche. À cela, il faut ajouter la production du taillis et des houppiers donnant bois de mines ou chauffage dans la proportion moyenne de 90 mètres cubes, avec des extrêmes de 50 à 120 mètres cubes.

Il faut bien noter qu'une coupe quelconque peut donner à l'hectare des chiffres supérieurs, soit en grumes, soit en chauffage, ce qui est fort intéressant momentanément, mais annonce que l'avenir de la parcelle de forêt, si de tels faits se renouvellent, est compromis soit en qualité, soit en quantité.

La forêt n'est pas un être qui, comme les non-initiés le pensent trop souvent, pousse toute seule et dont la vie peut être bouleversée sans ménagements. Gérer une forêt, ce n'est pas, nous venons de le voir, y couper à tort et à travers ; ce n'est pas non plus, nous l'avons vu précédemment, y planter n'importe quoi, n'importe où. Les parasites sont embusqués au coin, la ruine de la forêt est proche, et alors celle du propriétaire ne saurait tarder.

Le taillis sous futaie est de conduite délicate, mais c'est un mode de traitement qui s'applique très bien à des forêts de petite étendue. Par la variété des produits qu'il peut fournir, il a connu, dans notre pays, une grande vogue. C'est la forme idéale de la forêt à usage rural et il représente encore presque la moitié de la superficie de nos forêts feuillues. Il importe seulement d'adopter pour chaque type de sol, pour chaque association d'essences forestières, les « plans de balivage types » que les forestiers ont mis au point.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 233