Tous les apiculteurs savent — et nous l'avons dit
plusieurs fois au cours de nos causeries — que la valeur d'une colonie
dépend de la reine, qui est l'âme de la ruche. Il ne faudra donc rien négliger
pour que cette dernière soit une bonne productrice. En principe, on possède des
abeilles pour avoir du miel, lequel est récolté par les butineuses, et, comme
seule la reine est chargée de perpétuer l'espèce, il est aisé de comprendre que
la quantité de miel récoltée sera fonction du nombre de butineuses et, partant,
de la valeur de la reine.
Ceci bien compris, nous ajouterons que la splendeur de la
reine dure peu : elle donne la moitié de sa ponte environ la première
année, la seconde est assez bonne, puis elle décline ensuite très rapidement,
surtout dans nos grandes ruches à cadres, où elle a toujours de l'espace
disponible pour étendre son couvain.
Le secret des grosses récoltes est donc avant tout d'avoir
des reines jeunes, qui seront remplacées tous les deux ans si possible. Dans ce
but, nous allons indiquer une méthode très simple d'élevage de reine ne
nécessitant pas de matériel spécial ou très peu et à la portée de chacun,
pourvu qu'on veuille bien mettre un peu la main à la pâte, et suffisant pour
remplacer soi-même les reines d'un rucher d'amateur ou pour créer quelques
colonies nouvelles. Il y a, bien sûr, d'autres procédés industriels plus
compliqués demandant une longue pratique : laissons-les aux professionnels
et revenons à celui qui nous intéresse.
Nous supposons d'abord que vous possédez au moins deux
bonnes ruches sous le rapport production, douceur et résistance aux maladies ;
sinon, la première année, il vaut mieux acheter ses reines chez un éleveur
consciencieux pour avoir une bonne souche de départ.
Deux mois au moins avant la grande miellée, pratiquer le nourrissement
stimulant sur les deux souches choisies : pour cela, les alimenter au
sirop contenant moitié eau, moitié miel ; ajouter si possible un peu de
blanc d'œuf battu. Ce sirop sera donné tiède, le soir, en commençant par de
petites quantités tous les deux ou trois jours et en augmentant
progressivement. À partir de deux semaines, alimenter tous les soirs avec du
sirop un peu plus aqueux. Couvrir chaudement les ruches pendant toute cette
période pour éviter le refroidissement du couvain, qui prend une rapide
extension.
Dès le début de la grande miellée, intercaler au milieu du
nid à couvain d'une des ruches un rayon construit et vide, dont le fil de fer
fixant la cire gaufrée soit placé horizontalement et ne descende pas plus bas
que la moitié du cadre.
Lorsque la ponte atteint le bas de ce rayon ou presque, ce
qui demande quelques jours à peine, découper une bande à la hauteur des larves
venant de naître. Opérer rapidement, par temps chaud ou dans une pièce à bonne
température, pour éviter le refroidissement. Replacer ensuite ce rayon au
milieu du jeune couvain de l'autre bonne ruche et enlever la reine, qu'on peut
utiliser par ailleurs, puisqu'elle est bonne, en la changeant avec celle d'une
ruche faible, ou, mieux, en créant un nucléus avec deux ou trois cadres de
couvain, deux cadres de miel et pollen, le tout mis à la place d'une bonne
ruche transportée plus loin.
Que se passe-t-il dans notre ruche éleveuse ? Les abeilles,
s’apercevant de leur orphelinage, sont tout d'abord désorientées, mais, au bout
de quelques heures, tout rentre dans le calme, et elles construisent des
cellules royales, surtout sur le rayon découpé, qui leur facilite le travail.
Nourrir tous les soirs pour faciliter l'élevage.
Au bout d'une semaine, visiter la colonie afin de s'assurer
que le rayon découpé porte des cellules royales. S'il y en a d'autres ailleurs,
on peut les supprimer si on en a assez sur le rayon d'élevage, car on ne
connaît pas leur âge exact.
Neuf jours complets après la mise en orphelinage, enlever le
cadre et le porter au chaud et à l'abri du soleil, découper délicatement avec
un canif les cellules royales pour leur utilisation. Tailler en laissant un peu
de rayon autour de ces cellules pour ne pas les froisser, car elles sont
extrêmement fragiles. Les mettre à mesure dans une boîte en carton genre boîte
à œufs avec du coton en leur donnant la position qu'elles occupaient dans la
ruche, le bout dirigé vers le bas Éviter le refroidissement.
Ne pas oublier de laisser une ou deux cellules dans la ruche
orpheline pour qu'elle se refasse une mère, et voyons tout de suite
l'utilisation des cellules royales que nous venons de découper et qu'il importe
d'employer immédiatement pour ne pas les perdre.
Greffer d'abord une ou deux cellules royales dans les
colonies dont la reine est âgée ou dans celles qui n'ont pas donné
satisfaction. Détruire ces vieilles reines la veille ou, mieux, l'avant-veille
du greffage.
Pour greffer une cellule royale, découper dans le couvain de
la ruche à remérer un morceau de même dimension que le bout de rayon qui tient
à la cellule et l'ajuster en son lieu et place. Le mieux est de se servir d'une
cupule démontable dans laquelle on introduit une cellule. Cette cupule est
coincée entre deux cadres de couvain. Ce dernier moyen est à recommander ;
les abeilles ne détruisent pas les cellules, comme cela arrive avec les autres
méthodes.
Une fois les reines défectueuses changées, il reste un
certain nombre de cellules royales qu'on peut utiliser en créant de nouvelles
petites colonies de quatre à cinq cadres. Prendre dans de fortes ruches trois
cadres de couvain avec les abeilles, sans la reine, un cadre de miel et pollen ;
ajouter un cadre de cire gaufrée. Placer une ou deux cellules royales au milieu
du couvain, protégées dans des cupules.
Le tout est placé dans une ruchette à cinq cadres et
transporté à plus d'un kilomètre du rucher. Placer une tuile devant l'entrée
pour obliger les abeilles à s'orienter à nouveau.
On peut aussi, plus simplement, partager la souche d'élevage
en plusieurs ruchettes ; on n'affaiblit pas ainsi les ruches en
production. Pour cela, placer dans chaque ruchette deux ou trois cadres de
couvain et un de miel et pollen. Introduire une ou deux cellules royales dans
chacune. Laisser le tout à la place de l'ancienne ruche en égalisant les
populations ou transporter les ruchettes au loin. Nourrir si la miellée fait
défaut.
Enfin, nous avons vu, dans une causerie antérieure, qu'on
utilisait les cellules royales pour le développement rapide des essaims
artificiels.
Lorsque les nouveaux essaims créés sont trop à l'étroit dans
les ruchettes, il faut les transvaser dans des ruches normales ; ils
servent ainsi à augmenter le nombre de colonies de rapport pour les années
suivantes sans qu'il en coûte beaucoup.
Nous pensons que ce procédé très simple d'élevage donnera
satisfaction à tous ceux qui n'envisagent que le remplacement périodique de
leurs reines pour maintenir un bon rendement de leur rucher en même temps que
son accroissement.
Roger GUILHOU,
Expert apicole.
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