Dans une précédente causerie parue dans le n°622 d'octobre
1948, nous avons exposé le fonctionnement normal, physiologique, de l'appareil
ovarien de la poule dans la production des œufs. Dans celle-ci, nous nous
proposons de suivre l'évolution de l'oeuf pondu, d'exposer ses propriétés
alimentaires et de le suivre dans ses diverses altérations qui peuvent le
rendre inutilisable pour l'alimentation, voire même toxique.
Parmi les produits d'origine animale, l'œuf, et surtout
l'œuf de poule, constitue une ressource d'un grand intérêt pour l'alimentation
de l'homme, Naturellement destiné à l'édification des tissus du jeune, l'œuf est
un aliment complet, et, le détournant de sa fonction, l'homme puise, dans ses
différents milieux, des principes essentiels de facile digestion. Mais la
valeur de cet aliment en souligne la fragilité : grâce à sa constitution et
à son origine, aux manipulations diverses dont il peut être l'objet, l'œuf s'altère.
Nous passons alors à l'aliment suspect, source de dangers.
L'oeuf est un aliment de grande valeur nutritive, laissant
peu de déchets, ce déchet étant environ 11 p. 100 du poids total. Le
vitellus, ou jaune, possède un véritable pouvoir thérapeutique grâce à la
lécithine et à la cholestérine qu'il contient, facilement assimilables, et sa
richesse est notable en phosphore et en fer. L'albumine, ou blanc, contient des
acides aminés indispensables : lysine, cystine, etc. La valeur énergétique
de cet aliment complet, si riche en substances utiles, toniques ou
réparatrices, est d'environ 170 calories. Si l'on compare les valeurs
énergétiques de l'œuf, du lait, de la cervelle et de la viande de bœuf, on peut
dire que deux œufs, de 65 grammes chacun, valent 321 grammes de lait, 175
grammes de cervelle ou 166 grammes de viande de bœuf. Il convient d'ajouter que
l'œuf, au même degré que la viande, possède, un coefficient de digestibilité
considérable.
D'autre part. Il existe chez certaines personnes une
sensibilité particulière généralement due à une insuffisance des fonctions du
foie, ou à une sorte d'intolérance individuelle à l'égard des œufs, même
absolument normaux. Ne voit-on pas, d'ailleurs, des réactions organiques
semblables chez des personnes ayant ingéré des moules ou des fraises et chez
lesquelles le résultat se traduit par une éruption cutanée appelée urticaire.
Si vous cassez par le milieu un œuf frais pondu, vous
verrez, adhérente au jaune, une petite tache grisâtre, circulaire, régulière,
appelée vésicule germinative, qui est l'embryon du futur poulet. Pour
son développement, il suffit de la chaleur du corps de la poule, ou de la
chaleur provenant de la couveuse artificielle, pendant vingt et un jours, pour
que cette vésicule se transforme en poulet. Mieux encore, il existe, en
Océanie, un genre de gallinacés, les Tallégalles, qui se contentent de placer
leurs œufs dans un tas de feuilles, sorte de fumier dont la chaleur suffit à
provoquer l'incubation. Cette vésicule germinative jouit donc d'une vie
au ralenti, comparable à celle qui survit dans le grain de blé qui, enfermé
depuis trois mille ans dans un sarcophage égyptien, est encore capable de
germer dès qu'il est mis en terre humide, ce qui prouve bien que le principe de
vie c'était maintenu en lui.
Œufs frais.
— On dénomme ordinairement œufs frais ceux qui sont
pondus depuis deux jours en été et six jours en hiver ; en cet état, ils
n'ont encore éprouvé aucune altération.
Celle-ci se produit par suite de l'évaporation des liquides
contenus dans l'intérieur de l'œuf. Malgré son aspect lisse et compact, la
coquille est, en effet, essentiellement poreuse et laisse l'évaporation se
produire avec assez de rapidité. Les feuillets qui enveloppent intérieurement
la coquille de l'œuf cèdent alors du côté du gros bout et il se produit un vide
qui augmente chaque jour et auquel on a donné le nom de chambre à air.
L'introduction de l'air, avec les microbes qu'il transporte, provoque, aidé par
les variations de température et de la chaleur surtout, une fermentation
putride avec dégagement d'hydrogène sulfuré qui caractérise les œufs pourris.
L'altération rapide des œufs provient donc de la trop grande porosité de la
coquille ; on a remarqué, en outre, que cette altération prenait son point
de départ au germe ou cicatricule.
Les œufs, quoique non altérés, prennent facilement les
odeurs des matières avec lesquelles ils voisinent ; de plus, certaines
transformations intimes peuvent provoquer l'apparition d'odeurs désagréables.
C'est ainsi qu'on peut noter des odeurs dues à l'emballage, telles qu'odeurs de
paille humide, de foin, de résine si l'on a employé des copeaux de sapin, etc.
Parfois, lorsque l'œuf est maintenu longtemps dans la même position, le jaune,
libéré, est venu se fixer à la paroi interne de la coquille. Cette altération
constitue ce qu'on appelle l'œuf « taché ».
La saleté des poulaillers, les manipulations, les emballages
sont, avec l'humidité, les causes de ces envahissements des milieux de l'œuf,
le plus souvent à travers la coquille. Tous ces œufs « tâchés » sont
à retirer de la consommation, mais peuvent, exceptionnellement, selon leur
degré d'altération, être réservés à certains usages tels que pâtisseries, biscuiteries
sèches, etc.
Quelques auteurs, G. Thieulin notamment, signalent que des
porteurs de germes, surtout des cuisiniers, des pâtissiers et leurs aides,
peuvent apporter au milieu préalablement sain des œufs des bacilles qui, en ce
terrain favorable, vont se multiplier aisément. La grande majorité des
toxi-infections graves et fréquentes, survenant après ingestion de produits
frais aux œufs (crèmes, gâteaux, etc.), seraient dues non pas à l'œuf lui-même,
mais aux contaminations secondaires.
Nous signalerons enfin ce que l'on appelle le « mirage »
des œufs, opération pratiquée, à Paris, par les « mireurs » des
Halles, et que chacun peut pratiquer chez soi. L'œuf, sous tenu d'une main,
tandis que l'autre fait abat-jour au-dessus, est placé entre l’œil et la lueur
d’une lampe ou d'une bougie. Si l'œuf présente une parfaite translucidité, si
la chambre à air ne se distingue pas ou d'une manière très peu apparente, on
peut affirmer que l'œuf est frais.
Œufs de cane.
— Depuis longtemps déjà, les revues d'hygiène publique
ont signalé de nombreux cas de maladies provoquées par l'ingestion d'oeufs de
cane. C'est surtout en Allemagne, où l'on a coutume de manger les œufs crus
ou à peine tiédis, que ces intoxications ont été observées. C'est ainsi que Fromme,
en 1935, signale 253 cas de maladies ayant entraîné la mort de six personnes.
La maladie se manifeste par de la céphalée, des vomissements, de la diarrhée,
de la fièvre. Les bactéries ou germes incriminés appartiennent au groupe
paratyphique (bactéries de Breslau ou B. Gärtner).
La conclusion pratique qui se dégage de ces diverses
recherches est que le public doit être averti qu'il y a danger à consommer des
œufs de cane crus, soit tels quels, soit comme ingrédients. À noter qu'une
cuisson sommaire ne suffit pas à écarter tout danger : les germes en cause
ne sont détruits qu'à la température de 60° qui n'est pas nécessairement
atteinte dans toutes les parties de l'œuf, quand on prépare des œufs à la
coque, des œufs brouillés ou des œufs sur le plat.
MOREL,
Médecin vétérinaire.
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