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Où la Loire prend-elle sa source ?

Nous avons tous appris, à l'école, que la Loire prend sa source au Gerbier-de-Jonc, dans une étable ... C'est une charmante petite histoire.

Malheureusement, elle est inexacte.

En 1919, j'ai visité pour la première fois la région avec des amis. Nous avons fait l'ascension du Gerbier, magnifique belvédère sur le chaos des montagnes voisines dominées par le Mézenc, avec au fond, à l'horizon, les Alpes françaises.

Au pied, à quelques mètres en dessous de la route, une vieille ferme ; en face, de l'autre côté de la route, sur le flanc du Gerbier, un chalet-hôtel appartenant alors au Touring-Club de France : vitres cassées, fenêtres arrachées — œuvre de vandales comme toute guerre en produit.

À l'entrée de la ferme, un bac de pierre ; l'eau tombe d'un tuyau de fer, filet gros comme trois doigts ; elle s'écoule dans une rigole traversant l'étable et sort par un trou du mur. On nous dit ; « C'est, la Loire. » Nous l'avons cru.

Nous avons visité la ferme d'aspect millénaire, couverte en lauses, murs très épais (plus d'un mètre), une toute petite fenêtre, pas de cheminée intérieure ; l'âtre est constitué par deux pierres au pied d'un mur ; la fumée grimpe le long du mur et sort par une petite cheminée sur le toit. Du coté de l'étable, un lit fermé par des portes était encastré dans le mur. C'était rustique et sauvage.

Je suis retourné au Gerbier quatre ou cinq ans plus tard. Sur la porte de la ferme était un écriteau : « Source historique de la Loire, entrée 0 fr. 50. » Nous avons voulu voir ce que devenait la Loire de l'autre côté du mur : elle irriguait un jardin de choux ; nous avons fait le tour du jardin. Plus rien, le jardin de choux avait bu la Loire. Aucune trace d'un lit de ruisseau.

Ayant séjourné au chalet, nous avons vu que la source était en réalité dans le sous-sol, l'eau étant conduite à la ferme par un tuyau de bois passant sous la route.

Nous sommes alors allés visiter, au lieudit Prébachas, une ferme-auberge à 500 mètres delà, sur la route de Bourlatier (1) ; à mi-chemin, cette route est coupée par une autre petite route joignant Saint-Martial (bassin rhodanien) à Sainte-Eulalie. Sur cette ferme un écriteau : « Source authentique de la Loire, entrée 0 fr. 50. » Là il y a un ravinement bien marqué ; des filets d'eau viennent de droite et de gauche, un ruisseau se forme, et, 200 ou 300 mètres plus bas, on y pêche des truites.

Depuis, je suis retourné plusieurs fois au Gerbier sans étudier à fond la question. Les écriteaux étaient les mêmes, le prix seul avait varié : « Entrée 2 francs. »

L'année dernière, en juin, j'ai accompagné trois ou quatre professeurs du lycée de Saint-Étienne conduisant un groupe d'élèves et, en septembre, un important groupe de touristes ; trois cars, quatre-vingt-quinze personnes. Nous avons les deux fois étudié à fond la question. Transformation ! la route est devenue une esplanade de 40 mètres de largeur sur 500 mètres de longueur ; le bac de pierre de la ferme du Gerbier a été changé, l'eau sort de la ferme sans traverser l’étable, cachée par des planches sur lesquelles de nombreuses cartes postales sont fixées. (Actuellement, la pseudo-Loire sort d'un magasin de cartes postales !) Au pied du chalet (qui n'appartient plus au T. C. F.), un mur portant l’inscription : La Loire, un fossé, un caniveau, mais pas une goutte d'eau. Un tuyau direct sous la route conduit l'eau à la ferme. Un panneau multicolore sur la route : « Source authentique, source historique, etc. ... » Il s'agit là, évidemment, d'une histoire qui n'a rien de commun avec la géographie !

Au mois de juin, l'eau était assez abondante, elle irriguait la prairie, se dirigeant vers la droite. Au début, un vrai petit ruisseau ; nous l'avons suivi ; à 30 mètres, il s'est amaigri ; à 50 mètres, presque plus rien, il disparaît bientôt. Nous avons cherché en vain sur la pente : aucune trace d'un lit de ruisseau. La prairie avait bu la Loire !

Au mois de septembre, un professeur du lycée et un journaliste se sont rendus avec moi à la ferme-auberge de Prébachas. Un grand panneau : « Source cadastrale de la Loire ». Nous avons descendu le ruisseau ; il grossit vite et, à 3 kilomètres de là, il a deux mètres de largeur, 15 centimètres de profondeur et se réunit à un autre ruisseau d'égal débit, mais deux fois plus long : la Rivière Noire (l'Aigueneyre), qui prend sa source au col de Montouze, dans la forêt de Bonnefoy (1), à 6 kilomètres au Nord.

Au confluent des deux ruisseaux (hameau du Liseret), un vieux fermier nous a déclaré : « Mon père m'a dit, lorsque j'étais enfant, que le Père Abbé de la Chartreuse de Bonnefoy (aujourd'hui en ruines) revendiquait la source de la Loire dans sa forêt. »

En conclusion, il serait rationnel de dire que la Loire est constituée par la réunion de deux ruisseaux d'égal débit : l'un la Petite Loire, de 3 kilomètres de longueur ; l'autre la Rivière Noire (l'Aigueneyre), de 6 kilomètres.

Ces deux ruisseaux reçoivent chacun quelques petits affluents. Dans la fourche qu'ils forment, plusieurs filets d'eau sont utilisés comme rigoles d'irrigation et se partagent finalement en deux bras : l'un se jette dans l'Aigueneyre, l'autre dans la Petite Loire, tout près du confluent.

L'ensemble de tous ces ruisseaux constitue le bassin-de réception des eaux de la Loire, limité et dominé à l'Est par le Gerbier-de-Jonc, qui le sépare du bassin rhodanien.

Des missions françaises sont allées autrefois reconnaître les sources de l'Amazone ; il faudrait pourtant qu'on détermine chez nous sans contestation possible, géographiquement et officiellement, celles de notre grand fleuve national.

C. BERTHIER.

(1) Voir la carte Michelin n°76 et la carte d'État-Major Le Puy S. E., n°186.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 251