Il ne viendrait certes plus à l'idée d'un fervent de
l'automobile de construire lui-même le véhicule de ses rêves ... Aux temps
héroïques des premières voitures à pétrole, il paraît ... que ce fut
cependant à la mode. Mais ces temps sont bien révolus; aujourd'hui, il en
coûterait un prix fou pour construire un véhicule, bien quelconque, à un
mécanicien très qualifié, disposant d'un outillage ultra-moderne ... La
production en grande série a donné la qualité et des prix extraordinairement
bas.
Cinquante ans après la naissance de l'aviation, une
industrie aéronautique assez puissante n'a pas donné, elle, au Français
moyen, la possibilité de pouvoir s'offrir un avion à un prix abordable à
l'achat, et qui ne risque pas de le mener à la faillite, pour peu qu'il
l'utilise intensément pour son plaisir favori ou pour ses affaires.
Il serait vain de prétendre le contraire, car les chiffres
sont là : un quadriplace vaut plus de deux millions, et un petit monoplace
léger plus de 600.000 francs. L'entretien d'un avion coûte beaucoup, du fait du
moteur et des accessoires qui l'équipent et qui nécessitent des mises au point,
des révisions et des contrôles par le bureau Véritas sur des aérodromes souvent
très loin de son port d'attache.
Chaque accident matériel, même léger, doit être signalé, et
la réparation agréée par ce service, ce qui nécessite une paperasserie
tracassière. Ces réparations sont toujours très onéreuses : main-d'œuvre
très qualifiée et prix prohibitifs des pièces détachées, du fait de leur
fabrication en petite série.
L'achat et l'utilisation d'un avion sont donc, pour ces
raisons, très sommairement exposées, impossibles à 99 p. 100 des Français
possédant le « sens de l'air ». Seuls quelques industriels ou hommes
d'affaires, sacrifiant très souvent les plaisirs ou divertissements onéreux
qu'ils pourraient s'offrir, consacrent leurs disponibilités à l'utilisation
d'un avion.
Subissant la suspicion du percepteur et l'envie de beaucoup
de leurs compatriotes, ces « mordus », ces fanatiques de l'aviation
servent cependant intensément la cause du redressement aéronautique français.
Le Français aime toujours l’aviation.
— Et pourtant, combien de Français sont avides de voler !
Le goût de l'aviation n'est point mort en France ; chaque année, deux
mille à trois mille nouveaux pilotes brevetés sont là pour en témoigner.
Billet de mille par billet de mille, ils ont économisé pour
passer ce fameux brevet de premier degré ... Il en faut maintenant quatre
à cinq dizaines ! Et puis, lorsque la joie des premiers « lâchers »
des premiers tours de piste est éteinte, que quelques amis ont été « baptisé » bénévolement, ils s'aperçoivent
que leurs portefeuilles sont bien plats.
Un dimanche, deux dimanches, plusieurs dimanches se passent …
Les habitués de l’aérodrome ne verront plus ce nouveau jeune pilote
enthousiaste, car … l’heure de vol, même sur un appareil fourni
gracieusement par l’État, coûte 3.000 francs, et quelquefois plus. Fini le beau
rêve ... s'évader parfois de notre pauvre terre et goûter les joies du
ciel sous les nuages, ou très haut, plus près du soleil radieux ...
Eh bien ! non, ce rêve ne s'évanouira pas pour ceux qui
ont l'âme bien trempée et que le travail manuel ne rebute pas ; ils vont
pouvoir construire leur avion, un avion qui vole et qui leur offre le coefficient
de sécurité, comme ceux qu'ils ne peuvent acheter au constructeur aéronautique.
Un vaste mouvement en faveur de la construction amateur
était né avant la guerre : le mouvement : « Pou du Ciel ».
Mal préparé, manquant de spécialistes pour le diriger, ce mouvement, lancé par
un apôtre ardent : Henri Mignet, connut un immense succès, tout d'abord,
pour apporter ensuite beaucoup de désillusions à ses adeptes.
En 1950, deux ans plus tard, il ne saurait en être de même,
en ce qui concerne les désillusions.
Du fait de la dernière guerre, d'innombrables spécialistes
ont été formés, puis libérés par l'industrie aéronautique. Ces professionnels
de l'industrie du bois et des constructions mécaniques se sont établis dans
tout le pays, et déjà ils ont pris contact avec ceux qui veulent construire « leur
avion ».
Ceux-ci sont nombreux, groupés dans le Réseau du Sport de
l'Air (R. S. A.). Ils ont trouvé en ces spécialistes des techniciens
qui les conseillent et surveillent leurs travaux avec méthode.
Les constructeurs amateurs ont administré la preuve qu'ils
pouvaient construire des appareils dont le fini et le respect des plans de
fabrication étaient comparables à ceux de l'industrie. Certain aéro-club qui
s'enorgueillit d'avoir formé en 1949 le plus grand nombre de pilotes utilise
pour la formation de ses élèves un appareil qui a été construit par six de ses
membres.
Des plans de construction homologués.
— Certains constructeurs amateurs et artisans ont
eux-mêmes réalisé le projet, l'étude, puis la réalisation de leurs appareils ;
ils se sont révélés très bons mathématiciens et de parfaits avionneurs.
Devant ce succès, ils se sont décidés à présenter leurs
prototypes aux services officiels. Comme les réalisations de l'industrie
aéronautique, ces prototypes ont été soumis à des essais au C. E. V. (Centre
d'essais en vol de Brétigny), où ils ont magnifiquement réussi les épreuves.
Devant ces succès, le directeur du Service de l'aviation
légère et sportive.(S. A. L. S.) a décidé, afin de ne pas
disperser les efforts, d'autoriser la diffusion des plans de construction
dûment visés et homologués par les services officiels, ce qui permet aux membres
d'un aéro-club, disposant de moyens de fabrication, de reproduire un appareil
sûr et éprouvé. Trois types d'appareils ont été particulièrement recommandés.
Les moteurs.
— Lorsque l'on sait que les frais de main-d'œuvre
entrent pour les trois quarts dans le prix d'un avion, l'on juge de l'économie
réalisée. Ainsi, ceux des membres du Club les plus fortunés fournissent les
subsides (le R. S. A. a d'ailleurs créé une coopérative d'achat), et
les plus qualifiés travaillent, très souvent ; les uns et les autres font
les deux.
Il reste cependant la question du moteur, car il ne saurait
être question de le réaliser. Plusieurs constructeurs sont actuellement
employés à la résoudre. Il faut aux constructeurs amateurs un moteur simple,
robuste, ne dépassant pas le prix d'un moteur d'automobile et sa consommation,
soit 8 à 10 litres à l'heure.
Plusieurs constructeurs amateurs utilisent actuellement,
avec succès, sans modification importante, sur les avions qu’ils ont
construits, le moteur « Volkswagen », emprunté à la fameuse voiture
populaire allemande d'avant guerre.
Un de nos constructeurs de moteurs d'avions ne pourrait-il
pas s'inspirer de ces résultats et « sortir » un moteur « compound »,
en étroite liaison avec un de nos constructeurs d'automobiles.
Un immense service serait rendu aux constructeurs amateurs
et à l'aviation tout entière.
Maurice DESSAGNE.
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