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Un peu de gaieté

L'aspirateur d'amour

(Conte arabo-norvégien.)

l y avait une fois un petit prince arabe qui s'appelait Isphétar. Il habitait, avec ses bons parents, à Makalla, sur les bords enchanteurs du golfe Persique, un joli palais de marbre blanc à toit plat, entouré de palmiers et de cactus. À vingt ans, il était beau comme le jour. D'une taille moyenne (un zar et une guèze, vous voyez cela d'ici ...), mais bien proportionné, il avait les attaches fines. De beaux cheveux, noirs comme ceux d'un corbeau, encadraient son joli visage bistré où deux grands yeux de gazelle surmontaient un nez aquilin et une bouche aux lèvres de rubis.

Un matin, son précepteur, le digne Touthémou, vieillard au crâne chenu et à la barbe éburnéenne, lui tint ce langage :

— Isphétar, mon enfant, voici les instructions de tes parents : tu es arrivé à un âge où il convient que tu parfasses ton éducation. Tu vas aller faire ton droit à Paris. Tu partiras demain matin par l'avion de 8 h. 47 et tu arriveras dans la capitale des Francs ... Allah seul sait quand ! Tu m'enverras une carte postale dès ton arrivée. Dès que tu seras installé, écris-moi pour m'indiquer ton adresse. Allons, mon enfant, va faire ta malle et prendre congé de tes parents.

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Au même moment, il y avait une petite princesse norvégienne qui s'appelait Hilnège. Elle habitait avec ses bons parents à Hammerfest, sur les bords désolés de l'océan Glacial Arctique, dans un joli palais de bois noir à toit très pointu, entouré de sapins rouges et de saxifrages azoïdes.

Elle avait le même âge que le prince Isphétar et elle avait exactement la même taille que lui, c'est-à-dire 1m,67 (la Norvège a, heureusement, le système métrique décimal français depuis le 1er janvier 1889). Elle était fort bien faite, avait les attaches très fines ; de beaux cheveux, blonds comme un demi bien tiré (un demi de bière blonde, naturellement), encadraient son joli visage rosé où deux petits yeux couleur de myosotis surmontaient un tout petit nez en forme de pomme de terre nouvelle un peu relevée et une bouche aux lèvres de corail ...

Un matin, sa dame de compagnie, la digne Elsa Trond-jhemdhall, sympathique virago à lunettes d'or et à la couperose agressive, lui tint ce langage :

— Hilnège, mon enfant, voici les instructions de vos parents : vous êtes arrivée à un âge où il convient que vous parfassiez votre éducation. Vous allez faire votre médecine à Paris. Vous partirez demain matin par l'avion Pôle Nord-Paris, qui passe ici à 7 h. 2, et vous arriverez à destination ... Wotan seul sait quand ... Expédiez-moi un télégramme dès votre arrivée et ne manquez pas de me donner votre adresse. Allons, mon enfant, allez faire votre malle et prendre congé de vos parents.

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Isphétar et Hilnège arrivèrent au Bourget à huit minutes d'intervalle. Hilnège prit un taxi et, sur les conseils du chauffeur, se fit conduire à une agence de location de la rue de Belleville, où on lui dit :

— Allez donc au 172, rue Monge. Il doit y avoir encore quelques chambres à louer.

Elle se rendit à l'adresse indiquée et loua une chambre au deuxième étage, sur la rue.

Isphétar sauta dans un autobus et, sur les renseignements donnés par le très aimable receveur, alla voir une agence de location de l'avenue de Saint-Cloud, où un employé lui dit :

— Allez donc au 172, rue Monge. Il y a encore, je crois, des chambres à louer.

Il se rendit à l'adresse indiquée et loua une chambre au troisième étage, sur la cour.

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Évidemment, Isphétar et Hilnège se rencontrèrent souvent dans l'escalier. D'abord, ils se saluèrent, puis ils se saluèrent et se sourirent, puis se sourirent sans se saluer, ce qui était déjà plus intime. Enfin, ils causèrent sur le palier.

Un soir, Hilnège demanda au prince :

— Cher voisin, je désirerais connaître un point de droit sur la médecine légale. N'auriez-vous pas quelque ouvrage sur ce sujet ?

— Si fait, répondit Isphétar, j'ai tous les livres de Lacassagne et tous les ouvrages de Brouardel.

— Pourriez-vous me les prêter ? Je les étudierai chez moi.

— Ce serait avec plaisir, dit Isphétar, mais, par principe, mes livres ne sortent jamais de ma chambre. Venez, par contre, les consulter chez moi tant que vous le voudrez.

Hilnège, princesse bien élevée, refusa, naturellement et il y eut un petit froid entre eux.

À quelque temps de là, Isphétar, remarquant que sa femme de ménage négligeait un peu ses devoirs, désira dépoussiérer sa chambre. Un matin, il demanda à Hilnège :

— Chère voisine, pourriez-vous me prêter votre aspirateur, que j'entends ronfler tous les matins ?

— Ce serait avec plaisir, répondit la princesse, mais, mon aspirateur ne sort jamais de ma chambre. Venez, par contre, vous en servir chez moi tant que vous le voudrez.

Le prince se mordit les lèvres. Il y eut entre eux un froid terrible. Il alla habiter à Montrouge, et elle à Clichy, et se perdirent de vue.

Six ans plus tard, Isphétar, était avocat à la Cour de Paris ; Hilnège, dirigeait une clinique à Neuilly. Un jour, le prince fut légèrement blessé dans une collision d'autos.

On le transporta à la clinique d'Hilnège.

— Tiens ! fit cette dernière, où alliez-vous donc, mon cher ami, lorsque vous fûtes accidenté ?

— J'allais m'acheter un aspirateur.

— Mais ... ne vous rappelez-vous donc pas que j'en ai un toujours à votre disposition ? Quand vous serez guéri, je vous le prêterai avec le plus grand plaisir ...

En disant ces mots, son sourire de corail et ses yeux de myosotis étaient vibrants d'amour.

Isphétar alla voir l'appareil et resta très, très longtemps à parler avec Hilnège. Ils se marièrent un mois après.

Ils furent malheureux et eurent très peu d'enfants.

Roger DARBOIS.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 256