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Déplacements locaux du gibier

Le gibier, qu'il soit sédentaire, erratique ou migrateur, effectue, pour les besoins de son existence, des déplacements qui motivent en bien des cas les diverses chasses à l'affût. La façon même dont il est chassé le contraint à modifier ses allures.

Cependant les déplacements ayant quelque amplitude et soumis à des conditions à peu près fixes de régularité demeurent, en général, l'apanage des migrateurs qu'amène l'hiver. Lorsque ces derniers, pour fuir la neige et les glaces du septentrion, ont fait leur long voyage vers les régions méridionales, ils s'y cantonnent, mais leur mode de vie leur impose, dans le cadre de leur habitat provisoire, des mouvements dans bien des cas quotidiens, ou bien en liaison avec les conditions atmosphériques. Les chasseurs n'ont pas manqué de les mettre à profit et ont jalonné les passages d'affûts, dont les uns, comme les gabions, ont exigé de grands préparatifs, alors que, pour d'autres, une simple touffe de roseaux suffit. D'autres mouvements locaux, enfin, sont périodiques et se produisent à un moment déterminé de la saison.

Les canards et les bécasses donnent les exemples les plus frappants des mouvements locaux quotidiens. Tous les chasseurs connaissent les habitudes crépusculaires de ces oiseaux et la contrepartie, le chemin en sens inverse de l'aube. Les canards sortent à la tombée de la nuit des grands étangs, des roseaux, voire de la mer, qui, le jour, leur ont donné un asile inabordable. Ils vont faire leur nuit dans les secteurs où ils trouvent leur nourriture. Au moment où le jour va paraître, ils regagneront leur séjour diurne. À peu près aux mêmes heures, les bécasses sortent des grands fourrés et y reviennent après avoir pris leur compte de nourriture dans les prairies et les terrains mous.

Des oiseaux diurnes font des mouvements analogues dans un sens opposé. Mais, alors que les oiseaux qui mangent la nuit se déplacent quand la nuit est venue, les oiseaux qui mangent le jour se déplacent quand il fait encore clair. Ainsi en est-il de la grive commune, du pigeon biset et de nombreux petits oiseaux. Tout le jour, ils cherchent leur nourriture dans les buissons, les champs, les ruisseaux, les touffes d'arbres des plaines, et retournent, le soir, au bois qu'ils avaient quitté le matin. Là, les affûteurs les attendent, ou bien à quelque grand arbre servant de halte.

Je vois tous les jours un grand vol bruyant de corneilles partir chaque matin vers les châtaigniers des pentes cévenoles, où il cherche les fruits oubliés, et revenir chaque soir se brancher dans des acacias.

Les conditions atmosphériques règlent la hauteur de vol et son allure. Par temps calme, les oiseaux volent haut et de façon rapide et régulière, d'assurance si l'on peut emprunter ce terme à la vénerie. Le grand vent les plaque au sol et leur donne des mouvements saccadés. C'est, bien entendu, ce que les chasseurs attendent avec impatience.

J'avais passé une journée entière de février sans voir un seul canard, sans pouvoir aborder une seule bécassine. Vers la fin de l'après-midi, le vent s'éleva soudain et, à l'heure de la passée, souffla en rafales. Les canards arrivèrent alors à la hauteur du visage, et je vidai ma cartouchière. Hélas ! le contraire de ces aubaines est plus souvent vrai. On part plein d'espoir par un temps magnifique à ne pas mettre un chien dehors, comme ce matin où j'allai chercher un ami par une pluie battante sous le vent du midi en lui annonçant : « Le temps est superbe. » Nous nous trouvâmes soudain expulsés tous deux dans la rue noire par sa femme, d'ordinaire charmante, mais qui ne partageait pas notre opinion sur la météorologie. Ironiquement, le baromètre monte et, lorsqu'on arrive sur le terrain, un temps doux et calme s'est installé dans la nature. Comme il est lourd et ridicule, alors, le stock de cartouches que l'on promène dans le sac ! Mais un vrai chasseur ne désespère pas pour si peu, même si quelqu'un lui dit : « Ah ! si vous étiez venu hier. »

Les grands froids comme le vent provoquent aussi des mouvements locaux : canards chassés des étangs gelés, bécasses quittant le bois pour se cantonner aux bords des rivières, des ruisseaux et des sources. Le vent froid donne aux grives une soif inextinguible. Par temps calme, litornes et mauvis restent dispersés dans les genévriers. Si elles effectuent quelques vols, c'est à une allure de promenade ou pour se percher indéfiniment sur un grand arbre où elles jacassent et observent l'approche de leurs ennemis. Le temps devient hivernal ; elles rasent les bois, les terres, les prés en un vol qu'il suffit de voir pour deviner leur affolement. Elles vont aux affûts sans prudence.

J'ouvre ici une parenthèse gastronomique. J'ai lu en de nombreux articles que la litorne constituait un mets médiocre. Beaucoup d'auteurs lui attribuent une chair manquant de finesse et au goût plutôt amer. Peut-être ont-ils raison si ce mauvais goût vient de la nourriture de la litorne. Mais j'ai toujours vu apprécier comme un gibier de tout premier ordre les litornes tuées par grand froid et nourries de genévriers des plateaux méridionaux. Il faut dire aussi que certains restaurateurs peu consciencieux servent des étourneaux sous le nom succulent de « tcha-tcha des Alpes ».

Dans les quelques jours qui précèdent le grand voyage de retour, le gibier change ses habitudes. Il est pris d'une agitation qui lui fait exécuter des déplacements souvent spectaculaires. Ainsi, en février ou mars, les grives abandonnent les bois qu'elles habitaient depuis novembre, s'installent dans les plaines et les prés, principalement dans les parages des cours d'eaux. On les voit sautiller dans l'herbe et se percher sur les peupliers. Puis, un beau jour, l'appel du nord les absorbe. En mars, dans une tenue de rivières, on lèvera dix bécasses ; le lendemain, il n'y en aura plus.

L'année dernière, un jour de grande pluie, j'avais eu avec un ami, dans un petit marais perdu au milieu des terres, un passage intéressant de canards de sortes différentes : colverts, siffleurs, chipeaux, pilets, sarcelles d'hiver, sarcelles d'été. Il plut encore la nuit suivante, mais, de bonne heure, le ciel s'éclaircit. D'énormes nuages blanchâtres entre lesquels s'ouvraient des trouées de ciel bleu se déplaçaient lentement à une grande hauteur, tandis que nos appelants barbotaient tranquillement. Nous ne tirâmes plus, mais, tout le jour, nous avons vu des oiseaux prendre le chemin du nord. À la hauteur des nuages où ils découpaient leurs silhouettes lointaines, des canards, des grues, des courlis, des hérons, des grives, des étourneaux, beaucoup de petits oiseaux que mes connaissances ornithologiques ne me permettent pas d'identifier volaient dans la même direction et disparaissaient. Ce n'était plus le mouvement local de faible amplitude, mais nous assistions, émerveillés, au départ du grand voyage de la migration, à l'appel impérieux de l'amour vers les solitudes nordiques où les couples allaient se former et procréer. La nuit vint avec un gros orage, et nous sommes partis courbés sous l'averse et les éclairs, emportant chacun un appelant sous le bras.

Si nos fusils restèrent muets, nous n'en passâmes pas moins une belle journée de chasse, car il est bien vrai que la chasse ne consiste pas seulement à tuer.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 264