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La grande chasse en Indochine

Installation du campement

L'on fera édifier, avec les végétaux du lieu, une cabane spacieuse, de 7 mètres environ sur 3, fermée ou non, avec plancher de bambou surélevé de 10 centimètres au-dessus du sol. La toiture est à soigner spécialement ; qu'elle soit constituée de feuilles de latanier ou d'herbe-bambou (encore dénommée paillote ou tranh), il la faut bien épaisse, bien étanche, car il n'est pas agréable d'être obligé de se relever la nuit pendant un orage pour mettre le matériel et soi-même à l'abri des gouttières.

L'édifice sera dressé dans une clairière sèche, sur un petit mamelon par exemple. Éviter les lisières de forêt, à cause des sangsues, des reptiles, des moustiques et, même, débroussailler et brûler les herbes. Si l'on peut trouver un arbre à feuillage fourni, il donnera une ombre bienfaisante lors des heures torrides.

S'éloigner des marécages, étangs, cours d'eau, où vivent et se reproduisent les moustiques. En ce qui concerne particulièrement les eaux vives, habitat par excellence de l'anophèle propagateur de paludisme, s'en éloigner d'au moins un kilomètre si l'on campe sous le vent, d'une centaine de mètres si elles sont à bon vent. Cette sage précaution vous évitera des accès toujours débilitants, parfois pernicieux.

Les meubles se composeront, pour un seul chasseur, du lit de toile démontable (dit lit Picot) avec moustiquaire, oreiller pneumatique, matelas également pneumatique ou, du moins, mince et pliable du genre dit « cambodgien » ; couverture de laine, table et tabouret en bambou, construits sur place. À une extrémité de la cabane, et sur toute sa largeur, une autre table de 0m, 60 de hauteur, 1m,30 de largeur, plateau de rotin ou de bambou fendu ; elle recevra les cantines, carabines, cartouchières, musette qu'on y laisse choir avec un soupir de soulagement à chaque retour de chasse. Des crochets de bois seront fixés aux poteaux de soutènement, aux cloisons. On y suspendra lampes, couvre-chef, vêtements humides, musettes et bidons, serviettes, les armes après nettoyage et graissage. Par mesure de précaution, une arme à feu sera suspendue, chargée, à portée de main du chasseur endormi.

La cuisine sera constituée par un abri plus sommaire édifié à quelques mètres, sous le vent de la cabane (pour le cas d'incendie). Cuisinier et traqueurs y coucheront sur un bat-flanc. Le maître-queux installera ses deux fourneaux, composés de cailloux et pierres plates. Son matériel comprendra :

— 2 touques pour réserve d'eau, 1 touque pour l'eau potable ;

— 4 casseroles de gabarit différent ;

— 1 filtre à café ;

— 2 assiettes, 1 gobelet, 2 cuillers, 2 fourchettes, 1 louche, le tout en aluminium ;

— 1 marmite en cuivre pour cuisson du riz ;

— 4 torchons ;

— 1 lampe à carbure.

Le matériel de chasse comprendra :

— 1 bassin en zinc, de 0m,50 de diamètre sur 0m,40 de hauteur (avec couvercle, car il servira, au départ, de cantine à provisions), pour préparation des pieds d'éléphant, des peaux de félins ou autres carnassiers ;

— 6 couteaux de dépeçage à lame de 10 centimètres, tranchant arrondi jusqu'à la pointe ;

— 1 pierre à aiguiser ;

— de l'alun et du sulfate de zinc (le sel est à déconseiller), dans la proportion de 2 kilogrammes d'alun et de 1 kilogramme de sulfate de zinc pour 2 pieds d'éléphant ou une peau de tigre. Ces dépouilles, dégraissées au racloir et à la brosse avec un soin minutieux de manière qu'aucune parcelle de matière putréfiable ne subsiste, seront plongées dans le bain, maintenues au fond par un entrelacs de bambous et de manière que la solution recouvre d'un centimètre la partie supérieure. Durée du bain : dix-huit heures minimum, vingt-quatre maximum. Au sortir du bain, mettre à égoutter les peaux à l'ombre, suspendues pendant une heure. Ensuite, on les fixera sur un cadre, fortement tendues, mais de manière à éviter les déformations.

Pour ce qui est des pieds d'éléphant, leur évidage et dégraissage complet doit ne pas omettre les osselets se trouvant dans les ongles, sous peine de décomposition du pied tout entier. Sortis du bain et égouttés, ils seront remplis de sable très sec, tassé, en ayant soin à ce moment de conserver au pied sa forme naturelle. Le sable sera renouvelé toutes les vingt-quatre heures jusqu'à ce qu'il ne présente plus trace d'humidité.

Dans l'un et l'autre cas, les trophées pourront ensuite être confiés à un taxidermiste, qui les fignolera.

Il est recommandé de se munir aussi d'un kilo de savon arsenical, lequel s'emploie pour la préparation des peaux de serpents, très simplement d'ailleurs puisqu'il suffit, pour les conserver, de lotionner ces dépouilles avec une solution de savon. On l'utilise également pour les peaux de félins, qui ne peuvent être préparées immédiatement ; on les enduit, extérieur et intérieur, de mousse de savon arsenical, en frottant énergiquement, ce qui permet de les conserver sans risque pendant au moins vingt-quatre heures.

Mais continuons notre énumération :

— 1 brosse en chiendent, pour frotter au savon les pieds ou peaux souillés de sang avant de les immerger dans le bain :

— 1 grande scie de boucher et une forte hachette, pour dépeçage des grosses pièces et tronçonnement des défenses ;

— 10 mètres de fils de cuivre, pour fixation des peaux sur cadres ;

— 1 pince d'électricien ;

— 10 kilogrammes de carbure de calcium pour les lampes de campement ;

— 1 lampe électrique « de tète » avec piles de rechange, pour chasses nocturnes (la lampe « 5 piles » dure cinq heures d'affilée) ;

— 1 nécessaire d'armes avec tournevis ;

— 1 pelle, 1 pioche non emmanchées pour construction des postes d'affût ;

— 6 crochets de 0m,30, avec poignée, pour évidage des pieds d'éléphant 

— 1 entonnoir ;

— 2 bidons de 2 ou 3 litres, aluminium recouvert de drap ;

— 1 quart en aluminium.

Habillement.

— Trois chemises sport, tissu cellular, dont deux à quart de manches et une à manches longues (celle-ci pour affûts) ; 3 shorts amples, forte toile ; un pantalon long, forte toile ; chandail, foulard ; 3 paires de bottes forme aviateur, en grosse toile, lacées (pas de crochets, qui retiennent les herbes), semelles crêpe à ventouses ; une paire chaussures de repos ; 6 paires bas de laine, imperméable, légère et résistante (pas de coton, qui blesse les pieds) — les bas fabriqués jusqu'à présent en Indochine se collent et ne valent rien ; chapeau feutre ou toile à larges bords (genre scout), de préférence au casque, sur lequel les branchettes jouent du tambour.

Pharmacie.

— Comprimés pour aseptiser l'eau de boisson, alcool à 70° pour désinfection des plaies ; pommade oxyde de zinc pour écorchures et boutons. Pince à épiler pour enlèvement des épines. Seringue de 5 centimètres cubes pour injections. Ampoules de quinoforme (paludisme) et d'émétine (dysenterie, entérite). Comprimés de Stovarsol (affections intestinales), de Dagénan (affections ou plaies microbiennes). Comprimés de quinine ou autre produit antipaludéen. Trousse antivenimeuse ; coton hydrophile ; bandes à pansement. Essence de citronnelle.

Provisions de bouche.

— Dix kilogrammes de riz ; 10 kilogrammes pommes de terre ; ail, oignon ; sucre chocolat ; thé, café ; sel et poivre (en boîtes métalliques) alcool de menthe, alcool de bouche ; vin ; huile de table ou saindoux. Pain desséché au four ou biscuits. Quelques conserves de légumes et de poissons. Pas de conserves de viandes. Ceux qui tolèrent la viande crue pourront en manger à chaque occasion. La hacher, la saupoudrer de sel et de poivre : reconstituant hors pair.

Propos d’Allain le Broussard, recueillis par

Marcel FAUCHOIS.

Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 269