Si, dans un précédent article (1), nous avons exposé
l'évolution de la tactique défensive des perdreaux et des cailles, ce n'est pas
seulement pour constater un fait que déplorent tous les chasseurs au chien
d'arrêt, mais bien parce que l'on peut se demander si ces mœurs nouvelles ne
sont pas de nature à faire reconsidérer l'essentiel des principes de la chasse
au chien d'arrêt elle-même et de la sélection des chiens.
Ces réflexions, résultat de nos propres constats dressés au
cours d'un certain nombre de saisons de chasse, nous ne pensons pas qu'elles
nous soient personnelles ; bien des chasseurs les ont faites aussi, et
notre éminent collègue M. R. de Kermadec les a notamment exposées ici même,
dans le numéro de janvier : « Chassera-t-on désormais avec des
choupilles ou n'importe quel petit chien explorateur actif des haies et
couverts ? J'entends parler de la perdrix, devenue de plus en plus
inabordable au chien d'arrêt, tant rouge que grise. » Ainsi s'exprime-t-il,
et, à son avis aussi, se pose le problème de l'avenir du chien d'arrêt.
Ce problème est complexe. D'une part, en effet, en plaine
(en donnant à ce mot le sens le plus large en termes cynégétiques, qui l'oppose
au bois et aux terrains parsemés de taillis ou ronciers) et donc aussi sur les
collines, dans les guérets, chaumes, prairies artificielles et même les maïs,
les perdreaux piètent, courent et ne se laissent qu'exceptionnellement arrêter
par les chiens à distance de tir. Mais, d'autre part, et notamment dans le Sud-Ouest,
plus ou moins parsemé de bosquets épineux et impénétrables en été, les
perdreaux ne se montrent pas. Je connais, et l'on me signale, des coins où l'on
ne vit que rarement voler des perdreaux en septembre et octobre, et cependant
en juillet-août, comme en décembre, on y a vu plusieurs compagnies. Entre
temps, elles ne pouvaient qu'être blotties au cœur des plus épais fourrés.
Dans les plaines de Beauce ou du Nord, où l'on a de tous
temps pratiqué la battue après l'enlèvement des betteraves et le labour des
chaumes, pour tuer des perdreaux, aujourd'hui, on ne voit guère d'autre moyen
que d'avancer cette manière de chasser dès l'ouverture. D'ailleurs, la chasse
collective étant de règle en ces régions, ce renoncement au chien d'arrêt ne
saurait que consacrer un état de fait : la chasse au chien d'arrêt ne
s'accommode pas de la chasse en escouade, et, au surplus, la densité de la
perdrix permet en ces pays la battue sans risque d'une destruction
inconsidérée. Le chien d'arrêt y restera l'auxiliaire agréable et utile du
chasseur de faisans, de lapins et (combien rare !) de bécasses, ayant le
privilège de pouvoir chasser seul ou avec deux ou trois amis au bois sans être
embrigadé dans ces sections de tirailleurs, inséparables de l'organisation et
de la conception de la chasse dans ces régions. Quant à la caille, elle ne
vient dans le carnier de l'un de ces chasseurs que par hasard ; la chasse
de ce gibier est essentiellement œuvre individuelle, elle ne peut se concevoir
ni en battue marchante, ni avec rabatteurs, et, sur ces chasses, dites
organisées, il ne doit pas, parce qu'il ne peut y avoir beaucoup de vrais
chasseurs de cailles.
Aussi, sans être pessimiste, on peut prévoir dans ces
régions une régression progressive de l'usage du vrai chien d'arrêt au profit
de simples retrievers et de spaniels, bassets, briquets, voire corniauds, dont
le service est indiqué, les uns pour retrouver le gibier blessé en battue, les
autres pour la chasse au bois.
Mais, dans les quelque quarante départements où la chasse
individuelle est encore de règle, et où, au surplus, le perdreau, quoique
présent, n'est pas d'une abondance telle que la battue, d'ailleurs contraire
aux mœurs, puisse y être pratiquée sans danger pour la conservation de
l'espèce, où la chasse de la caille est restée pour beaucoup un des plus
captivants aspects de l'art de se servir d'un chien d'arrêt, envisager de
renoncer à ce dernier équivaudrait pour eux à renoncer simplement à chasser.
Nous n'en sommes pas là ; même si, pour un temps,
le chien d'arrêt s'avérait inutile pour chasser le perdreau, tant qu'il y aura
encore des chasseurs conservant le vrai sens de la chasse, et que ce sport ne
sera pas codifié en jeu de société, ils trouveront à l'employer ailleurs.
Nous disons pour un temps, au sujet du perdreau,
parce que nous pensons (et l'avons dit dans un article précédent) que le
comportement de ce gibier dans les pays pourvus de couverts permanents et
naturels est surtout une conséquence de la diminution du nombre et d'un
instinct de conservation de l'espèce plus que de l'individu. Qu'on trouve le
moyen (il y en a, mais il faut les vouloir) de rendre ce gibier plus abondant
et moins traqué, on reverra les chiens le bloquer dans les maïs, les vignes et
ronciers. En attendant, nous ne pensons pas que la panacée soit dans l'emploi
de chiens à quête de plus en plus ample et rapide, pas plus en plaine qu'au
bois ; car, ces aptitudes devant aller de pair avec l'arrêt lointain sur
émanations directes, elles supposent un gibier qui tient et, sur gibier piétard
hyperléger, de telles qualités ne peuvent que servir à indiquer la présence
d'oiseaux se défilant hors distance de tir. S'il ne s'agit que de prendre des
points, selon le langage des field-trials, très bien ; mais, s'il s'agit
de tirer du gibier, ces qualités, très utiles ailleurs, loin de résoudre le
problème, ne font, ici, que l'aggraver.
Hormis pour quelques rares virtuoses du dressage, on peut
être sceptique aussi sur les résultats de la méthode consistant, en plaine, à
envoyer le chien par la bande crocheter les perdreaux par-devant pour les
rabattre sur le chasseur. D'ailleurs, les perdreaux sont assez malins pour
crocheter dès leur envol hors d'atteinte des plombs. Compter aussi sur des
chiens très entreprenants pour déloger les compagnies des bois ne serait pas
non plus très productif, à moins de cerner le bois à plusieurs pour assurer
tous les angles de tir et d'avoir des chiens qui pistent et qui bourrent ;
car, sous bois, les perdreaux rouges se dispersent et courent en tous sens
comme un vrai troupeau de lapins, sans doute aussi se branchent-ils parfois. Ce
procédé ne serait d'ailleurs qu'un autre genre de battue.
Nous pensons que, de plus en plus, le chien d'arrêt
meurtrier est non celui qui s'hypnotise le nez haut même sur présence réelle,
mais celui qui, de nez plus fin que puissant, sait suivre prudemment tous les
méandres d'une piste et, parvenu sous le couvert, a l'intelligence, que donnent
seuls l'âge et la pratique, de tourner le gibier pour le faire envoler dans la
direction du chasseur.
Un cynophile en vue, grand amateur de chiens anglais et qui
en possède d'excellents, me confiait dernièrement :
« Les cailles ont changé de mœurs ; si j'en vois
une se poser au coin d'une vigne ou d'un maïs, mon meilleur chien, quand il y
arrive, marque l'arrêt, mais la caille a déjà piété et, bien souvent, sans
s'arrêter, elle s'envole hors de portée, coulée ou respectée à trop grande
distance. Je constate qu'avec des chiens de moyens plus modestes des chasseurs
en tuent plus que moi, parce que leurs chiens les pistent et, les suivant pas à
pas, ils peuvent les tirer, même avec des corniauds ou cockers qui les
bourrent. »
Certains bassets et corniauds, se comportant comme des
spaniels, sont, en effet, plus aptes que des chiens d'arrêt à permettre le tir
de la caille aujourd’hui.
Un vieux chasseur, voisin de ce fameux plateau de
Lannemezan, de renommée célèbre pour l'abondance des cailles, a cependant des
chiens d'arrêt, sans doute parce que depuis toujours adaptés au pays, qui
savent s'accommoder des mœurs nouvelles du gibier. Muni d'un grelot, le chien
fonce au galop (bien que continental, et, au surplus, français) dans les millets,
dont l'accès est interdit au chasseur, qui se poste en bordure ; bien
qu'il soit capable de bloquer un perdreau en découvert, s'il tient, à très
bonne distance, sans se laisser hypnotiser par les émanations directes, il
approche la caille avec une prudence suffisante pour ne pas la mettre à l'essor ;
puis, quand il la tient à sa merci, le chien se dresse sur ses pattes de derrière
pour repérer son maître ; il tourne alors l'oiseau et le fait envoler sans
autre protocole exactement dans la ligne de tir. J'ai connu un setter anglais
qui manœuvrait de même les bécasses, et, quelle que soit leur race, les
spécialistes de la darne au long bec acquièrent assez souvent cette « intelligence
meurtrière ».
C'est le chasseur susdit qui rencontra, il y a deux ans, un
étranger muni d'un très bon chien plusieurs fois lauréat de field-trials.
— Il n'y a pas de cailles, dit l’étranger, les rares
que l'on voit sont intirables. J'en ai tout juste tiré six en deux jours.
— Vous m'étonnez, répondit notre ami. J'en ai tué cent
sept depuis le jour de l'ouverture.
Et l'ouverture avait eu lieu le dimanche précédent. Nous
n'aurons pas la prétention de conclure ; mais nous pensons qu'en présence
des mœurs nouvelles du gibier il faut avoir la bonne foi de renoncer à certains
préjugés, d'accepter la caducité de certains vieux principes et reconsidérer
sous l'angle utilitaire la sélection basée dans les concours sur certaines
vertus dont le gibier fait aujourd'hui seul son profit. Car, quel que soit le
chien de nos amours, sa principale qualité, s'il est équilibré, est et sera de
plus en plus l'intelligence meurtrière. Et, cette qualité, c'est vous,
chasseurs, qui, par la connaissance de vos lieux, la pratique assidue et votre
propre intelligence, la donnerez à votre chien, quelle que soit sa race.
Jean CASTAING.
(1) Voir Le Chasseur Français d'avril 1950
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