La plupart des auteurs placent leur sujet à la ville. Ce
mal n'échappe pas au cyclisme.
L'un défendra le cyclotourisme dominical avec l'acharnement
du sédentaire asphyxié par les puanteurs de Paris — et il ne verra la vie
que par ce bout ; l'autre n'évaluera l'entraînement du jeune coureur
cycliste qu'en fonction de son travail d’usine dans une crasseuse banlieue.
Comme s'il n'existait pas de braves jeunes gens et de braves
gars pour qui les horizons aérés sont le tableau de tous les jours, de telle
sorte que la ville leur offre un charme ; comme s'il n'existait pas de
robustes citoyens des champs dont l'entraînement cycliste s'étiage à la
simplicité de leur existence d'agriculteur et de villageois.
Les thèmes admirables, développés par des plumes auréolées,
ne sont pas compris de ceux — que j'approuve — pour qui la route est
bordée de haies, le travail réglé sur le soleil, le repos guidé par la saine
fatigue et l'exercice commandé par le travail.
Belle affaire pour Pierrot d'aller admirer la campagne le
dimanche, alors qu'il la parcourt toute la semaine, alors que la Jeanne — sa
promise ou non — préfèrera, avec lui, gagner le bourg. Ils feront la route
à vélo, pour sûr — et c'est le principal, — et leur promenade (qui
passera par les bois, croyez-moi) vaudra toute randonnée combinée avec arrêt
obligatoire.
Il faudrait, surtout, expliquer à ces gens, bien plus
normaux que les citadins, tout ce qu'ils ont à gagner à utiliser une machine
confortable munie des meilleurs systèmes (à condition qu'ils soient simples), et
non les inviter à randonner perpétuellement dans leurs buissons. On oublie trop
que, sur 12.000.000 de cyclistes, 11.000.000 utilisent la bicyclette autrement
qu'en sportifs ou touristes.
Passe encore si on traçait des programmes orthodoxes.
Mais est-il un club de cyclotouristes, en France, qui songe
à gagner Paris, Rennes, Lille, Bordeaux, Toulouse ou Lyon en invitant ses
membres ruraux à visiter les villes au cours de vacances dès lors vraiment
profitables et instructives ?
Je n'en connais pas. Tous se décentralisent dans le sens ville-campagne ;
tous ne s'intéressent qu'aux citadins ; leurs dirigeants ignorent que,
pour celui qui vit dans la rudesse de la terre, les musées, les opéras, les
monuments sont un lieu de repos ; tous considèrent que les Français n'ont
besoin que de grand air et de santé, alors que la plupart en sont comblés.
Et l'on comprend que l'élément jeune des campagnes s'adonne
plus volontiers à la course qu'à la promenade ... quitte à effectuer cette
dernière par le moteur.
Plus franc, voire plus fier que le citadin, plus honnête,
moins ficelle, il voit son plaisir très simple à portée de la main :
Sauter sur un vélo ;
Faire des courses ;
Se donner à fond ;
Gagner ou non ;
Faire suivre le tout d'une bonne petite rigolade ;
Rentrer heureux ;
Ramasser quatre sous pour les à-côtés.
Je l'ai connu, ce programme. Et c'est pourquoi j'y songe. Né
à Paris, mais élevé en gardant les vaches ; abattu par le microbe
montmartrois, mais régénéré par les sables de Loire, j'ai respiré les premiers
encens du sport cycliste dans ces courses de fêtes à l'issue desquelles,
d'ailleurs, nous courions aussi bien à pied, à moins, que nous ne grimpions au
mât de cocagne.
Pas de combines (je me déshabillais chez mon plus rude adversaire,
dont la mère m'offrait le même breuvage qu'à son fils).
Le neveu du curé, le fils du meunier, le maçon, le charron — je
pourrais mettre un nom et une figure sur chacun — s'alignaient aux côtés du
fermier, de l'employé d'assurances, du marchand de gras-double ... et des
autres.
Tout cela sentait bon la campagne.
C'était de la course ... et nous n'eussions pas compris
qu'on nous invitât à grimper des côtes dans le simple but d'admirer les
panoramas ...
Qui sait, cependant, si l'on n'aurait pas réussi à nous
conduire à Bourges pour visiter la cathédrale ; à Paris, pour voir la tour
Eiffel; à Orléans, à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc ou du passage de
Bordeaux-Paris ; à Lyon, pour sa foire. Il n'y avait que la société de
musique pour nous faire connaître Lausanne, Cherbourg, Bruges, Toulouse ou
Rennes.
L'erreur touristique se propage, qui fournit à la jeune
vérité sportive ses éléments. C'est tant mieux. Car, en vrai, ce doit être
seulement à l'âge de raison que l'on commence à se promener.
Le cyclotouriste est, nécessairement, d'une espèce un peu
réfléchie, avec monnaie en poche, œil averti, idées en puissance et santé en
équilibre.
Tandis que le coureur est un jeune qui éclate, bondit,
s'amuse, court pour jouer et s'installe dans l'aisance athlétique au moyen du
libre cours qu'il donne à son trop plein de jouvence ...
La course et le cyclotourisme sont aussi dissemblables que le
jour et la nuit.
Nous gagnions cent sous ... ou dix dans nos courses de
fêtes ... Étions-nous pour autant professionnels ? Certes pas ...
Alors qu'on ne nous raconte plus d'histoires d'amateurs et
de professionnels !
Les 36.000 villages de France n'y comprennent rien. Pour
eux, le pharmacien vend des pilules, l'épicier de la moutarde, le coureur des
kilomètres, Tino Rossi des chants, et le marchand de vélos ... des vélos.
Ils savent que Robic est plus rare qu'un champ sans
taupinière ; que la course est faite pour les gars ; qu'il y a tout
de même de jolis corsages à faire s'émouvoir pendant des années, et sans doute
quelques gains supplémentaires à inscrire au budget de la future entreprise ...
— Après, on s'promènera ... hein ! la Jeanne ?...
René CHESAL.
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