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Yachting à voile

Le Requin

La série des Requins intéresse les vrais sportifs, ceux qui ont la passion de la voile et du bateau, négligeant les questions d'habitabilité et de confort. Le Requin est un pur sang de la mer, fait pour les « purs » de la voile. C'est le coursier fougueux, vif et rapide, que le moindre souffle de brise enlève ; c'est la voiture de grand sport aux reprises ardentes et nerveuses ; c'est le voilier racé aux lignes suprêmement élégantes et tendues. Il fonce et coupe la lame de sa fine étrave, le nez à l'occasion plongeant dans les embruns, mais, souple et rapide, il file, taillant sa route à travers la mer comme un torpilleur.

Imaginez la joie de tenir en main les rênes, je veux dire la barre d'un tel coursier, de le sentir vibrer au vent qui passe, obéissant à la moindre pression des doigts, au moindre réflexe de votre volonté. Il devient alors un prolongement de vous-même, et ce sont vos propres nerfs et vos  propres muscles qui luttent au contact de la mer et du vent. Il n'est pas de joie plus intense et plus pure pour un amoureux de la voile que de vivre ces heures de tension et d'effort dans la griserie de la vitesse, dans la maîtrise intelligente de la volonté sur les éléments aveugles. Mais laissez-moi vous présenter le plus aristocratique des cruisers de course.

Dessiné en 1930 par l'architecte finlandais Stenback, le Requin a été introduit en France en 1932. C'est le plus grand des monotypes français. Sa voilure d'origine, qui était de 19 mètres carrés, a été portée, à la demande des yachtsmen français, à 25 mètres carrés. L'« Association française des propriétaires de Requins » (1) édite une plaquette donnant les statuts de l'Association et les règlements de construction du Requin. Les échantillonnages de toutes les pièces y sont précisés. Seuls les bois suivants sont autorisés : pin, pin d'Orégon, sapin, spruce, chêne, orme, frêne, acacia, acajou, teck. L'arrangement des drisses et des écoutes est libre. La cloison entre le roof et le cockpit peut être reportée vers l'arrière, et la hauteur du roof peut être augmentée. La toiture du roof peut comporter un capot. Un trou d'homme est autorisé à l'avant du mât. La surface des voiles est vérifiée, comme dans les séries internationales, à l'aide de bandes peintes sur les espars. Le tangon du spinnaker a une longueur de 2m,20. Le point d'amure du foc sur le pont peut être mobile, mais la base du triangle avant ne peut dépasser 2 mètres ; la hauteur de ce triangle est de 7 mètres. Les focs sont libres. Actuellement, cent vingt unités environ sont disséminées sur toutes les côtes de France, sur le Léman, à Dakar et aux Antilles.

Caractéristiques du requin.
Longueur totale 9m,60 Poids maximum du lest 1.050 kg.
Longueur flottaison 6m,60 Tirant d'eau 1m,10
Largeur maximum 1m,90 Déplacement à vide 1.780 km.
Largeur flottaison 1m,60 Surface totale des voiles 25,20m2.

Il ne faut pas considérer le Requin comme destiné exclusivement à la régate. Il a fait ses preuves comme bateau de croisière, et de nombreux Requins naviguent chaque été entre les côtes anglaises et françaises, dans les parages de la Corse et sur les côtes d'Afrique. Certains ont étalé dans la Manche de durs coups de mer, se comportant de façon très honorable, justifiant les intentions de l'architecte, qui avait conçu ce bateau pour les rudes mers nordiques. Autre cause de son succès : son prix de revient. C'est le plus économique des bateaux de course habitables de cette dimension, la quille rapportée permettant de réduire la durée du travail. Dans les compétitions, le Requin a montré d'excellentes qualités. Souvent comparé au Dragon, qu'on peut considérer comme un ... frère du Requin, il présente une excellente coulée de l'arrière, une supériorité aux allures portantes grâce à ses lignes tendues. Si les fortes brises sont favorables au Dragon, moins voilé (20 mètres carrés seulement), les brises moyennes, par contre, avantagent le Requin. Tous deux ont une remarquable tenue à la mer, sous toutes les allures. Dans le coup de temps du début d'août, l'an dernier, en Manche, des Requins se sont trouvés dans des creux de 2 à 3 mètres sans qu'une vague vienne mouiller la plage arrière.

On a reproché au Requin de prendre trop facilement de la gîte. Seuls les anciens Requins justifiaient partiellement cette critique avec des quilles de 900 kilos et des mâts de 80 kilos. Les Requins actuels ont des quilles et des mâts respectivement de 1.050 et 30 kilos, et peuvent naviguer autrement que le pont dans l'eau ... bien que de nombreux barreurs préfèrent gîter exagérément plutôt que rouler de la toile.

Les requinistes se sont attaqués aux problèmes de l'habitabilité, et il en est résulté des solutions généralement heureuses. Certains Requins ont logé jusqu'à 5 équipiers dans les conditions suivantes : deux dans les couchettes de la cabine avec un troisième matelas au milieu ; deux autres équipiers dans le cockpit recouvert d'un taud pour la nuit. Mais le Requin est fait pour un équipage normal de deux ou trois équipiers pour la croisière avec vie à bord. La cabine comporte naturellement le réchaud, l'évier et de nombreux placards. Outre les deux couchettes, un cadre peut être prévu à l'avant, ainsi que des w.-c. Après avoir donné les caractéristiques du Requin, voici des précisions sur son prix de revient. Barre en main, il est vendu par les chantiers maritimes pour 600.000 francs. Dans le cas de deux yachtsmen associés — solution qui tend à se généraliser, — chaque équipier devra verser 300.000 francs pour l'achat dans un chantier et 170.000 francs seulement si les associés construisent eux-mêmes le bateau. Si le montant des parts est trop élevé, on augmentera naturellement le nombre des associés en partageant la saison pour la jouissance du yacht. L'essentiel est de sortir du rêve et de passer à la réalisation.

A. PIERRE.

(1) A. F. P. R., 32, boulevard Marbeau, Paris (16e).

Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 287