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Canoé

Rivières du Jura

Nous arrivons maintenant à l'étude des rivières nées en montagne, au profil plus ou moins accentué, présentant un caractère sauvage au milieu d'un décor formé de cimes, de rochers, de gorges, de forêts, toujours beau, souvent grandiose. À les descendre, le canoéiste éprouve une satisfaction intense, la même que ressent l'alpiniste en opposant ses faibles moyens aux forces de la nature.

Cette lutte, souvent inégale et toujours désintéressée, dans laquelle l'homme doit employer pour vaincre toutes les ressources de son intelligence et de son énergie, est, sans aucun doute, la plus noble.

Certes, ces rivières, que nous qualifions « sportives », ne sont pas toutes des torrents, et seulement celles cotées 4 et 5 présentent des difficultés majeures, au-dessus des aptitudes du pagayeur moyen. Parmi elles, les plus humbles, dont le nom est parfois ignoré des canoéistes épris de descentes tumultueuses, ont leur charme. Celui qui aime la nature, la calme solitude, introuvable ailleurs qu'au fil de l'eau, celui qui sait apprécier l'harmonie d'un méandre ombragé ou la grâce rustique d'un vieux moulin, éprouvera de grandes joies à les descendre en canoé.

Si les rivières du Jura ne sont pas nombreuses, elles sont, par contre, très belles. Le canoéiste y trouve toute la gamme des difficultés dans un décor splendide où la forêt l'emporte généralement sur le rocher. Peu de grandes villes ou d'agglomérations importantes au bord de l'eau. Au fond des gorges, face à la nature, on parcourt souvent de longues distances avant de retrouver la présence de l'homme, matérialisée par un ouvrage quelconque, une ferme ou un village.

La moins difficile des rivières du Jura est la Loue, issue d'une fontaine vauclusienne, non loin de Pontarlier, dans un site admirable. Cette origine et la présence de nombreuses sources lui assurent un débit d'eau assez régulier pour que la descente en canoé soit faisable en toutes saisons, en dehors, bien entendu, des périodes de grande sécheresse. De Lods à Quingey, sur une distance de 55 kilomètres, le courant est toujours vif et les difficultés de classe 2 sont représentées par des seuils rocheux, des déversoirs de moulins et de petits rapides ; rien d'insurmontable pour qui sait correctement pagayer. Le lit de la rivière est étroit et sinueux ; pas de gorge, mais une vallée resserrée, des pans de rochers et une grande abondance de forêts et de verdure.

Site et navigation sont encore intéressants jusqu'à Port-Lesnay, situé à 25 kilomètres de Quingey, mais il est inutile de poursuivre en aval de cette localité.

Suivant l'ordre des difficultés, l'Ain est d'une classe nettement supérieure. Les nombreux canoéistes qui l'ont choisi pour y faire leurs premières armes en eaux accidentées y ont découvert l'attrait de la rivière sportive, gardant un impérissable souvenir du « Jean-Mathieu », fameux rapide rencontré à quelques kilomètres du départ. Qu'il nous soit permis de rendre hommage aux pionniers du Canoé-Club de France, les frères Monneret, qui osèrent le descendre pour la première fois en ... 1914.

Au départ de Champagnole, la première partie, jusqu'au confluent de la Bienne, présente des difficultés de classes 2 et 3, exception faite du « Jean-Mathieu » (classe 4), au fond d'une vallée encaissée et très boisée aux beaux escarpements rocheux. L'Ain est malheureusement rendu impraticable par la présence de grands barrages dans la région de la chartreuse de Vaucluse. Le long chariotage qui en résulte n'est cependant pas une pénible épreuve, se déroulant dans un décor splendide.

Après le confluent de la Bienne, l'Ain coule encore en gorge, mais les difficultés cessent ; nous sommes maintenant sur une belle rivière de classe 1 avec quelques petits rapides sans difficultés, et, quand la vallée s'élargit, le paysage n'en conserve pas moins son caractère jusqu'à Pont-d'Ain. En aval, c'est la plaine, sans intérêt jusqu'au Rhône.

Le Doubs peut être considéré comme l'une de nos plus belles rivières sportives, offrant toute la gamme des difficultés sur un parcours de 150 kilomètres. Paysages comparables à ceux de l'Ain, boisés, mais présentant des parties de gorges beaucoup plus rocheuses et profondes, principalement dans la région frontière entre la France et la Suisse.

Contrairement à la généralité des rivières, où les difficultés les plus grosses sont situées en amont du cours, les plus forts rapides, sur le Doubs, alternent avec des bassins d'eau absolument calme. Descendable depuis le lac de Saint-Point, et même quelque peu en amont, le Doubs n'est qu'une agréable rivière de classe 1 jusqu'au Saut-du-Doubs. En aval de cette belle chute naturelle, sa physionomie change du tout au tout ; il cascade maintenant au fond d'une gorge étroite, son lit est très rocheux et les difficultés atteignent la cote 4 et même 5 pour certains rapides. Après ces 10 kilomètres de course folle, le Doubs s'assagit brusquement, et c'est maintenant en eau calme que nous parcourons encore 10 kilomètres au fond d'une très belle gorge boisée pour atteindre le défilé infranchissable du Refrain, qui oblige à charioter pendant 3 kilomètres.

En aval, le Doubs reprend son allure sportive, les rapides sont nombreux, généralement très encombrés, mais il est toujours possible de s'arrêter pour reconnaître les plus violents. De ce fait, le Doubs, dans cette partie longue de 75 kilomètres jusqu'à Saint-Hippolyte, ne peut pas être considéré comme une rivière très difficile ; la cote générale est 3, et certains passages de classe 4 peuvent être évités. En aval, le paysage reste agréable jusqu'à Besançon, mais la navigation est calme.

Une rivière moins connue, au débit très irrégulier, la Bienne, offre de Morez à Saint-Claude un parcours des plus durs (classe 4, 5, 6) au fond d'une gorge étroite et rocheuse. Les 33 kilomètres restant à parcourir jusqu'à l'Ain, dans une belle vallée étroite aux escarpements rocheux, n'offrent plus de difficultés sérieuses (classe 2).

Citons encore un petit affluent du Rhône, la Valserine, descendu pour la première fois en 1949 ; si son nom est charmant, son accueil l'est moins. Lit extrêmement rocheux, difficultés de 4 à 6. Seuls les canoéistes très expérimentés, capables de décisions rapides pour éviter de nombreux passages infranchissables, peuvent s'y risquer.

Le charme et le caractère sportif des rivières du Jura attirent le canoéiste, mais aussi, sans aucun doute, cette évocation souvent constatée des sites canadiens, patrie d'origine de nos embarcations.

G. NOËL.

Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 289