Délaissant aujourd'hui la suite possible d'une chronique sur
la qualité des blés, arrêtons-nous à un sujet de saison : la qualité des
fourrages ; mai n'est-il pas le moment où la production fourragère se
dessine ?
La prairie naturelle est alors ce qu'ont fait le terrain et
le climat : milieu naturel, elle est aussi ce qu’a pu en faire le
cultivateur par ses soins : assainissement, chaulage, phosphatage,
notamment ; on commence à parler un peu plus de l'apport d'azote. Mais,
partout, ce sont des mélanges variés, généralement en rapport étroit avec la
nature du terrain : graminées, légumineuses, plantes diverses donnent à
l'ensemble les aspects divers que les phytosociologues s'efforcent de décrire,
d'analyser et d'apparenter ; mise au point et généralisation que des
agronomes ont décrites, analysées et rapprochées en restant sur des conceptions
simples.
Quel parti tirer de cet ensemble ? Le pâturage, le
fauchage sont des règles anciennes appuyées sur des habitudes que n'obligeait
pas à pousser plus loin le remplissage d'un grenier ou la mise à l'herbe,
pendant un nombre de mois variable avec le climat, d'animaux d'élevage, de
laitières ou de bêtes d'embouche. L'analyse chimique des fourrages a voulu
donner une explication des pratiques, et Joulie, dans ses travaux mémorables,
essayait de représenter les prélèvements dus aux animaux pâturant, par des fauchages
répétés. Les règles de fertilisation inspirées par les résultats de ces
recherches sont encore largement valables.
Une notion nouvelle, qui se dégageait d'ailleurs d'analyses
anciennement exécutées, tend à faire ressortir la valeur alimentaire
remarquable des herbes jeunes : réduction de la teneur en eau, ce qui est
compréhensible, réduction de la richesse en protides (matières azotées),
accroissement corrélatif de la cellulose et, en outre, diminution de la valeur
alimentaire nette, tels sont les effets du vieillissement de l'herbe.
Se basant sur ces données, on recommande donc de couper de
bonne heure, et les faux et faucheuses devraient sortir de la ferme au début de
mai, au lieu d'attendre les jours meilleurs de juin. Évidemment, la fenaison ne
se présente plus avec le même caractère; mai est généralement plus pluvieux que
juin, les jours ne sont pas aussi longs, et, ces facteurs agissant dans le même
sens, on n'entrevoit pas la dessiccation de l'herbe avec autant de facilité ou,
plus exactement, on l'entrevoit avec plus de soucis. C'est alors que deux
solutions sont apportées : il y a un demi-siècle, on aurait parlé de foin
brun, c'est-à-dire la dessiccation du fourrage résultant de la fermentation
surveillée, arrêtée, reprise jusqu'à abaissement de la teneur en eau, capable
d'aboutir à la conservation sans crainte ; la rentrée à l'état demi-sec
suivie d'un fort salage (méthode de Solages) connut une certaine vogue il y a
un quart de siècle. Aujourd'hui, on nous place devant cette alternative :
séchage accéléré par des moyens artificiels, ensilage suivant des méthodes
nouvelles ou, à la rigueur, par les procédés qu'un siècle bientôt a répandus en
France.
Séchage accéléré : au soleil et au vent, on substitue
le passage dans un courant d'air chaud et sec ; c'est évidemment l'accélération ;
il suffisait d'envisager la construction mécanique pour concevoir le cadre, de
remplacer l'énergie solaire par l’énergie électrique, source actuelle, ou par
le carburant, source accumulée par les millénaires. En fait, les diverses solutions
sont réalisées ; en Suisse, dans les pays Scandinaves, en Angleterre, aux
États-Unis d'Amérique, des appareils fonctionnent et les résultats sont
magnifiques ; on veut implanter ces méthodes en France. S'il ne s'agissait
que de construire et de faire fonctionner, nous ne serions pas inférieurs à
d'autres, mais, malgré tout ce qu'a de prometteur, pour l'amélioration de notre
standing, le mot équipement, il faut bien faire des comptes ; avant de
faire des comptes, il est tout de même nécessaire de financer l'opération au
départ ; et la solution pratique, rentable, comme il est d'usage de dire,
il est nécessaire de la rechercher dans ces deux formules proposées par deux
écoles : l'entreprise à orientation capitaliste, la coopérative à
orientation communautaire.
D'autres problèmes subsistent, mais ils se posent aussi,
bien qu'à une échelle moindre, lorsqu'on envisage la conservation de l'herbe
jeune, tendre, riche et succulente par l'ensilage. Car l'immense avantage de la
fenaison ordinaire, c'est d'opérer sur place, de laisser l'eau partir dans
l'atmosphère et de ne pas la manier du terrain à la ferme. Que l'on transporte de
l'herbe verte pour la sécher rapidement ou pour l'entasser quelque part, c'est
un poids quatre ou cinq fois plus élevé que celui du foin. Se posent donc des
problèmes de manutention à résoudre.
Laissons ce côté de la question cependant non négligeable. L'ensilage
consiste à entasser de l'herbe, le tas est à l'air libre, dans une fosse ;
le silo, de forme variée, recueille l'herbe ; le volume du silo varie :
quelques mètres cubes, une dizaine, ou dépasse la centaine. Le silo offre donc
une souplesse d'adaptation qui le rend précieux et utilisable dans toutes les
situations agricoles. En fait, le silo a conquis tous les pays, et il se prête
aux combinaisons les plus opposées.
Par rapport à la fenaison, les méthodes nouvelles, basées
avant tout sur la qualité des produits, prétendent, en outre, conserver au
produit conservé toutes ses qualités : réduction au minimum des pertes
d'éléments connus depuis longtemps, conservation des vitamines, dont le rôle
s'avère si précieux. Faut-il en conclure qu'il faut bannir des campagnes ces
spectacles qui ont fait le ravissement des peintres et des poètes, fait goûter
aux gens de qualité les délices de la vie champêtre et, plus prosaïquement,
permis d'utiliser la famille paysanne dans sa plus large acception ? La
mécanique elle-même devra-t-elle abandonner un secteur qu'elle a parfaitement
conquis ? N'exagérons pas, songeons simplement au manque d'attrait de
rentrer dans une grange des produits de faible valeur, au prix de peines
répétées.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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