Qu'y a-t-il au centre de la terre ? Pendant longtemps
on a parlé du feu central, mais les géophysiciens modernes ont tout changé, et
pour eux, à la lueur des découvertes atomisticiennes, le centre du globe est un
gaz ... mais sous une telle pression qu'il acquiert la solidité de l’acier
tout en étant fluide comme du beurre, par la grâce d'une température, sur
laquelle on n'est pas d'accord, mais qui est toujours supérieure à 5.000 ou
6.000°.
Cette chaleur interne sert du reste depuis des millions
d'années à entretenir la vie sur la terre, en la maintenant à une température
voulue.
Si l’on tient compte que la terre pèse 6 sextillions de
tonnes, et que, par comparaison à la chaleur spécifique de l'eau prise comme
unité, la sienne n'est que de 0°,2, on observe qu'il a suffi pendant dix
millions d'années d'une diminution de température de 1/100 de degré pour
entretenir la vie et lui fournir toute l'énergie qu'elle implique.
Ces quantités parlent difficilement à l’esprit par leurs
mesures géantes. Pour tenter de les apprécier, il faut songer que l'extraction
totale du charbon dans le monde atteint annuellement 1 milliard et demi de
tonnes. Or l'énergie fournie par l'abaissement de ce centième de degré est
l'équivalent de la combustion de 1 million et demi de milliards de tonnes.
À mesure que l'on descend vers les profondeurs de la terre,
la température augmente, sur la base de 3° par 100 mètres. Avec 10° à la
surface, on atteint donc 40° à 1.000 mètres de profondeur, 70 à 2.000 et 100 à
3.000. Ceci approximativement, car les plus profonds sondages actuels
atteignent 8.000 mètres et on a 300°, alors que les prévisions n'en indiquent que
250.
Ce n'est pas seulement dans les grandes profondeurs que se
manifestent ces températures élevées. Sources thermales, geysers et volcans en
sont des manifestations en surface.
Point n'est besoin de s'étendre sur les sources chaudes. En
de nombreux villages, et dès les temps fort reculés, les habitants en surent
discipliner les écoulements à leurs usages et, bien avant les modernes
ingénieurs, posséder le chauffage central urbain à eau chaude. Cependant, si
dans le Massif Central il existe des sources possédant des eaux neutres à
quelque 75°, elles sont le plus souvent sulfurées et nauséabondes.
Les geysers sont mal connus du public. Ils sont, pense-t-on,
provoqués par des arrivées d'eaux dans des poches du sous-sol profond, où elles
s'échauffent jusqu'à se transformer en vapeur. La pression agissant alors, il
s'en suit des jets puissants, chauds, selon le processus des puits artésiens.
Toutefois les geysers ne sont jamais continus : leurs jaillissements sont
périodiques et alternatifs avec des temps de repos. Les geysers sont nombreux
en Islande, avec une densité d'une centaine au kilomètre carré. Certains sont
prestigieux et atteignent plus de 50 mètres de hauteur de jet sous un diamètre
de 3 mètres.
Les Américains ont été les premiers à tenter une
exploitation industrielle de ces geysers et, comme ils en manquaient de
naturels, ils ont effectué, en des lieux judicieusement choisis, des forages, créant
ainsi des sources alternantes chaudes artificielles.
Les Italiens, eux, ont des projets faisant songer au mythe
de Prométhée dérobant le feu au ciel. Ils ne parlent de rien moins que de
domestiquer le Vésuve et l'Etna.
On doit au savant français Georges Claude l'idée de capter
sinon le feu, du moins l'énergie qu'il fournit dans les profondeurs du sol.
G. Claude avait déjà tenté une usine maritime sur le même
principe. Sous l'équateur, la température de la surface des mers est de 25°,
mais à 400 mètres de profondeur elle tombe à 4°. Il suffisait d'utiliser cette
différence de potentialité thermique. La technique industrielle des producteurs
de gros tuyaux ne permit pas au savant de réaliser son projet au large et sur
une île flottante. Cependant, actuellement, on a repris à Abidjan les
aménagements.
C'est le même principe que Georges Claude a proposé
d'appliquer dans sa très récente communication à l'Académie des sciences.
L'usine se composerait d'un réservoir immense creusé dans
les grandes profondeurs — de l'ordre de 5.000 à 6.000 mètres d'une côte.
Une canalisation horizontale le relierait à la mer pour apporter de l'eau très
froide. Cette eau s'échaufferait automatiquement dans la « poche »,
d'où un énorme puits vertical la conduirait automatiquement, par densité plus
faible, vers la surface.
Compte tenu des pertes de chaleur, on peut estimer qu'avec
une profondeur de l'ordre de 4.000 à 5.000 mètres on aurait une différence de
température de l'eau voisine de 100°, mais sans possibilité d'obtention de
vapeur, par suite de la condensation sur les parois et au fur et à mesure de
l'élévation de la colonne aqueuse.
Dans les conditions usuelles d'un rendement de 10 p. 100
analogue à celui des meilleures locomotives et pour un débit en surface d'une
trentaine de mètres cubes à la seconde, l'énergie obtenue tendrait vers le
million de kilowatts, soit près de 9 milliards par an, cinq fois ce que sera
capable de fournir Génissiat totalement équipé.
Il ne faut pas, toutefois, trop s'enthousiasmer pour ces
projets, car la perforation du tunnel et du réservoir à 5 ou 6 kilomètres de
profondeur est du domaine du seulement « possible » et soulève des
problèmes insolubles pour le présent, en matériel comme en capitaux.
On peut toutefois être plus modeste et envisager le
détournement d'un fleuve dans des poches vidées de naphte. Mais si, au lieu de
vouloir créer des centrales d'énergie électrique, nécessitant de l'eau à très
haute température, on se limite à des buts plus modestes, comme le chauffage
central urbain, on peut dire que d'ici une vingtaine d'années les réalisations
peuvent être généralisées.
Il faut toutefois se méfier des projets à la Wells ou à la
Jules Verne. L'esprit humain aime caresser les chimères. On l'a déjà vu avec
l'atome et l'énergie atomique, et ce n'est qu'après cinq ans de projets que
l'on s'est rendu compte que, depuis cinquante ans, on connaissait déjà maints
explosifs, et que jamais oncques ne songea sérieusement à s'en servir pour la
propulsion des locomotives ou la création d'un paquebot avec des turbines à
dynamite.
Louis ANDRIEU.
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