Après avoir forcé pas mal d'animaux sur et sous terre, c'est
une chasse que je pourrais qualifier de mixte dont il s'agit aujourd'hui.
Ne comptez pas y trouver le décor habituel de nos récits où
tout se passe à la suite d'un grand ou d'un petit équipage, servi par des
cavaliers ou des veneurs à pied.
Non ! c'est, beaucoup plus modeste, la meute composée
d'un chien, ou, pour être plus exact, d'une chienne, et que conduisent quelques
chasseurs et gardes, réunis pour chasser le renard.
À tout seigneur, tout honneur ! Je vais donc avoir le
plaisir — ainsi qu'un speaker de la radio — de vous présenter
l'héroïne de ce courre peu banal, une simple petite chienne que je considère
comme un véritable phénomène.
Je connais une partie de ses origines, dont l'ancêtre à la
deuxième génération était une fox tricolore à poil dur d'un très bon sang.
Saillie par un fox à poil lisse, beaucoup moins bien né, cela donna une chienne
très bonne au terrier qui, avec un roquet de l'ancien type et également très
bon, produisit Miss. Par quelle rencontre de sangs cette petite chienne se
montra-t-elle sous cette forme assez curieuse, nul ne pourrait le dire. Mais
voilà une terrier, car elle l'est indiscutablement, dont la structure étonne.
Toisant à peine 0m,34, ayant un corps de basset, mais une tête de
fox aux yeux remarquablement intelligents, encadrée par des oreilles de harrier,
blanche et noire à poil dur, l'aspect calme et débonnaire d'une personne très
sage et réfléchie — mais très vigoureuse, — elle porte gaillardement
ses douze ans.
Ayant connaissance de renard, nous avions donc découplé à 14 heures
cet équipage hétéroclite, composé de quatre bassets plus ou moins vendéens,
plus Miss, dans des taillis recouvrant un coteau assez abrupt. Il faisait une
chaleur vraiment tropicale, comme nous en avons eu certains jours de ce dernier
mois de mars.
Billebaudant avec la « meute », peu confirmée
on s'en doute, nous avions surtout remué des lapins, et, comme son maître, le
garde Henri, qui se souvient avec mélancolie — et regrets — des
laisser-courre d'antan, trouvait cette promenade fastidieuse, nous partîmes de
concert visiter un grand terrier tout près de là. Ce terrier, placé sur une
pente à pic au sol de cailloux et au sous-sol de roc, est réputé imprenable.
Nous y avons échoué comme tant d'autres l'avaient fait avant nous ; creusé
et recreusé par les blaireaux, les renards et les lapins — car tout ce
monde y cohabite et y vit en fort bonne intelligence, j'imagine, — avec sa
vingtaine de gueules qui s'étendent sur plus de cent mètres carrés, c'est un de
ces repaires devant lequel les plus « mordus » du déterrage hésitent
avec raison.
Or, amenée là par simple curiosité, « pour voir »,
voilà Miss qui, en trottinant, visite l'une après l'autre les gueules ; soudain
elle s'arrête devant l'une d'elles, renifle avec attention, puis entre
franchement ; quelques minutes après, elle est au ferme : c'est un
renard, à n'en pas douter, car Miss, dans son jeune âge cruellement pillée par
un blaireau, refuse cet animal et ne chasse sous terre que le renard. Le garde
Henri exulte, il sait que sa chienne est capable de faire sortir seule son
animal du terrier, car cette petite teigne harcèle sans répit le renard le plus
décidé, qui, excédé par cette poursuite souterraine, se décide le plus souvent
à prendre l'air. Et, bien sagement et le fusil prêt, notre garde attend.
La chasse se déplace, mais les abois sont toujours aussi
sonores, aussi rageurs, aussi régulièrement espacés. Cela dure près d'une heure ;
puis c'est une empoignade, la chienne ne donne plus mais gronde furieusement,
elle se bat avec l'animal, et c'est le silence — silence fort émotionnant,
on l'imagine. Tout à coup, le renard surgit avec Miss pendue à ses fesses.
Henri, gêné par sa chienne, ne peut tirer que lorsque l'animal disparaît au
roncier, un coup de fusil au jugé. Miss suit en criant quelque peu dans un très
court à vue.
Le garde, le cœur battant, écoute éperdument. Il reste
peut-être ainsi dix minutes — et, pour un chasseur, ce sont des minutes
qui comptent ... — puis il voit, enfin, sa chienne qui revient.
Il quitte alors le terrier, vient nous rejoindre et nous
conte son aventure. Placés assez loin et à mauvais vent, nous n'avons rien
soupçonné de ce qui se passait ; comme il insiste, je vais avec lui sur
les lieux, et il me fait voir où il a tiré le renard ; je ne sais pas
pourquoi, mais tout cela me semble bizarre.
— Votre chienne est alors revenue par la voie ?
— Non, Miss n'est pas revenue par la voie.
— C'est qu'elle a pris le contre-pied par la coulée où
vous êtes arrivés ?
— Non plus ...
— Mais votre renard est rentré au terrier !
C'est une idée qui paraît folle, et pourtant j'incite Henri
à faire visiter les gueules par Miss, mais sans l'appuyer. La chienne les passe
lentement en revue les unes après les autres, puis, d'un seul coup, presque au
bas de la pente, marque un semblant d'arrêt, entre en trombe sous terre, et
bientôt les abois retentissent. Il n'y a pas d'erreur, le renard a regagné ses
demeures et se fait aboyer de nouveau.
Nous appelons, nous cornons sans succès, car le vent est
fort et contraire. La chienne continue à donner sous nos pieds dans une petite
cheminée sans issue où l'animal s'est bêtement acculé.
Comme nous ne sommes qu'à dix minutes à peine du château et
qu'il faut prendre une décision, j'envoie Henri chercher des outils et une
pince. Il est 16h.55. Je crie encore, je sonne tout en surveillant l'unique
gueule ; mais bientôt je m'arrête pour mieux entendre Miss qui tient le
ferme avec la même ardeur.
À 17h.10, Henri commence à piocher, le terrier est à fleur
de terre, et, un quart d'heure après, nous apercevons le renard que je peux
crocher cinq minutes après sans trop d'effort.
Nos amis, inquiets de notre absence et se doutant bien que
quelque chose d'extraordinaire devait se passer, nous rejoignaient juste au bon
moment, et c'est devant toute l'assistance qu'a lieu l'hallali.
N'avais-je pas raison de vous dire en commençant que c'était
une chasse peu banale que j'allais vous faire revivre ?
Guy HUBLOT.
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