J'ai dit, un jour, tout l'attrait reposant qu'avait pour moi
la chasse des grives et des merles, non seulement leur poursuite à travers bois
et le long des haies et des ruisseaux, mais surtout à l'affût dans une cabane
de branchages dressée près de l'un de ces arbres à baies : sureaux,
sorbiers et alisiers, où ces oiseaux trouvent table mise. Et il me plaît,
aujourd'hui, en cette période où le fusil dort dans son étui pour de longs
mois, de faire, en souvenir, la tournée des « torriers ». C'est là le
nom donné, en certaine région du Centre, notamment en Velay, au sorbier des
oiseleurs, cet arbre qui se couvre de belles grappes écarlates qui tiennent
tout l'hiver et sur lesquelles, par les grands froids, s'abattent parfois de
grosses bandes de grives, de litornes surtout, car la petite grive commune a
déjà fui vers le Midi.
Ah ! je les connais bien, allez. Il n'en est pas un
d'où je n'ai vu se lever le jour, soit dans les doux matins d'automne quand
monte l'odeur des fougères jaunies et des champignons qui pointent leur tête
dans la mousse, soit par les grosses gelées d'hiver quand tout est blanc de
givre et que les volées de corbeaux mettent leur note lente et noire sur le
fond blanchi du tableau.
Montons, d'abord, aux Ages. C'est, en effet, surtout
au-dessus de la ville que l'on trouve le plus de torriers. Grimpez avec moi le
raidillon de Saint-Marcelin ; un bout de chemin encore, et nous voici
rendus. Voyez là, à gauche, dans le pré, non loin de ce grand sapin :
c'est un vrai bouquet écarlate qui a vu poser de belles bandes de tiatias.
Celles-ci, piaillant d'abord dans les grands chênes de l'allée voisine,
attendent que le calme règne alentour et que rien de suspect ne vienne troubler
leur tranquillité ; une, deux se hasardent à descendre, suivies d'un petit
groupe, puis d'un autre, enfin de toute la troupe rassurée. L'arbre n'est pas
gros ; alors, si vous avez la chance d'être au poste à ce moment-là, quel
beau coup vous risquez de faire dans ces grappes d'oiseaux, parfois aussi
denses que les grappes de baies qu'ils picorent !
Mais ce n'est pas là le meilleur poste et je n'y ai jamais
eu de belles réussites. J'en ai eu, par contre, de meilleures aux alisiers qui
sont au bord du ruisseau, où j'eus la surprise, un dimanche, de voir arriver à
l'improviste, traînant son long panache, un beau renard que je cinglai avec du
neuf et qui s'enfuit quand même ; mais, surtout, au torrier qui se
trouvait en haut, au coin du bois et que le propriétaire a coupé un peu, si je
ne m'abuse, par jalousie des chasseurs. Que de fois j'ai trouvé ma cabane en
miettes, avec ses branches dispersées ! Je la remontais et, quand je
revenais, le lendemain ou le surlendemain, le travail était à refaire. À la
fin, l'arbre lui-même disparut, mais que de merles et de grives y avaient
picoré leur dernière baie !
Sortons du bois et franchissons le vallon sur l'étroit
aqueduc qui le traverse. Quelques minutes et nous voici sous le bois que longe
le chemin. Admirez, en passant, l'imposante masse rousse de ce hêtre qui se
dresse à l'angle du bosquet. Avez-vous jamais vu le pareil ? Et que
d'oiseaux, de geais surtout, gourmands de ses faînes, se sont posés au travers
de ses immenses frondaisons. Quelques pas encore et nous y voici. C'est un
vieux torrier qui se dresse là, au bord du fossé, dans le fouillis des taillis
voisins. Un peu trop touffu au pied peut-être, car les oiseaux blessés s'y
trouvent difficilement ; mais que de grives, que de merles quand l'année
est bonne en fruits, quand il y a « des vivres », comme disent les
chasseurs. Je me souviens avoir tué, un matin, cinq exemplaires différents de
la gent turdidée : une draine, deux grives communes, un merle de pays,
noir comme jais et au bec jaune d'or, deux merles à gorge rousse, qu'on ne voit
qu'au passage d'octobre, et un merle à plastron, appelé, en Haute-Loire,
religieuse, à cause de la collerette blanche qui tranche sur le sombre plumage
de l'oiseau.
Mais poussons plus loin. Suivons un instant le vallon humide
où coule un filet d'eau. Et voici, de nouveau, les bois qui, à droite, montent
jusqu'au Petit-Solignac. En bas, tout à l'angle, se dresse un vieil alisier. Ah !
celui-là ! Un des meilleurs postes où j'ai vécu de belles heures. Merles,
petites grives, draines, litornes, tout y tombe quand il y a du fruit. Il est
si bien placé, là, au coin du bois, et près du ruisselet qui coule à ses pieds.
La cabane est facile à faire : genévriers, petits pins, touffes de grandes
fougères ; vous avez là tout à pied d'œuvre et sous la main. L'arbre se
détache bien sur le fond du ciel, et une draine qui se pose à la cime est une
belle cible. Les merles, eux, plus malins, bavardent longtemps à terre dans le
fourré, avant de se décider à se montrer sur les basses branches. On y voit des
pinsons, qui viennent tranquillement picorer les baies brunes, et les mésanges
y faire, le long des branches et au bout des brindilles, leurs magnifiques
acrobaties. J'ai fait là de bien jolies matinées.
Maintenant, laissons l'alisier et montons à travers bois.
Ici, dans ce grand décor de fougères, est un gros sureau où, dès septembre,
vous tuerez pas mal de merles. Montons toujours et nous voici enfin en vue de
la ferme du Petit-Solignac. Là, en plein pré, regardez : trois grands torriers
sont là, couverts de leurs fruits rouges que blanchit le givre. Que viennent
les grands froids qui durcissent les prés et les terres, et vous y verrez venir
les grandes troupes de litornes. Par exemple, vous n'y serez pas à l'abri :
quand le vent du nord souffle, vous n'aurez peut-être pas très, très chaud :
mais le chant des tiatias dans les pins voisins vous fera prendre votre mal en
patience ; et si, de temps à autre, quelqu'une d'entre elles vient piquer
dans le torrier, vous aurez votre récompense. L'oiseau est si joli avec son
beau manteau cendré et son clair poitrail moucheté.
Maintenant, regagnons le vallon ; longeons pendant
quatre ou cinq cents mètres l'épais bois de hêtres et de sapins. Plus haut sont
les maisons de Peyrepezoux, perdues entre les coteaux boisés, où le paysage ne
s'anime que du vol des rapaces, du cri des geais qui se poursuivent dans les
fayards ou du morne croassement des corbeaux. À l'angle, en bordure du pré, se
dresse l'arbre où vous pourrez faire de belles brochettes à condition d'être là
de grand matin, bien entendu, et au lever de l'aurore. Que de fois j'ai fait le
trajet, partant à la nuit noire et mettant près d'une heure pour m'y rendre par
un mauvais chemin de chars à vaches. C'est qu'en partant trop tard, vous
risquez de trouver un confrère plus matinal au poste. Alors, soyez-y avant le
jour autour du 25 octobre : ça m'étonnerait que vous ne rentriez pas
vers les 10 heures, avec une jolie collection de merles et de grives.
Mais n'allons pas plus haut. Nous avons encore pas mal de
coins à voir avant de rentrer. Laissons, à droite, le grand et sombre bois des
Dames, où vous pourrez, un autre jour, faire ample cueillette de bolets, tout
en poursuivant lièvres, bécasses et ramiers. En face, voici Paulin. Descendons
le ruisseau. À gauche, là, dans le pré, ce torrier n'est pas mauvais pour les
litornes. Mais, plus loin, vous en verrez quatre dressés en bordure d'une terre
et d'un pré en pente ; dans le pré, un trou est creusé, bâti de pierres et
recouvert de branchages. Baissez-vous, entrez et, par les meurtrières, vous
apercevrez les arbres où viennent draines et tiatias. Il fut un temps où le
propriétaire, jaloux, avait inscrit sur une pancarte l'avis : « Loge
privée », et ne mettait pas de formes pour vous en faire sortir. Mais
allez, ne regrettez rien ; on y attrape le torticolis, car, étant en contrebas,
on doit toujours guetter tête levée. Laissez donc la « Loge privée ».
À cinq minutes de là, derrière la ferme des Bernard, arrêtez-vous vers ce joli
sorbier. S'il est un coin où j'ai tué grives et merles, c'est bien là. Y
viennent surtout merles, grives communes et quelques draines. Quelques petits
pins vous permettent d'établir votre cabane à bonne portée. Que de fois je m'y
suis assis alors que le ciel était encore tout plein d'étoiles, obligé
d'attendre un bon quart d'heure avant que le premier merle ne s'éveillât sous
les fougères !
Je ne vous mènerai pas à la ferme voisine, qui possède dans
sa cour un torrier où les litornes n'hésitent pas à venir par temps de neige ou
très grand froid. On les tire de la maison et je me souviens d'un matin où le
fermier me fit passer dans la porcherie d'où le tir était plus facile. Je dus
subir les frôlements des gorets qui me bousculaient en grognant, tandis que je
pataugeais dans un purin nauséabond. Je n'y tins pas plus d'une demi-heure,
respirant du nez le moins possible. J'en sortis parfumé pour une semaine,
soulevant des exclamations horrifiées à ma rentrée à la maison et faisant le
vide autour de moi.
Mais je crois qu'en voilà assez. Car, s'il fallait que je
vous emmène encore jusqu'aux torriers de Bellevue ou de Vachères, nous n'en
finirions pas. Regardez seulement, en descendant, à gauche du chemin, celui qui
se dresse sur la butte de la Croix-des-Ages ; je n'y ai jamais fait grand'chose ;
mais comme les lièvres montent bien par là !
Et nous voici revenus à notre point de départ, près de la
grande allée. Des sons de cloches montent de la ville ; un car s'essouffle
sur la grand'route, à monter la rude côte. Nous avons fait, n'est-ce pas ?
une belle tournée. Et si quelque jour vous êtes dans le pays au moment des
grives, vous aurez, vous le voyez, l'embarras du choix. Puissiez-vous entrer de
temps en temps avec votre filet bien garni de ce joli petit gibier qui vous
évitera la bredouille, après avoir joui, blotti dans votre cabane, d'heures emplies
de paix et de calme serein.
FRIMAIRE.
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