J'ai montré comment (1) le Club du basset artésien-normand
avait enterré vivant le basset d'Artois, pour la seule raison que son oreille
ne lui plaisait pas. J'ai signalé que certains amateurs de bassets à poil ras
s'étaient aperçus qu'on avait fait fausse route.
Si ceux qui ont suivi l'avis de M. le président du Club de
l'artésien-normand avaient étudié à fond la question, il est vraisemblable
qu'ils n'auraient pas voté contre la réhabilitation officielle du basset
d'Artois. Ils auraient, en effet, appris quelques vérités essentielles qui
militent puissamment en faveur de la survie de ce petit chien.
1° Le basset d'Artois est l'un des plus anciens de tous nos
bassets. Il avait un type bien défini. Sa tête était forte, peu allongée, ses
oreilles étaient attachées larges à hauteur de l'œil, épaisses, larges et
plates. Ses membres antérieurs étaient plutôt droits. Il était sensiblement
plus court et plus leste que les autres bassets. Il était très chasseur, très requérant,
avec assez de train pour sa taille.
2° Au moment où Léon Verrier, qui peut être considéré comme
le précurseur de l'artésien-normand, a commencé sa sélection, il y avait en
France deux types de bassets tricolores à poil ras : le Lane, gros
saucisson à pattes, lourd, long, important et peu ingambe ; et le Lecoulteux,
chien très sensiblement plus court et plus léger et à pattes droites, actif et
leste.
3° Lorsque Léon Verrier, vers 1880, s'est sérieusement
occupé de sa production bassette, il s'est nettement orienté vers le type Lane,
et de plus en plus vers la formule normande, dans le seul but d'obtenir la tête
et l'oreille normandes. Chaque fois qu'il m'a parlé de ses chiens, il m'a
toujours répété avec insistance que son idéal c'était l'oreille normande.
4° Le vieux slogan ... si à la mode il y a quelques
années, et selon lequel il n'y a pas de production sûre et sérieuse de bassets,
en dehors des chiens à pattes torses et mi-torses, s'est révélé entièrement
erroné. Les éleveurs vendéens ont réussi un grand basset droit d'un type
homogène et bien fixé, et qui, comme aspect et comme qualité, surpasse de
beaucoup l'artésien-normand.
5° L'attache et la longueur de l'oreille ont une influence
énorme sur la façon de chasser du chien courant. Allonger démesurément son
oreille, c'est diminuer son train, son activité et son intelligence. Au
surplus, des oreilles immenses qui traînent à terre et s'accrochent dans les
buissons sont-elles bien indiquées pour des chiens de lapins, qui ne sont déjà
pas trop agiles ?
6° Les goûts et les besoins des utilisateurs de bassets d'il
y a cinquante ou cent ans ne sont pas les mêmes que ceux des chasseurs actuels,
susceptibles de se servir de bassets. Autrefois, ces utilisateurs de bassets
tenaient avant tout à une grande lenteur ... pour se délasser ...
tout en se donnant l'illusion de chasser encore, mais au ralenti. Tous ou
presque tous avaient des meutes de bassets.
Comme chiens de meutes, ils pouvaient se contenter de chiens
de peu d'entreprise, car le travail s'effectuait par le nombre. De nos jours,
ces meutes de bassets sont devenues très rares ...
L'utilisateur du basset serait donc le petit chasseur qui
n'a qu'un ou deux chiens. Mais avec un ou deux chiens, il lui faut des animaux
vifs, ardents, requérants et lestes.
Ce qu'ils souhaitent, c'est, selon l'expression très imagée
et vraiment parfaite de M. de Kermadec, « un petit chien passe-partout ».
Le basset artésien-normand est loin d'être un passe-partout.
Vous allez en juger par le récit de deux épisodes d'épreuves de meutes à Rasteau.
Un lot d'artésiens-normands était engagé dans un concours
sur le lièvre à courre. C'était déjà un indice certain que le propriétaire
n'avait que de très vagues notions de ce qu'étaient le chien courant et la
chasse du lièvre. Pendant leur poursuite, les chiens sont arrêtés par un
ruisseau qu'avait traversé l'animal. On les appelle près d'une planche servant
de passerelle. On les prend un à un, sous le bras, et on les porte sur l'autre
rive. Comme ils étaient conduits par une jeune et élégante Diane chasseresse,
tout le monde a trouvé l'intermède charmant. Autrement, on en aurait ri !
Un autre lot d'artésiens-normands concourait sur le lapin.
C'était plus normal. Tout à coup, pendant la chasse, on entend un chien qui,
sur place, gueulait comme un putois. Le malheureux, qui avait essayé de grimper
le long d'un talus, y était immobilisé, l'oreille coincée dans les épines. On a
dû l'aider pour le sortir de ce passage dangereux.
On comprend que des amateurs artistes prennent surtout
plaisir à admirer et à faire admirer, en exposition, les oreilles de leurs
bassets, sans attacher une importance spéciale à leurs prouesses en chasse.
Voici un exemple frappant d'un grand amateur artiste
admirateur du basset artésien-normand. Au printemps 1948, une personne
recherche avec insistance un mâle artésien-normand d'un modèle impeccable
(quant à sa conformation standard), titulaire de C. A. C. où
susceptible d'obtenir des C. A. C. Un monsieur a dans son lot de
bassets un artésien-normand plusieurs fois C. A. C. et dont il ne
sait quoi faire, parce qu'il ne vaut absolument rien en chasse. Par scrupule,
il n'ose pas coller sa rosse à ce grand connaisseur ! Il essaie de
l'effrayer en lui disant :
— Je vous avertis que mon chien est nul et que j'en exige trente mille francs.
L'amateur artiste l'a pris au mot, a payé illico les trente
mille et a emmené son étoile ! Ce même amateur artiste a immédiatement
recherché une lice ... et il en a trouvé une-aussi parfaite comme modèle
et aussi nulle en chasse. Le voilà bien monté pour améliorer la race !
Mais avec deux géniteurs C. A. C. il écoulera facilement ses futures
vedettes d'exposition, et qui, sur le terrain de chasse, seront certainement
aussi brillantes que leurs parents, par leur manque total de qualité.
On comprend également que des amateurs artistes qui veulent
éviter à leurs lapins des émotions trop violentes ou des essoufflements
dangereux, par une poursuite trop vive, accordent leurs préférences à des
chiens qui les promènent gentiment en musique, d'un train prudent et modéré !
Mais on voudra bien admettre que ces deux catégories
d'amateurs ne sont qu'une infime minorité, et que la majorité souhaite des
chiens plus alertes, plus grouillants et plus débrouillards.
Ce n'est pas le refus catégorique opposé à la reconnaissance
du basset d'Artois qui modifiera leurs goûts et leurs besoins, et qui leur fera
adopter l'artésien-normand.
Les chasseurs aux chiens courants n'élèvent ni pour la
vente, ni pour l'exposition. Ils élèvent surtout pour eux et sélectionnent sur
la qualité. Ils continueront donc à essayer de produire le chien qui leur
plaît.
Il résulte cependant du veto du Club artésien-normand un
grave inconvénient. Si l'artésien avait été reconnu, il aurait eu son standard,
il aurait eu ses expositions. Tous les efforts des éleveurs auraient été
coordonnés et dirigés vers un type uniforme.
Tandis que, sans standard et sans exposition, et par
conséquent sans directive, cette production de bassets risque d'obtenir bien
des tailles et bien des types divers ... c'est-à-dire un basset
quelconque. Un vulgaire basset, comme me l'ont écrit certains correspondants
qui n'en concluent pas moins par une préférence très nette pour « ce
vulgaire basset à la cheville duquel ne viennent pas les artésiens-normands sur
le terrain ».
Il n'y a à cela qu'un seul remède : la création
immédiate d'un club des amateurs de bassets d'Artois, qui orientera les
éleveurs vers un type précisé par un standard officieux, et qui soutiendra les
intérêts de ce petit chien.
L'existence de ce club pourrait clarifier la situation et
changer la face des choses. Je suis persuadé que certains membres de la
Commission n'avaient aucune idée préconçue sur les bassets et n'ont voté contre
le basset d'Artois que parce que — en toute bonne foi — ils ont cru
que le président du Club de l'artésien-normand avait toute autorité pour
trancher cette question. Du jour où il y aurait un président du Club artésien,
sa voix aurait au moins la même portée que celle d'un club hostile par
principe.
D'autre part, ce club pourrait très bien organiser des
expositions spéciales officieuses. Il suffirait d'engager les chiens comme
artésiens-normands. Ils n'auraient pas de prix ! Mais qu'importe ...
L'idée serait lancée, et, en voyant des bassets normalement bâtis, à pattes
droites, sans longueur et lourdeur, à l'aspect alerte et grouillant, bon nombre
de petits chasseurs seraient enchantés et tout disposés à les adopter. Comme
tous nos bassets à poil ras actuels sont sursaturés de sang normand, il y
aurait certainement des chiens trop normands dans les portées. Leurs
producteurs pourraient alors rendre la politesse qu'on leur a faite, en
déclarant à leur tour : « Ces chiens-là, nous n'en voulons pas, ce
sont les déchets de notre production. »
Ce serait la juste revanche de l'artésien.
Paul DAUBIGNÉ.
(1) Voir Le Chasseur Français d'avril 1950.
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