Dans la région stéphanoise, avant 1897, je n'avais jamais vu
un pêcheur à la ligne employer la noquette. Si mes confrères pêcheurs à
l'épervier et moi-même nous servions bien, pour amorcer nos coups, de fragments
et brisures de tourteau de chènevis, je n'avais pas encore imaginé que l'on pût
faire tenir à l'hameçon cette esche dure comme du bois et peu aisément transperçable
sans outil spécial.
La vue d'un verrier italien, nommé Antoniotti, qui prenait
avec cet appât tout ce qu'il voulait, m'éclaira sur la valeur pêchante du
produit ; je l'imitai et je connus, à mon tour, le succès.
Depuis plus de quarante ans, les lignards de la région le
connaissent et ce genre de pêche est devenu de pratique courante.
Chacun sait qu'une noquette est un fragment plus ou moins
gros détaché d'un gros pain à l'aide d'un solide couteau de poche. On lui donne
la forme générale d'un petit cube irrégulier qu'on entoure d’un fil noir croisé
comme pour ficeler un paquet.
L'hameçon se passe simplement sous ce fil et, malgré qu'il
se voie fort bien à l'extérieur, les poissons ne semblent point en prendre
ombrage. Ils sont très friands de cette esche au goût prononcé et passablement
huileuse quand le produit est frais.
On, peut confectionner soi-même ses noquettes, mais on en
trouve facilement, dans le commerce, de toutes faites qui les valent, si elles
sont de date assez récente. Elles se vendent par boîtes de cent. Elles
s'établissent en trois tailles ; celle d'un petit pois ; les
moyennes, d'une cerise ; et les grosses, du volume d'une petite prune.
Si le poisson n'est pas familiarisé avec cette esche, il n'y
mordra guère. Il faut donc l'y habituer par le jet préalable de fragments de
tourteau, fait plusieurs jours à l'avance aux endroits où l'on se propose de venir
pêcher. Plus ce lieu sera profond et courant, l'eau agitée et rapide, et plus
les morceaux de tourteau seront volumineux et lourds ; ils doivent couler
sur place ou à peu près.
Le bon tourteau, quoique frais, est toujours assez dur,
compact, et ne se désagrège que lentement. Il produit une longue traînée sapide
qui attire les poissons de loin et les retient longtemps sur l'endroit choisi.
Il faut, toutefois, éviter le gavage, car il se digère difficilement ;
c'est pourquoi on diminue la dose à mesure qu'approche la date de la pêche.
Les petites noquettes se suspendent à un hameçon bronzé des
nos 12 à 14. Elles conviennent pour la capture de poissons variant
de 150 à 400 grammes environ : brèmes, chevesnes, gardons, vandoises,
hotus, etc.
Elles tentent peu le poisson de friture, qui ne peut, du
reste, les avaler. Cette pêche se fait au coup, à la ligne flottante finement
montée. On emploie un petit flotteur à antenne très sensible et une plombée
légère destinés à pêcher en courant modéré. L'esche doit raser le fond, sans y
traîner par trop, et se présenter en avant. La touche est moins vive qu'aux
appâts vivants et on a tout le temps de ferrer. Les noquettes de taille moyenne
s'emploient de la même manière, mais on se monte plus fort et on alourdit le
dispositif. Il faut une longue plume et une plombée divisée assez lourde. Cela
permet de pêcher dans des courants passablement accentués, d'une profondeur
variant de 2m,50 à 4 mètres. Des retraits, des relevages, des relâchers
assez fréquents sont fort utiles et surtout le relâcher en fin de coulée, où
les plus nombreux poissons se rassemblent. Des arrêts multiples sur le fond
sont à conseiller ; c'est presque toujours quand la noquette repose
immobile qu'une belle touche se produit. Les pièces d'importance ne négligent
pas toujours la noquette de la taille d'une cerise et les touches de poissons
moyens sont fréquentes.
Quant aux grosses noquettes, elles sont réservées à la
capture des forts poissons, principalement des barbeaux, carpes et gros
chevesnes.
Quand on s'en sert, on peut aussi bien opérer en calme
profond que dans les courants les plus vifs, car on emploie alors la ligne
plombée, retenue au fond par une balle percée.
Dans ce cas, aussi bien la profondeur que le tirage de l'eau
importent peu, car on peut faire varier le poids de la balle et lancer le
dispositif à la main. Il est d'usage de se monter très fort et de fixer
directement l'hameçon à une avancée de un mètre de soie à lancer non apprêtée,
un peu plus faible que celle du corps de ligne. La canne est choisie très
solide avec scion assez fort, mais élastique. La taille de l'hameçon
correspondra avec celle de la noquette ; les nos 2, 1 et 0 sont
les plus employés.
Le ferrage demande un peu plus de fermeté qu'avec les esches
molles ; il faut, en effet, que le coup de poignet chasse la noquette de
son cadre de fil et que l'hameçon se pique sans encombre aux lèvres ou dans la
bouche du poisson.
Cette pêche ne vaut rien en hiver et n'est pas fameuse par
temps de crue. Son époque normale est comprise entre l'ouverture de juin et les
grandes chaleurs de la canicule, avec interruption d'une quinzaine de jours
vers le 10 août. Sa reprise est de règle au début de septembre et elle se
prolonge jusqu'aux gelées d'octobre.
La noquette n'attire ni anguilles, ni brochets, ni perches
ou truites. Par contre, les plus gros cyprins s'y attaquent volontiers,
notamment le barbeau, la carpe et le gros chevesne.
Cette pêche peut se pratiquer du bord avec fruit, en prenant
les précautions ordinaires de silence et d'invisibilité, mais elle est beaucoup
plus efficace en bateau. Votre esquif, manœuvré avec discrétion et ancré aux
endroits poissonneux, permet d'espérer les plus belles captures et de se rire
des gêneurs qui, souvent, encombrent les berges.
Propreté, facilité relative, rendements excellents, tels
sont les avantages de la pêche à la noquette ; essayez-la, confrères
débutants, et vous en serez satisfaits.
R. PORTIER.
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