Ce phénomène bien connu peut se constater aisément dans la
nature : il est le résultat de la faculté qu'ont certains animaux
d'adapter leur couleur à celle du milieu dans lequel ils évoluent.
Cette faculté, dont ils ne sont d'ailleurs pas « responsables »,
si l'on peut s'exprimer ainsi, est souvent poussée à une telle perfection
qu'elle les met complètement à l'abri, visuellement.
Par exemple, il est à peu près impossible de distinguer une
alouette, un perdreau gris dans une terre labourée. Leur teinte neutre est si
pareille à celle du terrain qu'elle se confond avec lui. C'est l'adaptation au
milieu dans son sens le plus exact.
Le lagopède, ou perdrix des neiges, est tout blanc, le
lézard vert vit dans les herbes, le lézard gris hante les murailles.
On pourrait citer à l'infini de tels exemples de mimétisme,
mais, comme nous avons l'intention de parler de la pêche, pensons aux poissons ;
la truite de plaine vivant sur fond de sable est jaune, celle des torrents est
noirâtre comme les rochers.
J'ai lu, j'ai entendu dire qu'un leurre mimétisé était le
summum de la perfection et que, seul, il permettait de s'assurer le maximum de
réussite.
Je vous avoue ne pas comprendre ni admettre une affirmation
ainsi émise.
Le poisson mimétisé est peu visible sur le fond, avons-nous
dit, et, de ce fait, il échappe à la vue de ses poursuivants, en l'espèce tous
les carnassiers.
Comment expliquer que ceux-ci le choisiront de préférence
puisqu'ils le voient moins distinctement que ses congénères, si toutefois ils
le voient ?
Il est vrai, et nous l'avons souvent démontré, que les
reflets lumineux sur les parties brillantes du corps, qui sont autant de
miroirs émetteurs de rayons, détruisent l'effet protecteur du mimétisme, quand
le poisson est en mouvement, mais seulement à ce moment-là.
Certes, ces reflets subissent bien aussi l'influence
colorante du milieu, mais, s'ils étaient seuls en cause, un goujon, par
exemple, risquerait fort de passer inaperçu, en évoluant sur des roches
grisâtres ou par temps sombre.
Les vibrations entrent en ligne de compte, aussi bien, plus
même, que les rayons visuels.
Cette théorie du mimétisme appliquée à la pêche appelle
diverses réflexions et permet certaines observations s'avérant exactes ou
erronées, après expérimentation concluante.
Nous savons qu'un vorace ne mange pas pendant toute la
journée, sa digestion étant plutôt laborieuse, et, si la dernière proie est
assez volumineuse, un jour entier ne sera pas de trop, avant qu'il ait encore
faim.
Regardez-le, somnolent, engourdi, pendant sa digestion ;
il reste impassible au passage du petit fretin qui le frôle. Une bande de
goujons défile devant son museau, des vairons semblent le narguer, rien n'y
fait et, bien qu'ils soient ... mimétisés, l'attirance est sans effet.
Mais vienne à passer à proximité une ablette turbulente, une
cuiller dansant une rumba frénétique, aussitôt la statue s'anime et un coup de
mâchoires stoppe l'intruse.
Et, pourtant, elle n'était pas mimétisée, loin de là, elle
différait sensiblement du fretin qui passait ; elle rutilait, mais surtout
elle vibrait d'une façon irrégulière, anormale, dans un mouvement de fuite ou
d'inquiétude.
Ce n'est que cela qui a déclenché le réflexe d'attaque et
rien que cela, le mimétisme étant inexistant.
Il semble, au contraire, qu'un leurre naturel ou colorié,
évoluant dans un milieu totalement dissemblable, comme couleur, de la sienne,
doive être attaqué de préférence à d'autres.
Mais, alors, vont objecter certains jeunes confrères, un
leurre nickelé ou très brillant doit être irrésistible ?
Loin de moi pareille affirmation, car ne confondons pas
mimétisme et coloration. Le poisson n'est mimétisé que dans son milieu
habituel, mais, où qu'il se trouve, sa coloration restera inchangée pendant
assez longtemps. Il ne se remimétisera qu'à la longue s'il adopte un autre
habitat.
Lorsqu'une perche poursuit un vairon pendant 15 ou 20
mètres, sur des fonds différents, elle ne s'inquiète pas de la teinte qui ne
change pas, alors que le mimétisme ne joue plus.
Aussi pourrons-nous dire que le mimétisme n'est utile au
poisson que pendant qu'il est au repos, mais n'a aucune influence sur sa
destinée quand il se meut.
Revenons au leurre nickelé : je ne lui reconnais de la
valeur que dans quelques circonstances : en eau louche, très louche même,
en eau profonde et en mer. Hors de ces cas bien définis, il est néfaste et
inopérant par voie de conséquence.
Le carnassier le plus famélique ou de mauvais caractère
arrêtera net sa poursuite lorsqu'il arrivera dans le faisceau étincelant lancé
par le nickel. Il crochète rapidement et vous pouvez dire « Pan ! dans
l'œil ».
Le poisson-appât brille lui aussi, puisque son corps mouillé
est lisse, mais il n'émet que des rayons atténués et adoucis.
La teinte mate, claire ou foncée, est toujours à rechercher,
elle sera d'autant plus brillante que l'eau est plus opaque, le mouvement étant
de plus grande importance : ceci dépendra de l’habileté du pêcheur et de
sa science halieutique.
Ce sujet éristique et subtil n'est d'ailleurs pas près
d'être épuisé, et chacun se cantonnera dans ses idées ou ses conceptions
personnelles, mais j'écris pour mettre en garde les jeunes débutants contre
l'abus qui est fait de la propriété du mimétisme dans la puissance d'attraction
d'un leurre et sur son heureuse influence au cours d'une séance de pêche.
Et, maintenant, laissez-moi détruire une autre légende qui
veut donner à un leurre neuf un pouvoir décisif. Je vous dirai donc : plus
un leurre est vieux, meilleur il est ; les couleurs en seront atténuées,
fondues, ou, s'il n'est pas colorié, son éclat sera moins vif, et il sera
éraillé.
Laissez donc vos corps de devons, tous ensemble, dans une
boîte ; ils se heurteront, quelques taches se formeront, et vous ne
placerez les montures qu'au moment de pêcher.
Pour les palettes de cuillers, de petites plaques de
peinture atténueront leurs reflets : si, au contraire, vous voulez les
faire briller en eau trouble, frottez-les au sable ou avec votre couteau.
Et allez-y avec confiance : ce qui est dédaigné
aujourd'hui sera adopté demain.
Tout comme chez les humains ...
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing-Club de France.
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