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L'université et le sport

La paille et la poutre

Voici que l'Université — ce geste lui revient tous les cinq ou six ans — s'élève contre les compétitions sportives et met en garde les familles — déjà empressées à rechercher toutes les occasions de « dispenser » leur progéniture des heures consacrées à l'éducation physique et sportive — contre leurs dangers !

Certes, nous ne prétendons point — et nous l'avons assez souvent exprimé dans ces colonnes — qu'il faille laisser les adolescents s'adonner sans surveillance et sans directives à la compétition et à la « championnite », et jouer à la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

Nous avons assez dit que la compétition ne doit être abordée qu'après la période de la puberté franchie, que les épreuves doivent être adaptées aux possibilités de l'âge (classification en minimes, cadets, juniors, etc.), qu'elles ne doivent être autorisées qu'après contrôle médical et avis de l'entraîneur ; et surtout après une préparation physique rationnelle portant à la fois sur l'éducation de style et l'entraînement à la fatigue, pour ne pas avoir à le répéter.

Mais, ces précautions prises, et d'ailleurs aujourd'hui scrupuleusement observées par les organisateurs du sport scolaire, nous prétendons que la notion de compétition est inséparable, par définition, du sport. Et que le but normal du sport est de mesurer périodiquement ses possibilités, soit en luttant contre des adversaires, soit contre ses propres performances, c'est-à-dire contre ces infaillibles juges que constituent le chronomètre, le kilogramme et le centimètre. Aucun progrès, aucune émulation ne seraient possibles sans le couronnement de la compétition, sans la légitime ambition de devenir champion ou recordman de sa catégorie, ou tout simplement de son lycée, de son équipe.

À moins de rechercher dans le domaine du sport la domestication de l'individu et le nivellement par en bas, comme on cherche, hélas ! depuis dix ans à le faire dans d'autres domaines, une certaine émulation et les récompenses, c'est-à-dire les satisfactions morales qu'elle comporte, surtout quand on a dix-sept ou vingt ans, sont inséparables de la pratique du sport et sans danger lorsque sont observés les règlements et précautions ci-dessus résumées.

Et il nous semble assez cocasse de voir l'Université s'élever contre la compétition, elle qui use et abuse, depuis toujours, des compositions ; des examens et des concours. Bientôt il faudra être bachelier pour accéder aux professions de cantonnier ou pour poinçonner les billets du métro, licencié et passer un concours pour obtenir sa « carte professionnelle » de livreur ou de facteur ! et l'on voudrait empêcher un lycéen, qui vient de passer trois trimestres à subir par douzaines des compositions, des examens et des concours, de se faire chronométrer, les vacances et la liberté venues, sur un cent mètres ou de mesurer la barre du sautoir après l'avoir franchie ?

Ce qui est vrai et considéré comme nécessaire dans le domaine de l'éducation et de l'entraînement du cerveau ne saurait être faux et superflu dans le domaine des réflexes, de l'adresse, de la vitesse et de la force.

On a beaucoup parlé il y a quelques années du fameux « surmenage scolaire ». Celui-ci, à vrai dire, n'est guère à craindre avant l'âge de dix ou onze ans, pour la raison très simple que, jusqu'à cet âge, la nature prévoyante a doté les enfants de deux « soupapes de sûreté » qui le protègent contre le surmenage et qui s'appellent : l'inattention et la paresse. Où le surmenage scolaire est à craindre, c'est au contraire entre douze et seize ans, âge de la puberté, accompagnée d'une intense poussée de croissance et de métamorphoses glandulaires, et qui est pour l'enfant la période la plus délicate et la plus dangereuse pour sa santé. Or c'est justement la période pendant laquelle l'école exige de lui le maximum d'efforts intellectuels, c'est l'âge des examens et des concours ! Cela, l'Université l'admet et ne peut faire autrement, cette anomalie est exigée par les nécessités des programmes scolaires et pour la future lutte pour la vie, où la compétition professionnelle est de plus en plus dure, à laquelle les enfants sont obligés de se préparer.

Les programmes sportifs, eux, sont plus logiques et plus raisonnables, puisqu'ils n'ouvrent la compétition aux jeunes qu'après qu'ils ont franchi cette étape critique de la puberté.

Alors, que les maîtres de l'esprit ne soient pas plus royalistes que le roi et qu'ils admettent pour les autres ce qu'ils ont adopté pour eux-mêmes.

Qu'ils comprennent surtout qu'en réalité, que ce soit dans l'éducation du cerveau aussi bien que dans celle du muscle, ce qui existe, ce n'est pas le « surmenage », mais plutôt le « malmenage », c'est-à-dire les erreurs de programme, de doctrine, d'application.

Qu'autrement dit, en pédagogie sportive aussi bien qu'en pédagogie scolaire, la façon de donner vaut mieux que ce que l'on donne !

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 350