Les propriétaires qui ont l'intention de faire saillir leurs
juments doivent les observer attentivement, dans leurs attitudes et
manifestations journalières, pour attendre ou ne pas laisser passer le moment
le plus favorable de la présentation à l'étalon. Une saillie intempestive
aurait les plus grandes chances de ne pas donner le résultat espéré, tout en
faisant courir des risques d'accidents susceptibles de compromettre pour
l'avenir la production d'une poulinière.
La première des conditions à observer, pour décider de la
saillie, est que la jument soit manifestement en « chaleur », état
physiologique particulier qui se révèle par les symptômes suivants :
modifications du caractère, soit en indolence, soit en excitabilité ;
hennissements répétés ; recherche du voisinage d'autres animaux et
spécialement des mâles ; appétit capricieux. De plus, l'état des organes
génitaux ne manque pas d'attirer l'attention ; les lèvres de la vulve sont
tuméfiées, la muqueuse vaginale est fortement congestionnée et sécrète un
liquide filamenteux très odorant, en même temps que se produisent de fréquentes
émissions d'urine après lesquelles la jument reste campée, en faisant
apparaître son clitoris par suite de contractions spasmodiques.
Ces modifications, qui se remarquent facilement sur les
juments ayant déjà pouliné, sont moins sensibles chez les jeunes pouliches qui
n'ont pas encore été saillies, et il arrive qu'on ne puisse être renseigné
utilement sans recourir à l'épreuve du « boute-en-train », cheval
entier non destiné à la monte, mais qui flaire la jument (on dit « souffler »
dans le jargon hippique) pour provoquer ses dispositions.
La durée des chaleurs varie assez sensiblement avec les
individus, la race, l'alimentation, l'ambiance et le travail ; certains
auteurs la fixent entre deux et neuf jours, avec sept jours de moyenne, tandis
que d'autres disent de huit à quinze jours et plus.
Dans la pratique courante, pour obtenir des résultats
satisfaisants, on peut s'en tenir aux indications suivantes :
« Chez les juments qui viennent de mettre bas, la
première chaleur se présente entre le septième et le neuvième jour, rarement
avant le troisième jour, et son apparition coïncide généralement avec celle de
la diarrhée chez le nouveau-né, sans que cela affecte son état général. Si la
jument n'a pas été fécondée, ses chaleurs reviennent trois ou quatre semaines
plus tard, et elle doit être présentée de nouveau à l'étalon le deuxième ou le
troisième jour après leur apparition. Il arrive que des juments fécondées après
une première saillie aient les chaleurs frustes entre la neuvième et la
douzième semaine ; si elles sont présentées de nouveau à l'étalon, elles
avorteront presque à coup sûr, sans que l'on s'en rende compte le plus souvent,
à cause des dimensions restreintes du fœtus, et l'étalon sera rendu responsable
d'une infécondité qui ne lui incombe pas.
D'après de nombreuses statistiques, établies tant en France
qu'en Angleterre, il a été constaté que, sur cent juments saillies, quarante
sont fécondées au premier saut, vingt-cinq au deuxième, quinze au troisième,
dix au quatrième, cinq au cinquième et cinq seulement après.
Le pourcentage de fécondation a été établi de même, dans la
proportion de 59 p. 100 chez les chevaux de gros trait, de 52 p. 100
chez ceux de trait léger et de 68 p. 100 chez les chevaux de pur sang au
haras. La principale cause d'infécondité des juments provient de ce qu'elles
sont livrées à la reproduction dans un âge trop avancé et aussi de l'abus trop
fréquent des saillies, comme cela se passe ordinairement pour les étalons « rouleurs »
de l'industrie privée, qui arrivent à faire cinq à six saillies par jour. Au
cours de la saison de monte, de février à juillet, le chiffre moyen de juments
pouvant être présentées aux étalons est de trente à quarante pour les pur sang
et les chevaux de sang ; soixante pour les chevaux de selle et de trait
léger et quatre-vingts à quatre-vingt-dix pour les chevaux de trait.
L'état de gestation chez les juments, comme chez toutes les
autres femelles domestiques, du reste, exerce une influence plus ou moins
prononcée sur le fonctionnement de tous les autres organes de la femelle, la
masse du fœtus et de ses enveloppes pouvant, entre autres, exercer des
compressions sur les poumons, l'appareil digestif ou les gros troncs nerveux ou
sanguins. Leur hygiène, leur travail et surtout leur alimentation doivent être
dirigés et surveillés avec beaucoup d'attention et de prudence.
Les femelles gestantes seront logées dans des écuries
spacieuses et bien aérées, munies d'une bonne litière, à l'abri des causes
d'excitation et surtout des violences que pourraient leur faire subir d'autres
animaux.
Les aliments seront choisis de bonne qualité et en quantité
suffisante, riches en principes alibiles plutôt que très abondants. Il faut
surtout éviter de donner des aliments pouvant fermenter dans l'estomac et
produire de la météorisation, cause fréquente d'avortement (jeunes pousses de
trèfle ou de luzerne) ; des fourrages trop ligneux, mal récoltés, moisis,
couverts de gelée blanche ou de rosée, ou renfermant des plantes toxiques
(colchique, renoncule), ou des plantes ayant une action spéciale sur la
matrice.
L'alimentation agit toujours, favorablement ou non, sur la
production du lait et sur sa qualité, ce dont le poulain sera appelé à profiter
ou à pâtir. Le régime du vert, les farineux et en particulier le son, les
tubercules et surtout les carottes, les tourteaux et les aliments mélassés, le
sel sous forme de condiment et d’« altérant » (les meilleures
laitières sont toujours les poulinières qui boivent le plus) doivent être
employés à tour de rôle pour varier et améliorer la ration habituelle de grains
et fourrages.
À condition qu'il reste modéré et approprié aux moyens de
chaque jument en particulier, le travail des juments pleines peut être prolongé
jusqu'au huitième mois de la gestation, à cette époque, le travail actif étant
remplacé par un séjour à la prairie ou une promenade quotidienne, dont l'action
salutaire sera des plus favorable.
J.-A. BERNARD.
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