Accueil  > Années 1950  > N°640 Juin 1950  > Page 362 Tous droits réservés

Élevage

Saillie et gestation des juments

Les propriétaires qui ont l'intention de faire saillir leurs juments doivent les observer attentivement, dans leurs attitudes et manifestations journalières, pour attendre ou ne pas laisser passer le moment le plus favorable de la présentation à l'étalon. Une saillie intempestive aurait les plus grandes chances de ne pas donner le résultat espéré, tout en faisant courir des risques d'accidents susceptibles de compromettre pour l'avenir la production d'une poulinière.

La première des conditions à observer, pour décider de la saillie, est que la jument soit manifestement en « chaleur », état physiologique particulier qui se révèle par les symptômes suivants : modifications du caractère, soit en indolence, soit en excitabilité ; hennissements répétés ; recherche du voisinage d'autres animaux et spécialement des mâles ; appétit capricieux. De plus, l'état des organes génitaux ne manque pas d'attirer l'attention ; les lèvres de la vulve sont tuméfiées, la muqueuse vaginale est fortement congestionnée et sécrète un liquide filamenteux très odorant, en même temps que se produisent de fréquentes émissions d'urine après lesquelles la jument reste campée, en faisant apparaître son clitoris par suite de contractions spasmodiques.

Ces modifications, qui se remarquent facilement sur les juments ayant déjà pouliné, sont moins sensibles chez les jeunes pouliches qui n'ont pas encore été saillies, et il arrive qu'on ne puisse être renseigné utilement sans recourir à l'épreuve du « boute-en-train », cheval entier non destiné à la monte, mais qui flaire la jument (on dit « souffler » dans le jargon hippique) pour provoquer ses dispositions.

La durée des chaleurs varie assez sensiblement avec les individus, la race, l'alimentation, l'ambiance et le travail ; certains auteurs la fixent entre deux et neuf jours, avec sept jours de moyenne, tandis que d'autres disent de huit à quinze jours et plus.

Dans la pratique courante, pour obtenir des résultats satisfaisants, on peut s'en tenir aux indications suivantes :

« Chez les juments qui viennent de mettre bas, la première chaleur se présente entre le septième et le neuvième jour, rarement avant le troisième jour, et son apparition coïncide généralement avec celle de la diarrhée chez le nouveau-né, sans que cela affecte son état général. Si la jument n'a pas été fécondée, ses chaleurs reviennent trois ou quatre semaines plus tard, et elle doit être présentée de nouveau à l'étalon le deuxième ou le troisième jour après leur apparition. Il arrive que des juments fécondées après une première saillie aient les chaleurs frustes entre la neuvième et la douzième semaine ; si elles sont présentées de nouveau à l'étalon, elles avorteront presque à coup sûr, sans que l'on s'en rende compte le plus souvent, à cause des dimensions restreintes du fœtus, et l'étalon sera rendu responsable d'une infécondité qui ne lui incombe pas.

D'après de nombreuses statistiques, établies tant en France qu'en Angleterre, il a été constaté que, sur cent juments saillies, quarante sont fécondées au premier saut, vingt-cinq au deuxième, quinze au troisième, dix au quatrième, cinq au cinquième et cinq seulement après.

Le pourcentage de fécondation a été établi de même, dans la proportion de 59 p. 100 chez les chevaux de gros trait, de 52 p. 100 chez ceux de trait léger et de 68 p. 100 chez les chevaux de pur sang au haras. La principale cause d'infécondité des juments provient de ce qu'elles sont livrées à la reproduction dans un âge trop avancé et aussi de l'abus trop fréquent des saillies, comme cela se passe ordinairement pour les étalons « rouleurs » de l'industrie privée, qui arrivent à faire cinq à six saillies par jour. Au cours de la saison de monte, de février à juillet, le chiffre moyen de juments pouvant être présentées aux étalons est de trente à quarante pour les pur sang et les chevaux de sang ; soixante pour les chevaux de selle et de trait léger et quatre-vingts à quatre-vingt-dix pour les chevaux de trait.

L'état de gestation chez les juments, comme chez toutes les autres femelles domestiques, du reste, exerce une influence plus ou moins prononcée sur le fonctionnement de tous les autres organes de la femelle, la masse du fœtus et de ses enveloppes pouvant, entre autres, exercer des compressions sur les poumons, l'appareil digestif ou les gros troncs nerveux ou sanguins. Leur hygiène, leur travail et surtout leur alimentation doivent être dirigés et surveillés avec beaucoup d'attention et de prudence.

Les femelles gestantes seront logées dans des écuries spacieuses et bien aérées, munies d'une bonne litière, à l'abri des causes d'excitation et surtout des violences que pourraient leur faire subir d'autres animaux.

Les aliments seront choisis de bonne qualité et en quantité suffisante, riches en principes alibiles plutôt que très abondants. Il faut surtout éviter de donner des aliments pouvant fermenter dans l'estomac et produire de la météorisation, cause fréquente d'avortement (jeunes pousses de trèfle ou de luzerne) ; des fourrages trop ligneux, mal récoltés, moisis, couverts de gelée blanche ou de rosée, ou renfermant des plantes toxiques (colchique, renoncule), ou des plantes ayant une action spéciale sur la matrice.

L'alimentation agit toujours, favorablement ou non, sur la production du lait et sur sa qualité, ce dont le poulain sera appelé à profiter ou à pâtir. Le régime du vert, les farineux et en particulier le son, les tubercules et surtout les carottes, les tourteaux et les aliments mélassés, le sel sous forme de condiment et d’« altérant » (les meilleures laitières sont toujours les poulinières qui boivent le plus) doivent être employés à tour de rôle pour varier et améliorer la ration habituelle de grains et fourrages.

À condition qu'il reste modéré et approprié aux moyens de chaque jument en particulier, le travail des juments pleines peut être prolongé jusqu'au huitième mois de la gestation, à cette époque, le travail actif étant remplacé par un séjour à la prairie ou une promenade quotidienne, dont l'action salutaire sera des plus favorable.

J.-A. BERNARD.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 362