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Ce qu'est une autoroute

Selon les déclarations du ministre des Travaux publics rentrant d'un voyage d'étude aux U. S. A., un réseau d'autoroutes va être étudié pour la France.

Mais qu'est-ce qu'une autoroute ? Si l'on s'en tient à la stricte étymologie, c'est une importante voie de communication réservée exclusivement à la circulation rapide des automobiles. Cependant, certains pays, comme les Pays-Bas, y adjoignent des pistes — mais bien séparées — pour les cyclistes.

Elles sont prévues pour offrir le maximum de sécurité sans obliger à des ralentissements, et pour cela ne comportent aucun croisement à niveau. Ceux-ci, comme les raccordements, sont remplacés par des ouvrages d'art représentés par des ponts et des rampes. Les circulations y sont toujours séparées en deux par un terre-plein central.

En gros, une autoroute est identique, dans son tracé, avec celui des infrastructures des ferroviaires, car les deux ne doivent avoir que le minimum de contacts avec les tracés routiers de circulations courantes.

C'est pour cela qu'une autoroute doit être conçue de toutes pièces et que l'on ne saurait envisager de doubler simplement une route existante. Il faut en effet, au premier chef, éviter les localités habitées, en les contournant, de même que l'on ne peut suivre les méandres courants. Une autoroute doit être aussi rectiligne que possible, en créant, si besoin est, des ponts et des tunnels. C'est ce qui explique; du reste, son coût très élevé, fort voisin de celui des chemins de fer, sauf les voies et leurs équipements de signalisation et autres.

Pour permettre les vitesses élevées, sans ralentissements, il faut également, quand elles sont indispensables, des courbes de très grand rayon et relevées. Les revêtements ne sauraient se satisfaire des techniques courantes. Il faut qu'ils fassent appel à celles les plus modernes, sinon même d'avant-garde. Il ne suffit pas en effet de réaliser une plate-forme de roulement très solide. Il faut qu'elle autorise par tous les temps, pluie, verglas, glace, chaleur, les maxima de vitesse, de débit et de sécurité. Ce sont là les conditions nécessaires pour obtenir les minima de consommation.

Les Américains ont résolu ces problèmes et, chez eux, les accidents sur autoroute sont seulement le tiers de ceux des routes normales. Ils l'expliquent par la diminution de la fatigue de conduite, jointe à la disparition de la sujétion de voir déboucher d'autres véhicules aux carrefours ou de la dispense du souci de dépassement de véhicules plus lents, en particulier des cyclistes.

Quant aux dépassements d'autres autos, les autoroutes comportent au moins deux pistes très larges, autorisant le passage de trois voitures de front sans ralentir.

On se rendra compte facilement des avantages des autoroutes en songeant que les Champs-Élysées de Paris débitent à peine 500 voitures automobiles à l'heure par file dense, et qu'une route de très grand passage, à la sortie d'une ville, ne peut atteindre ces chiffres, avec des moyennes de vitesse horaire de 60 kilomètres-heure. Sur une autoroute, la vitesse moyenne atteint facilement 90 kilomètres-heure et le débit peut dépasser 1.000 voitures à l'heure par file. Malgré cette augmentation du double en débit et de 50 p. 100 en vitesse, la consommation baisse d'un bon quart. L'usure générale de la mécanique fait qu'une auto normalement réformée au bout de 100.000 kilomètres avec deux révisions, dont une totale, peut être conservée jusqu'à 150.000 avec seulement une petite révision, et une grande. Ceci est d'un intérêt surtout important pour les autocars et autobus interurbains.

Pour les poids lourds, l'absence de côtes aux pourcentages importants autorise des surcharges de l'ordre d'un tiers du tonnage, sans rien changer aux normes du catalogue.

En contrepartie de ces immenses avantages, il faut reconnaître que l'établissement des autoroutes est extrêmement onéreux. Un de ses kilomètres — il est vrai, double en largeur — coûte dix fois plus que celui d'une route nationale, soit cinq fois plus à largeur égale.

Il faut reconnaître que les Allemands ont été les précurseurs de ces réalisations, au moins à grande échelle, puisque les premiers essais furent effectués par les Italiens. La raison en était militaire, avec la généralisation de l'armée motorisée en vue d'une guerre éclair. Cependant ce n'est pas là l'unique raison. Le Reich d'Hitler était pauvre en voies de communication, en même temps qu'un nombre impressionnant de chômeurs existait. Le thème fut qu'au lieu de payer des chômeurs pour vivre sans espoir de travail rémunéré il valait mieux affecter les crédits des fonds de chômage à l'exécution de travaux publics. D'autre part, c'était aussi là un moyen grandiose de propagande, et une méthode pour encadrer les ouvriers. Malgré son puissant équipement de travaux publics, le Reich ne connaissait cependant pas les moyens titanesques des entreprises américaines, ni les matériels nouveaux comme les bulldozers, les terrasseuses, les graders, scrapers, etc., etc., faisant chacun le travail de deux cents hommes.

Les adversaires — car il en reste — des autoroutes font valoir que la France possède le réseau routier le plus dense du monde. C'est exact, mais cela ne signifie pas grand'chose, car, en face, la circulation routière, surtout celles de poids lourds à très grandes distances, ne cesse de croître. Pratiquement, on peut accepter le réseau actuel de la France pour la circulation de ville à ville et autour de chacune d'elles, mais il n'y a rien pour les itinéraires à grandes distances, car ceux-ci n'existent qu'avec l'accroissement de population des grandes villes, qui étaient inexistantes au XIXe siècle. Il ne faut pas oublier, en effet, que la France possède actuellement dix-sept villes de plus de 100.000 habitants, et que, pour les plus grandes, il ne faut pas tenir compte des dénombrements démographiques « légaux » établis selon des circonscriptions administratives, mais des agglomérations humaines concentrées. C'est de la sorte que l'ensemble de Lille-Roubaix-Tourcoing, avec une vingtaine de cités satellites, représente la première « ville  » de France avec près d'un million et demi d'habitants. Lyon vient ensuite avec un million et quart, et Bordeaux atteint également le million, car il y a autour une vingtaine de communes sans aucune solution de continuité.

Une question importante est celle du passage à travers ces villes importantes, qui forment têtes de lignes, car on ne saurait perdre en temps, pour la traversée des faubourgs, ce que l'on a gagné dans les campagnes. Les Américains résolvent la question par des « expressways » ou voies surélevées. En France, l'expérience de certaines lignes du métro de Paris prouve que cette solution peu esthétique ne saurait convenir. Un organisme d'urbanisme souterrain, le G. E. C. U. S., préconise des voies en sous-sol, au moins pour la capitale.

Déjà à l'heure actuelle et depuis l'avant-guerre des autoroutes sont timidement en construction, encore qu'il ne s'agisse le plus souvent que des tracés concernant des « sorties de villes » pour discriminer les véhicules venant de loin de ceux de la circulation usinière de plus en plus dense dans les banlieues. C'est de la sorte que l'on a créé à Paris une autoroute dite de Saint-Cloud vers Rouen, avec une bifurcation à Rocquencourt qui comporte de remarquables ouvrages d'art.

Marseille possède également un chantier analogue, vers Aix et vers Salon et l'Étang de Berre avec l'aéroport de Marignane.

D'autres projets analogues sont en étude, et en particulier pour assurer la sortie sud de Paris, vers Fontainebleau. Un problème plus urgent est constitué par la liaison rapide du centre avec l'aéroport d'Orly.

Mais ce ne sont là que des améliorations d'urbanisme. La matière des autoroutes ressort des Travaux publics et c'est tout autre chose. C'est la liaison des grandes villes qu'il s'agit de résoudre.

Pour l'instant, on n'en est qu'aux avant-projets concernant Lille devant être relié à Paris.

Pour les sociologues, l'autoroute est encore un moyen de remédier au phénomène de la concentration urbaine exagérée de la France, avec Paris comme centre.

On doit à un urbaniste-sociologue et architecte Fernand Gravey d'avoir, en deux ouvrages récents, posé très clairement les données du sujet et proposé des solutions judicieuses. Ce n'est pas Paris qu'il faut au premier chef relier par des autoroutes aux très grandes villes. Ce sont, au contraire, celles-ci qu'il faut immédiatement relier entre elles. C'est le seul moyen de donner satisfaction aux problèmes économiques qui ont été faussés au siècle dernier par un tracé illogique des chemins de fer. Il faut, en effet, plus de temps pour aller de Bordeaux à Nice que de Nice à Paris, et les liaisons entre grandes villes imposent des détours inutiles et très coûteux en temps et argent par Paris.

A. et C. COTTIN.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 377