La chasse se présente sous des formes, des manières, des
lieux tellement divers qu'il est bien difficile parfois de dire où elle cesse
et où le braconnage commence. Les chasseurs eux-mêmes, selon les dispositions
d'esprit où ils se trouvent et la position qu'ils occupent dans la grande armée
cynégétique qui couvre notre pays, sont loin d'envisager tous les choses de la
même façon.
On peut évidemment prendre comme règle les articles de la
loi. C'est un critère sérieux, sur lequel, d'ailleurs, il est nécessaire de se
baser lorsqu'on veut aboutir à une condamnation. Mais les pouvoirs des préfets
en matière de chasse sont assez larges pour modifier selon les régions les
caractères de certains actes. Ici on chassera la bécasse licitement après la
fermeture ; là, même au bord des rivières et des marais où la fermeture
n'est pas encore arrivée, le tir du bel oiseau vous conduira en
correctionnelle. Ici la coutume proscrit la chasse au furet, ailleurs elle la
recommande.
Loin de moi la pensée de me plaindre de cette souplesse de
la loi. La chasse aux mille visages diffère selon chaque région, et il est bon
que, sur le cadre national, des règlements régionaux régissent des conditions
différentes, restreignent des droits abusifs ou protègent des espèces menacées.
Mais la loi n'est pas toujours présente. Il y aura, hélas !
toujours des braconniers pour nuire aux chasseurs. Le braconnage est le
principal ennemi de la chasse à cause du mauvais exemple qu'il donne et de la
décadence cynégétique qu'il engendre. Aussi convient-il de bien le connaître
pour bien le combattre. Les gardes sont les mieux qualifiés pour lutter contre
les professionnels, mais les chasseurs pris dans leur ensemble peuvent seuls
lutter par la force qu'ils représentent contre des milliers d'actes commis occasionnellement,
mais dont la multiplicité produit les effets les plus néfastes.
L'actionnaire d'une chasse bien organisée a tendance à
considérer comme braconniers tous ceux qui ne sont pas titulaires d'une action,
tous ceux qui, enflammés par la grande passion, parcourent des bois et des
guérets parfois vides depuis l'aube jusqu'à la nuit. Le jaloux range sans appel
parmi les chasseurs malhonnêtes ceux qui tuent plus de gibier que lui ou en ont
la réputation, bien qu'il les accuse dans le même temps « de ne rien y
connaître ». Si on noue, le fusil à la main, de belles et durables
amitiés, combien de fois une réussite heureuse, la constance dans les
résultats, l'écho de récits faits avec trop de chaleur versent le venin de la
jalousie et créent de solides inimitiés dont on ne se doute parfois même pas ?
C'est bien d'ailleurs la grandeur de la chasse de faire naître ces sentiments
propres aux humains.
Peut-être convient-il de ne pas considérer comme un individu
particulièrement dangereux le chasseur des villes qui, disposant de peu de
moyens et rejeté partout, côtoie des limites où il risque parfois un pied. S'il
est bon de ne pas absoudre ce pied, du moins que l'on considère qu'il
appartient à quelqu'un qui aime la chasse autant qu'un autre.
Il y a des chasseurs, et j'en connais plusieurs, qui sont
doués d'une passion puissante et qui, insatiables, chassent encore alors que
leurs amis préfèrent se reposer. Pour eux il n'y a pas de conditions
atmosphériques qui les rebutent, ni de carnier suffisamment garni. Qu'on les
modère quand on le peut, mais qu'on ne les taxe pas de braconnage sous prétexte
qu'ils sont doués d'une passion plus agissante.
Il y a des chasseurs des campagnes vivant sur les terrains
de chasse, bien placés pour profiter de deux heures de liberté, voire d'une
heure pour jouir des moments de passage parfois très courts. Ils connaissent
les mœurs du gibier, tout le pays mètre par mètre, tous les vents, tous les
nuages. Leurs yeux, leurs oreilles se sont formés depuis leur plus tendre
enfance à reconnaître les signes de la nature au milieu de laquelle ils ont
vécu. Ils tuent beaucoup de gibier. Non, ce ne sont pas des braconniers.
Mettons, si vous le voulez, que la chasse fait partie de leur activité humaine,
qu'ils sont ce que le professionnel est à l'amateur.
À leur contact, on voit, on apprend beaucoup. Dernièrement
je me promenais dans un bois accompagné d'un bûcheron. J'étais armé d'une
carabine 22 long rifle à huit coups. Nous arrivâmes à de grandes terres. À
trois cents mètres nous vîmes un renard chassant les taupes : « Cachons-nous,
dit mon compagnon, je vais l'appeler. » Et, avec la bouche, sur le dos de
la main gauche, il émit des sons qui pouvaient être ceux d'une bête blessée ou
prise au piège. Le renard dressa les oreilles, puis vint sur nous au galop.
Malheureusement, j'étais mal caché. Arrivé à quatre-vingts mètres, il me vit ou
nous sentit, je lui envoyai une balle qui fit voler quelques poils. Mes sept
autres balles accélérèrent sa fuite en zigzag à travers les terres nues. « Si
nous avions été mieux cachés, ajouta mon compagnon, il serait venu à nos pieds.
J'en ai tué quarante-huit l'année dernière de cette façon. »
Le braconnage est divers comme la chasse. Il doit être
d'abord identifié, puis poursuivi sans pitié. Les pillards des chasses
réservées, les piégeurs et affûteurs des campagnes détruisant les femelles en
gestation ou au nid, ceux qui ne se soucient pas des temps de fermeture, ceux
pour qui tous les moyens sont bons doivent être, par un juste retour, les
clients des gardes-chasses.
Car rien n'est plus démoralisant que leur impunité. Soit
pour ne pas être dupe, soit pour céder à leur impulsion, d'autres les imiteront
occasionnellement. C'est pourquoi j'estime que le chasseur qui, ne serait-ce
qu'une fois, cède à la tentation doit connaître, s'il est pris, les rigueurs de
la loi. Il devrait connaîtra surtout la rigueur de l'esprit des autres
chasseurs pour le décourager. Évidemment, il y a une hiérarchie dans les
délits. Celui qui, entre la fermeture générale et la fermeture à l'eau, tue un
merle ou une alouette au bord d'une rivière cause des dégâts moins importants
que l'affûteur qui massacre une compagnie de perdreaux à l'abreuvoir ou aux
gerbes même en temps d'ouverture.
On ne saurait non plus être assez sévère pour ceux qui
recèlent et transportent le gibier frauduleusement tué et les restaurateurs qui
le servent.
Les chasseurs ne peuvent, dans leur grande majorité, être
actionnaires de chasses réservées, beaucoup peuvent avoir une carte dans une
chasse communale ; les terrains à repeupler et à organiser sont immenses.
Depuis le Tartarin inoffensif qui se promène bardé de
munitions jusqu'au grand fusil qui réalise plus de 80 p. 100, la règle
d'or devrait être, comme disait déjà Gaston Phœbus, il y a six cents ans :
« De ne prendre les bêtes que par noblesse et gentillesse et pour y
prendre agrément : il y aurait ainsi plus de bêtes si on ne les tuait pas
faussement et on en trouverait toujours à chasser. »
Nous ne pouvons espérer revenir au temps où Adolphe
d'Houdetot chassait les cailles dans la plaine Saint-Denis, mais du moins
pouvons-nous envisager une organisation qui améliorera la chasse en France.
Jean GUIRAUD.
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