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Tribune libre

Le point de vue d'un président

Les articles parus récemment dans ce journal sur le projet de loi gouvernemental sur la chasse m'ont suggéré les réflexions suivantes, que je livre à votre appréciation.

La base de ce projet, sur lequel on discute depuis plusieurs années, est, comme vous le savez, l'obligation pour les propriétaires qui ne font pas garder leur chasse de céder celle-ci à la société communale pour une période de neuf années.

Bien qu'il constitue une atteinte au droit de propriété, ce point de vue pourrait, a priori, trouver des défenseurs : il y a beaucoup de chasseurs, il faut donc que toutes les chasses soient utilisées ...

Mais les défenseurs de ce point de vue ont-ils réfléchi au fait que les chasses non gardées sur lesquelles le propriétaire interdit le droit de chasse sont une très rare exception, et que dans les régions démunies de gibier les sociétés de chasse communales, disciplinées et réglementées, sont presque inexistantes ?

Il paraît donc bien difficile de faire absorber les premières par les secondes, puisqu'elles n'existent pour ainsi dire ni les unes ni les autres.

Il apparaît donc comme certain que ce projet de loi serait inopérant et n'apporterait aucun avantage à la situation actuelle.

Par contre, sa mise en discussion est extrêmement dangereuse du fait des amendements que susciterait inévitablement ce nouveau projet de loi à la veille d'une nouvelle consultation électorale, et qui transformeraient sans aucun doute la loi actuelle en une loi néfaste pour tous et pour toujours.

Le résultat de ces amendements serait de supprimer radicalement le gibier dans les régions ou il en reste encore et de mettre celles où il n'y en a pas dans l'impossibilité d'en avoir par la suite.

Je n'en veux comme preuve que la déclaration faite, le 11 janvier dernier, au cours de la réunion du Comité interparlementaire de la chasse, par M. Cerclier, député de la Creuse, et par laquelle celui-ci a fait connaître son intention de déposer un amendement aux termes duquel le propriétaire d'une chasse, même s'il la fait garder, repeupler et piéger, ne pourra se réserver le droit de chasse sur celle-ci que s'il est possesseur d'un territoire d'une superficie au moins égale à 25 hectares d'un seul –tenant.

Les propriétés de 25 hectares d'un seul tenant étant extrêmement rares en France, où la propriété est très morcelée, cet amendement aurait pour résultat certain la transformation en chasses banales de toutes les chasses de France, la suppression des chasses privées qui alimentent automatiquement en gibier toutes les chasses voisines, la suppression du gardiennage et la suppression radicale du gibier.

C'est inévitablement le genre d'amendements qui viendraient torpiller toute espèce de projet de loi sur la chasse déposé actuellement, et qui viendraient donner le coup de grâce à la chasse en France.

La suppression des chasses gardées aurait pour conséquence, est-il besoin de vous le dire, la suppression totale du gibier dans toutes les chasses communales et banales, où l'on chasse plusieurs fois par semaine, et qui sont alimentées uniquement par les chasses gardées, où l'on ne chasse que deux ou trois fois par an.

Ces chasses gardées sont donc les seules vraies réserves de chasse en France.

En effet, une réserve de chasse, si elle n'est pas soigneusement gardée, piégée et repeuplée, est complètement inutile, car elle devient immédiatement le point de mire des braconniers, le lieu de rendez-vous des chiens errants et le réceptacle des bêtes nuisibles.

Le seul moyen, comme vous le voyez, de s'opposer aux amendements désastreux, mais inévitables, dans le genre de celui-ci est de maintenir la législation actuelle en matière de chasse et de s'opposer pour le moment à la mise en discussion de toute espèce de nouveau projet de loi quel qu'il soit.

Le grand argument des partisans du projet de loi 6656 est que, le nombre de chasseurs ayant augmenté, il faut nécessairement changer la loi.

Ces partisans ignorent-ils que le nombre de chasseurs a augmenté exactement dans les mêmes proportions dans les régions situées au nord de la Loire que dans celles qui se trouvent au-dessous de ce fleuve, et que cependant tous les chasseurs dont les chasses sont situées au nord de celui-ci continuent à avoir exactement la même densité de gibier que par le passé ?

Pourquoi les chasseurs des régions qui se plaignent de ne pas avoir de gibier n'emploieraient-ils pas les mêmes moyens que ceux employés dans les régions où il y en a ?

Pourquoi ces chasseurs ne se grouperaient-ils pas en sociétés de chasse communales, avec un président choisi parmi les chasseurs de la commune, un règlement limitant le nombre de jours de chasse à deux par semaine, et la quantité de gibier à tuer, un garde sérieux, travailleur et impitoyable pour les braconniers et les propriétaires de chiens errants, une réserve jalousement surveillée et piégée, où il est interdit de chasser en tout temps ... et du gibier.

Leur tableau de chasse — sans qu'il soit rien changé à la loi actuelle, qu'il faudrait d'abord commencer par faire respecter avant de penser à en faire une nouvelle — serait la meilleure preuve de l'efficacité de ce procédé, et les restrictions qu'ils s'imposeraient seraient largement compensées par les résultats obtenus.

H. ROQUETTE,

Président de la Fédération départementale des chasseurs du Nord.
Membre adjoint du Conseil Supérieur de la Chasse.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 397