Accueil  > Années 1950  > N°641 Juillet 1950  > Page 397 Tous droits réservés

Le chacal

Ayant été souvent questionné par des abonnés de l'Afrique du Nord au sujet de cet animal, j'ai pensé les intéresser en consacrant deux articles à son sujet.

Le chacal est un canidé qui se trouve non seulement en Afrique du Nord, mais en Afrique centrale, en Turquie, en Syrie et en Asie.

D'après le grand naturaliste Brehm, ce sont des chacals et non des renards qu'aurait jadis employé Samson pour se venger des Philistins, en 2868 avant Jésus-Christ, dans le but d'incendier leurs récoltes à l'aide de brandons enflammés attachés à la queue de ces animaux (1).

Le mot chacal viendrait de sjechal en langue persane, schikal en turc, dieb en kabyle.

On peut admettre deux variétés de l'espèce différenciées entre elles uniquement par la taille et le pelage : le chacal de plaine, petit et tirant sur le roux ; le chacal de montagne, plus gros et de couleur ocre et gris.

L'animal mesure de 0m,95 à 1m,20 de la pointe du museau à l'extrémité de la queue. Le plus bel échantillon que j'aie capturé mesurait 1m,30 de longueur totale (Tunisie centrale, chacal de montagne). La queue est courte : 0m,25 à 0m,35, elle arrive à l'articulation du talon, elle est loin d'atteindre le volume et la beauté de celle du renard. La hauteur au garrot varie entre 45 et 50 centimètres. Quant au poids, il oscille entre 7 et 12 kilogrammes (animal adulte), le dernier poids se rapportant au chacal de montagne.

Comme aspect général, on peut dire que c'est une réduction du loup ou un agrandissement du renard. Mais de près on constate que le museau du chacal tient le milieu entre ces deux carnassiers, plus pointu que le loup, moins pointu que le renard. Assez haut sur pattes, il porte ses oreilles droites à l'allure normale. Son pelage est rude au toucher, de couleur ocre jaune mêlé de gris ou ocre roux, plus foncé sur le dos, les côtés et l'extérieur des pattes. Le ventre est gris blanc. Le cou est gris. Les côtés de la tête et les flancs ocre, gris ou roux. Bien entendu, le chacal change de pelage à la saison chaude et à l'entrée de l'hiver. Cette mue se traduit par un pelage d'hiver plus foncé que celui d'été.

Ses empreintes sont semblables à celles du renard, mais d'un tiers plus grandes et plus allongées. Sa voie ressemble aussi à celle du renard, mais avec un écart de 35 à 40 centimètres entre chaque pied (allure normale). Quand plusieurs chacals se suivent, ils marchent en file indienne, plaçant leurs pattes presque dans les mêmes traces que le chef de file (cas fréquent au moment du rut, la femelle est alors le chef de file).

Les fientes du chacal sont de la taille de celles d'un chien moyen (jeune épagneul). Elles varient de composition avec le menu saisonnier. Les mâles les posent sur une élévation : rocher, grosse pierre, touffe d'alfa ou de diss ; les femelles les posent en plein milieu d'un sentier, mais tous deux toujours en un lieu bien découvert et souvent au même endroit. Les mâles urinent volontiers où d'autres mâles l'ont fait avant.

Le cri du chacal est un hurlement lamentable agrémenté de modulations tenant du cri de terreur, de la plainte et du rire. Le hurlement débute par un son descendant soutenu comme le fait une sirène, et répété deux ou trois fois, et suivi de cris saccadés, genre de rire de dément. Un seul animal donne l'impression de hurler comme trois ou quatre à lui seul, surtout en montagne. Ce hurlement n'est pas journalier; on peut l'entendre trois ou quatre nuits de suite, puis rester un ou deux mois sans l'entendre de nouveau. C'est au crépuscule ou la nuit tombée que le chacal hurle pour la première fois. En général, il monte sur un point dominant pour émettre ce cri. Ses congénères lui répondent peu après au loin, puis tout rentre dans le silence jusqu'à l'aube, où les hurlements se font de nouveau entendre. Parfois un nouveau concert se produit au milieu de la nuit. C'est, d'après mes remarques, par nuit calme et humide qu'on les entend le plus régulièrement (le clair de lune ne joue aucun rôle). Vraisemblablement ces hurlements ont pour but un rassemblement de plusieurs animaux (chasse, rut).

Le chacal se déplace peu de jour. Il passe sa journée couché en rond sur un rocher ensoleillé ou au milieu d'un buisson épais, ou dans une crevasse rocheuse si le temps est mauvais. Dès le crépuscule, il sort et part en chasse seul ou à plusieurs individus. Il a son parcours favori, longeant le bord des escarpements rocheux, d'où il découvre la plaine, ou se coulant dans les ravins des oueds parmi les lentisques et les lauriers-roses. En forêt, il suit souvent les sentiers et en montagne il passe aux cols.

Son régime alimentaire est varié ; comme viande, tout lui convient, quel qu'en soit le degré de fraîcheur (volailles, chèvres, moutons, charognes de chameaux, mulets, ânes, chevaux, vaches, etc.). Les fruits entrent également dans son régime : raisins, figues de Barbarie, figues. En bordure de mer, les poissons et coquillages échoués sont un régal pour lui. En Afrique centrale, il suit tous les grands carnivores pour profiter avant l'aube des reliefs de leurs repas, avant que les vautours et charognards n'aient tout nettoyé. On le voit alors faire curée en compagnie de la hyène.

Le chacal se tient soit en montagnes couvertes de broussailles basses (chênes verts, thuyas), soit sur les collines présentant des bancs rocheux en bordure de plaine. Un point d'eau existe toujours dans son canton. Il aime, dans les régions sauvages, à se gîter dans un oued envahi de broussailles.

Au printemps la reproduction a lieu, mais dès janvier les mâles se battent entre eux. La femelle porte soixante-trois jours et donne en avril quatre à six rejetons, qui naissent dans une crevasse rocheuse sur un liteau sommaire. Les jeunes restent avec la mère jusqu'en septembre-octobre, puis s'en vont chacun de leur côté. Pris jeunes, ils s'apprivoisent très bien (mieux que le renard de ces régions). Ils ont les yeux bruns, le museau brun jaune et la queue foncée.

Le mâle ne semble pas participer à l'élevage.

Au naturel, le chacal est rusé, méfiant, et peu hardi de jour. De nuit, par contre, il n'hésite pas à venir piller les poulaillers des douars, parfois à plusieurs ensemble. Il chasse aussi bien au vent qu'à la piste. Je l'ai vu suivre les troupeaux de moutons ou de chèvres rentrant au crépuscule, en surveillant les retardataires à la traîne. Puis, profitant de la présence d'un ravin, foncer sur le troupeau pour y semer la terreur et faire tomber quelques animaux affolés dans le ravin. Ces victimes seront dévorées la nuit.

Dans un prochain article, nous verrons les moyens de capturer ce carnassier.

A. CHAIGNEAU.

(1) Parmi les canidés, c'est le maillon intermédiaire entre le loup, le coyote (Amérique) et le renard.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 397