Juillet que voici et août qui le suit constituent par
excellence les mois « à bouquet », l'époque entre toutes idéale pour
pêcher la crevette rouge.
Je vous ai déjà touché deux mots de ce délicieux crustacé en
vous entretenant naguère du « bouquet de sable ». Mais le vrai
bouquet, la véritable crevette rouge, ne se trouve que sur le rocher, et
toujours sur un rocher à varech.
Chercher le bouquet sur un plateau sous-marin dépourvu de
goémon et d'algues, autant vaudrait tenter de dénicher une raie sur un crâne,
chauve. Si saugrenue qu'elle paraisse, cette image doit vous fixer sur la
première loi du pêcheur de bouquet : ne prospecter que les zones rocheuses
à varech.
Pas n'importe quel varech, bien sûr ! La crevette « riche »,
la rouge, la seule qui sache orner de ses harmonieux coloris — après
court-bouillon — la plus humble comme la plus somptueuse des tables, on ne
la découvrira presque jamais que sous certaines herbes marines ; tantôt,
selon les années, voire les saisons, sous les touffes de varech brun à tige
courte, tantôt sous le varech vert, chiffonné comme une jeune salade ; ou
encore sous les « perruques », ces herbiers d'émeraude flottant comme
une chevelure de néréide, ou sous les « étoles », ces longues
lamelles brunes à pied unique, qui se développent parfois sur plus de deux
mètres. Aucune règle ne vaut en ce qui concerne la détermination du varech
favorable. C'est affaire d'observation, étant précisé toutefois que, pour une
saison considérée, la même espèce d'herbe marine continuera à servir de gîte au
bouquet.
Une fois que le pêcheur aura découvert, au cours de ses
premiers essais, le varech le plus utile à ses futures victoires, il se mettra
en mémoire un autre point essentiel de la pêche au bouquet : la hauteur de
la marée favorable. On peut poser en principe que les marées 0m,80
au-dessus du zéro des cartes sont les meilleures en pareil cas. Cela revient à
dire que les mers de nouvelle et de pleine l'une seront choisies à cet effet.
La consultation de l'annuaire portuaire du secteur en cause renseignera
efficacement l'amateur sur ces jours à marquer d'une pierre blanche, comme
disent, en latin, les pages roses du Larousse.
Muni de ces deux clés primordiales — de temps et de
lieu, — il ne restera au « bassier » (pêcheur de basse mer) qu'à
passer à l'action. Mais ici la règle des trois unités se trouve brisée. Car il
existe en la matière de multiples façons d'agir.
Le bouquet se pêchera toujours au grand ou au petit havenet.
Le grand, c'est la « bourraque » rigide, que l'on dénomme aussi,
selon les points des côtes où on l'emploie, pousseux, crevettier, truble ou
encore chevrette, pour ne citer que les appellations les plus usitées. Cette
bourraque est constituée par une armature de bois en forme de T sur laquelle un
demi-cercle de fort osier ou de fil de fer maintient ouverte la poche du filet.
Bien entendu, il s'agit ici d'un T à longue barre verticale — le manche, —
la barre transversale faisant office de râteau ou de peigne. L'une des
extrémités du filet est assujettie à ce râteau, et ses côtés doivent former,
latéralement à l'U du demi-cercle, de très larges joues avant d'aboutir à une
poche arrondie ou triangulaire selon les régions (mais le filet à base arrondie
est toujours d'un emploi préférable dans les secteurs de varech court).
Le pousseux, son nom l'indique, le pêcheur le poussera
devant lui. Il n'empêche que, par un assez curieux paradoxe, cette poussée est
presque partout désignée sous le nom (erroné) de « trait », par
analogie avec celui que tire le chalut des dragueurs de haute mer. L'opération
de pêche consiste alors à maintenir le râteau du pousseux en contact constant
avec le sol immergé, parsemé de pierres couvertes d'algues ou tapissé de
varech. Comme le bouquet se cache toujours sous ces herbes dont j'ai évoqué
plus haut les principales variétés, il tombe sous le sens que le trait ainsi
tiré débusquera la crevette de son gîte végétal, voire des pierres sous
lesquelles elle se tapit, et la précipitera dans la gueule béante de la
bourraque. À noter que la crevette ainsi surprise a tendance à fuir
latéralement, d'où nécessité d'un filet à larges joues.
Cette poussée du trait s'effectuera soit en eau vive, soit
plutôt en eau morte, c'est-à-dire dans les eaux « barrées » d'un
chenal, soit encore dans de vastes mares, à condition qu'elles aient plusieurs
mètres carrés de superficie et soient assez profondes. Sauf au cours des
périodes chaudes ou orageuses, on péchera plus aisément le bouquet en
s'immergeant jusqu'au genou ou à mi-cuisse, la profondeur la plus convenable à
cette pêche. On aura toujours intérêt à prospecter jusqu'à épuisement la mare
ou les creux au fond desquels les prises se révéleront les plus nombreuses.
Car, au cours d'une même marée, le bouquet reste dissimulé dans les mêmes coins
et il y vit généralement en colonies fort denses. On parvient souvent ainsi à
effectuer toute sa pêche dans quelques pieds carrés de terrain, mais, s'il
s'agit d'un chenal et non plus d'une mare aux contours apparents, le débutant
éprouvera quelque peine à ne point se laisser déporter. Il faut un entraînement
sérieux pour savoir se maintenir en bonne place, et, la plupart du temps, ce
n'est guère qu'en sondant du pied, le tapis feutré des varechs que le pêcheur
réussira à ne pas perdre son bon coin.
Le trait se tire sur une longueur de trente à cinquante pas.
En suite de quoi, le pêcheur relèvera son pousseux et, adossé au vent, en
inspectera le contenu. Cet ados, parfaitement inutile par temps très calme,
devient nécessaire lorsque la brise souffle. Nécessaire parce que le vent
gonflera le filet au lieu de le plaquer contre son armature et en facilitera
alors l'inventaire. Le pêcheur a toujours intérêt à rejeter avant tout les
algues qui encombrent inévitablement sa « poche », longues ou
courtes, puis à débarrasser le pousseux de tous les crabes qui peuvent
l'encombrer, à l'exception des savoureuses étrilles (portunes) qu'il mettra
aussitôt en lieu sûr, dans un angle de son panier. Il lui faudra enfin prendre
un à un les brins de bouquet, en les saisissant plutôt à plein corps que par
les antennes, d'une fréquente rupture. La fin du travail consiste à vider le
pousseux, d'un rapide revers, avant de recommencer à tirer un nouveau trait.
Ainsi s'effectue la « bourraquée » en mare ou en
eau morte. Mais on peut également pêcher le bouquet de deux autres manières, au
moyen du petit havenet. On utilise alors une assez large (et toujours solide)
épuisette, circulaire ou quadrangulaire, mais toujours à manche court, d'une
trentaine de centimètres au plus. Ce mode de pêche se pratique sur des plateaux
rocheux entièrement découverts, donc à pied presque sec, en passant rapidement
le havenet sous des pierres soulevées d'une main et, en tout cas, des pierres
herbeuses. On peut aussi prospecter les abords d'un massif marin en glissant
l'épuisette sous les algues qui pendent en cascade, des algues dans les replis
desquelles le bouquet est demeuré accroché, à l'instant du reflux. Ces pêches
au petit havenet s'effectuent surtout en période très chaude et donnent
singulièrement d'excellents résultats par temps d'orage. Mais, là, le pêcheur
ne devra jamais cesser de se déplacer, au lieu de rester cantonné sur un même
point.
Il existe une autre méthode de pêche au bouquet, plus
rarement employée, mais souvent fructueuse : la pêche au havenet boetté.
On utilisera à ces fins l'épuisette à manche long, mais incliné à angle droit
ou obtus par rapport au cercle du filet, une épuisette sur l'orifice de
laquelle on aura tendu deux cordes en croix et fixé à leur point d'intersection
une amorce de choix, crabe mou ou débris de poisson.
Ce mode de pêche est en honneur sur certaines côtes
granitiques de l'Atlantique et de la Manche, à pied sec. Il a pour but de
capturer à la nasse, en quelque sorte, le bouquet qui se sera réfugié, à mer
descendante, dans des creux de rochers profonds et toujours verticaux, d'où la
nécessité du manche incliné. Mais ce système de pêche exige un matériel assez
nombreux : une dizaine d'épuisettes boettées, qui seront déposées l'une
après l'autre dans des trous supposés riches en bouquet. Une fois le dépôt effectué,
le pêcheur revient à son point de départ, relève verticalement le havenet d'un
coup sec — ce qui a pour effet de précipiter le bouquet au fond du filet, —
vide ses prises dans son panier en retournant simplement sa poche, passe à
l'épuisette suivante et continue ainsi jusqu'à l'épuisement de ses trous ou de
sa patience : si c'est là une méthode de pêche assez profitable, elle
devient rapidement monotone et, par là même, lassante.
Qu'il s'agisse du pousseux ou du petit havenet, la moyenne
des prises, à chaque levée, oscille entre trois et dix brins. Dans un secteur
riche en bouquets, on arrive parfois à ramasser de trois à cinq livres de
crevettes en deux heures de temps, une heure et demie avant l'étale et une
demi-heure après au plus. Mais une pêche d'un demi-kilo constitue déjà une « marée »
fort honorable, même pour un pêcheur endurci.
Maurice-Ch. RENARD.
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